Eglises d'Asie – Pakistan
Les attaques d’islamistes visant des chrétiens menacent de gagner l’ensemble du pays, malgré la reprise des opérations militaires gouvernementales contre les talibans
Publié le 25/03/2010
L’attaque a fait quatre blessés graves et un mort, Irfan Masih, un enfant de 11 ans, décédé le 28 avril de sa blessure par balle à la tête (1). Depuis l’incident, quatre familles ont quitté la région et plusieurs musulmans en possession d’armes lourdes ont été arrêtés par la police, dont les chrétiens dénoncent aujourd’hui l’inaction pendant l’attaque.
Selon différents témoignages recueillis sur place, le groupe d’islamistes a envahi Taiser Town une vingtaine de minutes après qu’une manifestation pacifique eut été organisée par une quarantaine de chrétiens, protestant contre des inscriptions récemment badigeonnées sur six de leurs lieux de culte chrétiens, telles que « Vive les talibans ! » ou encore « Chrétiens, convertissez-vous à l’islam ou préparez-vous à payer la jizia ! (taxe prélevée sur les non-musulmans vivant sous la charia, la loi islamique) ». Les manifestants chrétiens s’étaient rapidement dispersés après qu’un groupe d’hommes armés leur ait lancé des pierres avant d’ouvrir le feu.
L’attaque a pris par surprise la communauté chrétienne de Taiser Town : « C’était horrible de les voir pénétrer dans les maisons, frapper les femmes et les traîner par les cheveux », raconte Qudoos Masih, blessé au coude par balle. Zarina Masih, quant à elle, a sauvé sa vie et celle de ses deux sœurs en se cachant sous un lit. « Environ une douzaine d’hommes avec de longues barbes ont pénétré dans notre maison alors que nous étions en train de faire la vaisselle. Ils ont commencé à frapper nos cousins et à détruire nos biens », témoigne-t-elle (2). Elle ajoute que les assaillants les ont traités de kafir (‘infidèles’) et leur ont dit « d’adhérer à l’islam ou de mourir », tout en brûlant les bibles et d’autres ouvrages chrétiens.
A la suite de cette attaque meurtrière, les Eglises chrétiennes ont lancé une chaîne de prière pour les victimes. Le 24 avril, quatre prêtres catholiques se sont rendus sur les lieux du drame, ont visité les blessés à l’hôpital et se sont entretenus avec la communauté chrétienne ainsi qu’avec des représentants du Muttahida Quami Movement (MQM), l’unique parti politique pakistanais qui s’était déclaré opposé à l’application de la charia dans la vallée de Swat.
« Il est temps aujourd’hui pour les chrétiens de faire l’unité. Nous condamnons la talibanisation du pays et l’extrémisme religieux. Nous devons porter l’affaire en justice », a déclaré le P. Emmanuel Yousaf Mani, directeur de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan (NCJP). Il s’est engagé à faire verser 5 000 roupies à chaque victime et 10 000 roupies pour ceux dont les maisons avaient été incendiées.
D’importantes forces de police patrouillent désormais à Taiser Town, mais les chrétiens ont reçu comme consigne de ne pas sortir de leurs habitations pour le moment. Cette attaque, inhabituelle dans la province du Sind, relance l’inquiétude grandissante des chrétiens envers le processus de talibanisation du Pakistan, qui menace de s’étendre au-delà de la Province de la frontière du nord-ouest, où il était jusqu’ici cantonné.
Depuis la signature en février dernier (et sa validation définitive début avril) du très controversé accord entre le gouvernement pakistanais et les islamistes, permettant à ces derniers d’instaurer la charia dans la région de Malakand (comprenant les districts de Swat, Buner, Shangla et Lower Dir) en échange d’un cessez-le-feu (3), les talibans, forts de cette victoire, avaient annoncé leur volonté d’appliquer la loi islamique dans tout le Pakistan.
Les talibans ont rapidement tenté de pousser leur avantage en s’emparant, fin avril, du district de Buner, à une centaine de kilomètres seulement de la capitale, Islamabad. Le 28 avril, cédant à de fortes pressions internationales, le gouvernement pakistanais a lancé une offensive de grande ampleur contre les forces islamistes, reprenant le Lower Dir et, le 29 avril, la ville de Dagar, chef-lieu du district de Buner. Les combats qui se sont poursuivis depuis ont fait, selon le HCR, plus d’un demi-million de déplacés, qui continuent aujourd’hui de fuir la vallée de Swat et sa région (4).