Eglises d'Asie

A deux mois des législatives, la participation des minorités fortement restreinte

Publié le 02/09/2015




Le président birman a promis un scrutin libre et régulier. Pourtant, aux marges du pays, les responsables politiques et religieux s’inquiètent du fait que les minorités, qui représentent plus du tiers de la population birmane, ne puissent pas s’exprimer librement à l’occasion de la campagne et du vote. L’élection doit se …

… dérouler le 8 novembre prochain. Plus de quatre-vingt-dix partis politiques présentent plus de six mille candidats pour renouveler les deux chambres nationales ainsi que quatorze parlements locaux.

Alors que la campagne électorale va officiellement commencer la semaine prochaine, les minorités musulmanes ont déjà perdu beaucoup de leur capacité à peser sur le débat politique. Les candidatures d’au moins quinze candidats musulmans du Parti pour les droits de l’homme et la démocratie viennent d’être invalidées par la commission électorale, au motif que les parents des prétendants n’étaient pas ressortissants birmans. U Shwe Maung, un député de l’ethnie musulmane rohingya qui siège au parlement national depuis cinq ans, a vu sa candidature à la réélection rejetée pour la même raison. « C’est absurde, a réagi celui qui souhaite se présenter en tant qu’indépendant. En 2010, j’étais considéré comme un ressortissant. Maintenant, cinq ans plus tard, comment pourrai-je être inéligible ? »

En juin, le parlement birman a décidé de retirer du corps électoral les titulaires de papiers d’identité provisoires. Or, la majorité des membres de l’ethnie musulmane rohingya possèdent ces documents temporaires. Le gouvernement les considère comme des immigrés illégaux bangladais. La plupart sont apatrides. Un million d’entre eux environ vivent à l’ouest du pays. Pour la première fois depuis l’indépendance en 1948, les Rohingyas ne devraient donc pas pouvoir voter en novembre. Les Nations Unies ont fait part de leur « grave inquiétude ».

Ce rejet des musulmans de la scène politique dans ce pays à majorité bouddhiste semble également avoir gagné le parti d’opposition dirigé par la députée Aung San Suu Kyi. Des membres musulmans de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) regrettent que la direction n’ait pas retenu un seul candidat de leur confession. La LND s’est défendue de toute sélection sur critères religieux. Mais la formation doit faire face à une pression très forte des mouvements bouddhistes extrémistes, qui cherchent à la discréditer en la faisant passer pour un parti pro-musulman.

Les minorités chrétiennes s’inquiètent elles aussi de limites à l’exercice de leurs droits politiques. Dans l’Etat kachin, environ 100 000 personnes, soit près de 10 % de la population de cette région la plus septentrionale du pays, ont été déplacées suite à la reprise du conflit entre l’armée gouvernementale et l’Armée pour l’indépendance kachin (KIA) en juin 2011. « Ils [les déplacés] n’ont pas pu s’inscrire sur les listes électorales et il n’est pas certain que la commission électorale les inscrive à temps, s’inquiète U Tu Ja, un homme politique local, candidat pour le Parti pour la démocratie dans l’Etat kachin (KSDP). La plupart des électeurs ne vont pas vérifier les listes. Ils pensent que ce n’est pas important. »

Dans cet Etat à majorité chrétienne, et dont la population réclame davantage d’autonomie, les citoyens ne se sentent guère concernés par ce scrutin organisé par le pouvoir central. « Les déplacés veulent rentrer chez eux et c’est cela qui les préoccupe », explique le P. Joseph Yung Wa, responsable de la Commission pour l’éducation du diocèse catholique de Myitkyina, capitale de l’Etat kachin.

Les rebelles de la KIA négocient avec le gouvernement ainsi qu’une quinzaine d’autres groupes ethniques armés afin de signer un accord de cessez-le-feu national. C’est cette question de la paix qui tient davantage en haleine la population kachin. « Nous n’attendons pas grand-chose des élections parce que les grands partis ne disent rien à propos du conflit, reprend le P. Joseph. Mais nous nous intéressons à un possible accord de cessez-le-feu car nous voulons l’arrêt des combats, un dialogue politique et un véritable système fédéral. »

La majorité des déplacés kachins vivent dans des camps situés le long de la frontière chinoise dans des zones qui ne sont pas contrôlées par le gouvernement birman. Ces territoires sont administrés par la KIA et sa branche civile, l’Organisation pour l’indépendance kachin (KIO). Aux élections législatives de 2010, les citoyens résidant dans ces contrées n’avaient pas pu voter. « Je ne crois pas qu’ils puissent mettre leur bulletin dans l’urne cette année », estime U Tu Ja, au vu des frictions politiques et militaires qui demeurent très fortes dans cette région.

En 2010, les autorités avaient annulé les élections dans deux circonscriptions de l’Etat kachin, officiellement pour des raisons de sécurité. A cette période, le conflit n’avait pas encore éclaté entre l’armée et la KIA. « Il n’y avait pas de bonnes raisons à cette annulation, critique U Tu Ja, même si les tensions entre les militaires et les insurgés kachins s’intensifiaient déjà. Le gouvernement et les rebelles auraient dû discuter afin de voir comment organiser le scrutin. Mais ils ne l’ont pas fait. » De même, le pouvoir a refusé d’organiser les législatives partielles d’avril 2012 dans trois circonscriptions de l’Etat kachin.

Depuis le début de l’année, le nord de l’Etat shan est particulièrement instable. Dans cette région combattent les rebelles kachins, palaungs, arakanais et kokangs. Ces affrontements ont obligé des milliers de locaux à fuir vers la Chine voisine. De nouveaux combats ont d’ailleurs encore éclaté la semaine dernière. La région kokang est sous état d’urgence et les militaires l’administreront au moins jusqu’au 18 novembre – donc pendant la période électorale. L’armée a d’ores et déjà indiqué qu’elle n’entrevoyait pas de cessation des hostilités dans un avenir proche. Les responsables politiques et religieux s’attendent à ce que les autorités suppriment le scrutin dans plusieurs de ces localités en conflit. Ce qui réduira d’autant le poids du vote ethnique, traditionnellement opposé au parti des anciens militaires, l’USDP (Union Solidarity and Development Party) actuellement au pouvoir en Birmanie.

(eda/rf)