Eglises d'Asie

En Chine, la difficile évangélisation via les réseaux sociaux et les médias en ligne

Publié le 24/11/2015




« On fait attention à ce qu’on publie », témoigne sobrement Yu Hong (le nom a été changé), l’auteur d’un site d’information catholique populaire sur les réseaux sociaux chinois. Dans un pays où les médias officiels sont étroitement contrôlés par le régime, des catholiques investissent les réseaux sociaux pour …

… développer des sites d’information et d’évangélisation. Une entreprise délicate et non dénuée de danger, alors qu’un ancien blogueur catholique connu a récemment trouvé la mort dans des circonstances troubles.

Le jeune homme qui se confie est un journaliste âgé de 25 ans. Il suit l’actualité économique pour l’agence de presse officielle Chine nouvelle (Xinhua). Mais le soir, après sa journée de travail, il passe encore au moins deux heures à écrire. Cette fois, pour un site d’information catholique. Plus précisément, il s’agit d’un compte public sur le réseau social très populaire Wechat, sorte de Facebook chinois. Son compte est suivi par 60 000 personnes. Pour éviter d’attirer l’attention, il préfère que son nom et celui de son site ne soient pas mentionnés.

A la sortie d’une messe à Pékin, ce sont des fidèles qui parlaient de ce compte, grâce auquel ils se tiennent au courant de l’actualité catholique en Chine, mais aussi de la vie du pape et des catholiques du monde entier.

Les sites et comptes proposant informations, prières et exégèse biblique, sont nombreux sur le Web chinois car les grands médias ne couvrent quasiment pas l’actualité religieuse. Mais leur fonctionnement est parfois délicat étant donné le contexte de contrôle strict des religions imposé par les autorités chinoises et alors que Pékin et le Vatican n’entretiennent pas de relations diplomatiques. Par ailleurs, contrairement à nombre de sites occidentaux bloqués par la censure chinoise, le site de Radio Vatican (y compris sa page en langue chinoise) est accessible aux internautes chinois.

Le P. Pedro Yu Heping, âgé de 40 ans, aussi connu sous le nom de Wei Heping, membre de la partie « clandestine » de l’Eglise en Chine, était l’un des premiers acteurs de l’évangélisation en ligne. Il a été retrouvé mort le 8 novembre dernier dans une rivière qui traverse le Shanxi, province située à l’ouest de Pékin.

Après avoir été vu pour la dernière fois le 6 novembre, un de ses proches a reçu un SMS contenant le seul caractère chinois « bie », qui peut être interprété comme « Adieu », mais aussi simplement comme une négation (« ne pas ») au début d’une phrase. Les proches de ce prêtre énergique de veulent pas croire à un suicide.

Né au Shanxi, le P. Yu Heping avait étudié au séminaire de la communauté catholique souterraine de Baoding, au sud de Pékin de 1993 à 1996. Ordonné prêtre dans le Ningxia en 2004, il était parti approfondir ses études de théologie dans des séminaires en Colombie et en Espagne, avant de revenir enseigner dans différents séminaires chinois.

Dans les années 2000, le P. Yu Heping était le webmaster d’un des sites d’information catholiques les plus suivis de Chine, Tianzhujiao Zaixian (‘catholique en ligne’). Mais sa popularité avait aussi attiré l’attention des autorités : le site, qui diffusait beaucoup d’informations au sujet du Vatican, avait été fermé. Quand il avait rouvert, en 2003, le P. Yu Heping n’en faisait officiellement plus partie.

Aujourd’hui, Tianzhujiao Zaixian reste un site actif et complet, même si son lectorat reste modeste : 5 000 à 7 000 lecteurs par articles en moyenne, indiquent les responsables du site, contactés par Eglises d’Asie. Ils affirment d’ailleurs avoir commencé à exister en 2003, après la réouverture du site. « Le site a été créé en 2003, à la fois par des Chinois étudiant à l’étranger, et des Chinois vivant en Chine. Nous sommes tous bénévoles, nous payons les frais de fonctionnement du site nous-mêmes », indique un membre de l’équipe.

