Eglises d'Asie

A propos de la persécution des chrétiens en Chine populaire

Publié le 12/11/2015




Campagne d’abattage des croix des églises catholiques et des temples protestants dans la province du Zhejiang, nomination d’évêques au sein de l’Eglise catholique dont certains sont légitimes et d’autres non, pourparlers secrets entre le Saint-Siège et Pékin. L’actualité récente laisse entrevoir une situation difficile …

… pour les chrétiens de Chine. Pour autant, sauf à tomber dans des généralisations hâtives, il est difficile de résumer en quelques phrases la vie des communautés chrétiennes de cet immense pays.

Michel Chambon est doctorant en anthropologie à Boston University (Etats-Unis). Théologien catholique, il effectue actuellement un séjour d’une année en Chine continentale afin d’y mener des recherches de terrain. Dans l’article ci-dessous, il fait part de son expérience au contact des chrétiens chinois et des réflexions que suscitent chez lui l’action de ces chrétiens aux prises avec les complexités de la Chine d’aujourd’hui.

« En juillet dernier, une importante Eglise protestante du sud de la Chine comptant vingt-deux lieux de culte sur un territoire d’environ cent cinquante kilomètres de long organisait cinq camps d’été avec plus de cent adolescents chacun. Ces temps de formation et activités ludiques de quatre jours s’effectuent habituellement dans le centre multifonction que l’Eglise possède à une heure de route à la campagne. Toutefois, trois jours avant le premier camp de cet été, la police locale informa l’Eglise que, cette année, elle lui interdisait la tenue des camps pour « des raisons de sécurité ».

La police pointait plusieurs raisons : 1.) Une voie de chemin de fer où plus d’une quinzaine de trains passent chaque jour à grande vitesse est située à moins de dix mètres du principal bâtiment d’activité et ce, sans grille de protection sûre entre la voie de chemin de fer et le centre de formation ; 2.) La cuisine prévue pour nourrir ces centaines de jeunes n’est pas conforme aux normes d’hygiène en vigueur ; 3.) Le lieu est entouré d’un fleuve créant des risques de noyade ; 4.) Le village où se trouve le centre de formation n’est accessible que par de petits bateaux auxquels il faut trente minutes pour rejoindre l’autre rive et le chef-lieu.

En cas d’accident, la police locale ne tenait pas à engager sa responsabilité et interdisait donc tous les camps. L’Eglise s’engagea dès lors dans un long processus de négociation et fit intervenir, au niveau de la préfecture, le responsable du Front uni (l’organisme qui, entre autres choses, chapeaute la mise en œuvre de la politique religieuse du Parti communiste chinois), lequel apporta son soutien à l’initiative pédagogique des chrétiens. Puis l’Eglise décida de passer outre et débuta son premier camp d’été. A peine les jeunes arrivés dans le centre de formation, qu’un typhon frappa les côtes chinoises, apportant des pluies torrentielles interdisant toute traversée du fleuve. Le lendemain, la police locale vint sous une pluie battante inspecter le centre pour constater le sérieux de l’organisation et le grand nombre d’adultes accompagnateurs. Après trois heures autour d’un thé, police locale et croyants protestants trouvèrent un compromis : ce premier camp se terminera un jour plus tôt et la tenue des autres camps se négociera plus tard.

Faut-il voir dans ce petit récit anodin un acharnement du gouvernement chinois contre les chrétiens ? Bien évidemment non, puisque certains éléments de ce même gouvernement soutiennent ouvertement l’initiative éducative de l’Eglise et qu’au final, l’Eglise est parvenue à maintenir son programme estival, alors même que de réelles questions de sécurité demeuraient. L’action des chrétiens en Chine – comme partout dans le monde – est donc prise dans un subtil équilibre de motivations, leviers et contraintes qui échapperont toujours à nos récits quand bien même ceux-ci prétendent tout dire du « comment et du pourquoi ». Clairement, la mise en place et le déploiement d’activités chrétiennes en Chine communiste s’opère dans un riche et subtil entrelacs de relations interpersonnelles, de réseaux institutionnels et de contraintes légales qu’il convient de ne pas ignorer. Il serait donc naïf – voire coupable – de réduire la situation du christianisme en Chine à une dichotomie simpliste qui opposerait frontalement les autorités gouvernementales à l’Eglise.

Pourtant, ce discours à propos d’une persécution des chrétiens en Chine continue de s’entendre – ou de se laisser entendre – dans les médias et les milieux ecclésiaux hors de Chine. Depuis plus de deux ans, le fait qu’une majorité des préfectures de la province du Zhejiang ait ordonné le retrait des croix surplombants les églises ainsi que la destruction de plusieurs églises illégalement construites, a permis aux tenants de la persécution de souligner la supposée fourberie du gouvernement chinois. Au vu de la complexité souvent contradictoire de la situation des chrétiens en Chine, il convient donc de s’interroger sur la force et l’attrait dont jouit ce discours réducteur. A qui profitent le maintien et la répétition en boucle de ce discours simpliste sur la situation des chrétiens en Chine ?

De notre point de vue, nous voyons plusieurs acteurs qui trouvent un intérêt à entretenir de tels propos sombres et alarmistes. Nous nous permettons d’en pointer trois, bien que la liste puisse être plus longue :

– Une frange du gouvernement chinois lui-même. Laisser dire et répéter ce discours sombre permet à certains, au sein du gouvernement chinois, de continuer à croire que le Parti communiste chinois d’aujourd’hui est entièrement fidèle à la ligne dure du grand Mao. A l’heure où le Parti ne cesse de bouger sur ses bases, à l’heure où les tensions internes entre réformistes et conservateurs sont ravivées par le ralentissement économique, faire résonner le mantra de l’oppression des chrétiens permet de rassurer les tenants de l’orthodoxie maoïste et de la lutte contre l’impérialisme occidental (dont les chrétiens sont, dans ce schéma de pensée, les têtes de pont). Pour les réformateurs soucieux du développement économique et de la stabilité du régime, les difficultés des chrétiens deviennent comme un gage interne donné à la permanence du Parti.

– Des chrétiens chinois : Le discours relatif à la persécution est intéressant pour certains chrétiens eux-mêmes car il s’avère très mobilisateur sur un plan interne (dans l’Eglise de Chine) et sur un plan externe (vis-à-vis des Eglises d’autres pays). Dans les années 1990, être la victime d’une oppression communiste a bien souvent permis aux chrétiens chinois, catholiques et protestants, de recevoir de généreux dons de l’étranger pour faire reconstruire leurs églises de manière souvent triomphante. Après le tournant des années 2000, les dons se sont fait moins généreux mais le discours de la persécution permet toujours d’accumuler du ‘capital symbolique’. Certains chrétiens chinois cultivent ainsi à leur profit une sorte de prestige vis-à-vis des autres Eglises nationales. Plus encore, au niveau interne à l’Eglise en Chine, ce discours de la persécution a un autre avantage. Il permet de rejeter la responsabilité des difficultés de l’Eglise sur un agent extérieur, à savoir la main de fer du gouvernement, et de bâtir un peu trop facilement une unité ecclésiale de façade (s’unir face à un ennemi commun fantasmé). Cela économise pour un temps un coûteux et pénible travail de mémoire et de réconciliation pour dépasser les clivages ecclésiaux actuels. Ces clivages fratricides se poursuivent non seulement pour des raisons historiques, mais de plus en plus pour des raisons économiques et claniques bien moins avouables ! Il est donc plus facile et pudique de jeter la responsabilité sur un gouvernement que l’on présente comme un bloc uni que de s’atteler à un réel travail de réconciliation interne.

– Certains groupes d’étrangers : Différents éléments étrangers peuvent trouver eux-aussi intérêt à ce discours sur la persécution des chrétiens en Chine. Nous nous limiterons à deux illustrations. Tout d’abord, à l’heure où le gouvernement chinois commence à disputer la suprématie américaine, les Etats occidentaux peuvent utiliser ce discours de la persécution pour renforcer et légitimer leur mépris et leur discrédit vis-à-vis du gouvernement chinois. Aux Etats-Unis, la liberté religieuse est une notion facilement manipulable pour nier à un Etat sa légitimité et le faire sombrer dans la catégorie des Etats de « l’axe du mal ». Ensuite, à un niveau ecclésial mais toujours étranger, certains missionnaires peuvent trouver intérêt à entretenir les discours sur la persécution pour conforter leur propre légitimité et s’assurer des soutiens financiers, et ceci tout en s’appuyant sur des récits aussi véridiques que partiels (car tout récit est toujours partiel).

Dans ce contexte où l’on voit la convergence de multiples intérêts et acteurs à différents échelons, il n’est pas étonnant que les discours plus nuancés sur la situation des chrétiens en Chine aient du mal à trouver écho dans les mass-médias et les réseaux ecclésiaux. Ces discours-là sont telle une voix qui crie dans le désert. Or, à l’approche de Noël, chaque chrétien qui s’intéresse à ses sœurs et frères en Chine est appelé à convertir son regard pour passer d’une posture vindicative – telle celle de Jean Baptiste traitant les autres d’engeance de vipère et leur promettant le feu céleste – à une posture aimante, incarnée dans l’humilité, la douceur et la délicatesse de Jésus le Christ.

Nous avons tous à apprendre de ces nombreux chrétiens chinois pour qui critique et jugement sont devenus presque tabou. Après les traumatismes de la Révolution culturelle et des séances forcées de critique populaire, les chrétiens chinois d’aujourd’hui insistent beaucoup pour dire que la foi en Jésus-Christ aide d’abord à se changer soi-même. C’est de cet effort sur soi qui ne cherche ni à contrôler, ni à dominer autrui, que pourra naitre un authentique témoignage chrétien qui ne manquera pas d’inspirer chacun pour renouveler l’Eglise et la société. »

Michel Chambon, 12 novembre 2015

(eda/ra)