Mais eux aussi ont dû faire face à la censure. « Au départ, nos serveurs étaient installés en Chine continentale. Nous recevions souvent l’ordre de supprimer des articles. Face à la pression de plus en plus forte, nous avons choisi de déménager nos serveurs à Hongkong. »

Rétrocédé à la Chine en 1997, après un siècle de pouvoir britannique, Hongkong bénéficie de la formule « un pays, deux systèmes », qui préserve notamment la liberté d’expression sur l’île. Cependant, si le déménagement protège les auteurs des articles, le contenu de ces derniers doit rester mesuré pour que le site reste accessible en Chine.

« C’est un bon site concernant l’actualité catholique de Chine, même s’il n’est pas très rapide sur certaines infos », juge le jeune journaliste Yu Hong. « Mais il est souvent attaqué par des ‘trolls’, qui postent des insultes dans les commentaires à la fin des articles », regrette-t-il.

Pour le jeune homme appartenant à la génération post-1990, la réactivité des réseaux sociaux s’imposait. « J’ai étudié le journalisme et la communication, explique-il. En tant que catholique, pour moi, il est normal de répandre la bonne parole. Et en tant que journaliste, j’avais les moyens de le faire. J’ai commencé un compte sur Weibo (le Twitter chinois) en 2013. Comme cela a bien marché, je me suis mis à écrire de plus en plus, et je suis passé sur Wechat qui est désormais plus populaire. » Yu Hong sait qu’il doit faire attention à ce qu’il écrit. « J’ai beaucoup de lecteurs. Je trouve que ça ne vaut pas le coût de risquer la fermeture pure et simple de mon site, pour un seul article sensible. »

La loi chinoise s’est en effet adaptée à l’arrivée des nouveaux médias. Le site de microblogging Weibo, dont la popularité s’est envolé à partir de 2010, a permis à plusieurs informations censurées dans les médias d’être diffusées. Il permettait aussi aux observateurs de prendre la température d’une partie de l’opinion chinoise. Mais ce site qui offrait un espace de liberté d’expression a été « régulé » en 2012. Pour y publier, il faut désormais s’enregistrer sous son vrai nom, en fournissant son numéro de carte d’identité. Depuis, le réseau social qui comptait 500 millions de comptes en 2012, a perdu près de la moitié de ses utilisateurs, dont un certain nombre, comme Yu Hong, ont migré vers Wechat.

Wechat était au départ une application de conversation en ligne, dont les fonctions se sont élargies pour devenir un réseau plus complet qui permet aussi bien les conversations écrites, orales, vidéos, et le partage de statuts sur un « mur » sur le modèle de Facebook. Mais l’application, qui compte aujourd’hui 670 millions d’utilisateurs, a elle aussi été mise au pas.

Depuis 2014, les webmasters de comptes « officiels », comme Yu Hong, doivent eux aussi s’enregistrer sous leur véritable identité, et s’engager à respecter la réglementation chinoise. Les autorités ont justifié ces règles en accusant les applications de « chat », comme Wechat et QQ, son concurrent, de permettre la diffusion de rumeurs, de pornographie et de propagande terroriste. Ce sont les mêmes arguments qui justifient la censure de l’Internet en Chine. Depuis, des comptes « officiels » sont régulièrement supprimés.

Les comptes personnels en revanche permettent la diffusion d’une personne à l’autre d’articles copiés-collés. Un moyen de faire passer des informations sensibles, comme lors de mouvements sociaux. Lors de la destruction d’un temple protestant l’an dernier à Wenzhou, au Zhejiang, Eglises d’Asie avait ainsi constaté l’usage des « chats » pour diffuser des photos des interventions policières, de fidèles blessés par la police, ou des croix détruites. Si les utilisateurs prennent le risque d’être repérés par les autorités, les messages personnels sont plus rarement supprimés.

(eda/sp)