Eglises d'Asie

Vers un moratoire sur les exécutions capitales ?

Publié le 25/11/2015




« Suite au ralentissement économique actuel, le gouvernement suspend les exécutions des condamnés à mort, afin de se concentrer sur les questions économiques », a déclaré le ministre en charge des Affaires politiques, juridiques et de sécurité, Luhut Panjaitan, lors d’une conférence de presse, le 19 novembre dernier.

Cette annonce, qui constituait un virage à 180° par rapport à la politique adoptée par le président Joko Widodo depuis son arrivée au pouvoir il y a un peu plus d’un an, a cependant été rapidement démentie par le même Luhut Panjaitan. Mardi 24 novembre, le ministre a opéré un rétropédalage dans les règles, déclarant, selon le Jakarta Globe : « Il n’y a pas de moratoire sur les exécutions capitales. A aucun moment, le gouvernement n’a évoqué un quelconque moratoire. Je n’ai jamais dit cela ; ce que j’ai dit, c’est que nous sommes pleinement et complètement concentrés sur la gestion de la conjoncture économique. »

A l’annonce du 19 novembre sur ce moratoire sur les exécutions capitales, des responsables de l’Eglise catholique et d’associations de défense des droits de l’homme s’étaient pourtant félicité de cette décision. « C’est une bonne chose que le gouvernement se concentre sur les priorités économiques plutôt que sur la peine de mort », avait déclaré le P. Benny Susetyo, prêtre catholique indonésien et secrétaire général du Setara Institute for Democracy. « Nous souhaiterions que les trafiquants de drogue reçoivent une peine maximale d’emprisonnement à vie, plutôt que la peine capitale », précisait-il.

D’après le Jakarta Post, la question de la peine de mort avait été abordée, quelques jours auparavant, avec les responsables du gouvernement australien, lors de la visite de Luhut Panjaitan, en Australie. Entre janvier et avril 2015, le gouvernement indonésien avait fait fusiller quatorze condamnés à mort – dont douze ressortissants étrangers –, au complexe pénitentiaire de l’île de Nusakambangan, surnommé « l’Alcatraz indonésien ». En avril, huit ressortissants étrangers (quatre nigérians, un hollandais, un brésilien et deux australiens), condamnés pour trafic de drogues, faisaient partie des exécutés, ce qui avait provoqué une indignation internationale ainsi qu’une crise diplomatique entre l’Indonésie et son voisin australien, lequel avait rappelé son ambassadeur en poste à Djakarta. Ces exécutions intervenaient à la suite de l’élection du président indonésien Joko Widodo qui avait annoncé qu’il n’y aurait « pas de grâce » pour les affaires liées à « la drogue ». Le pays compte aujourd’hui 133 condamnés à mort dont 59 pour trafic de drogue.

Cette suspension des exécutions capitales accordait un répit supplémentaire aux condamnés à mort qui attendent, dans les couloirs de la mort des prisons indonésiennes, la date de leur exécution. Parmi ces derniers, Mary Jane Veloso, Philippine catholique âgée de 30 ans, condamnée à mort après avoir été accusée de faire entrer clandestinement 2,6 kg d’héroïne sur le territoire indonésien. Son exécution, fixée en avril 2015, avait été reportée à la dernière minute, suite à un recours devant la justice, la condamnée à mort ayant déclaré avoir été victime d’un trafic d’êtres humains.
 

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 Mary Jane Veloso, ressortissante philippine condamnée à mort en Indonésie. DR

 

Avant que le ministre Luhut Panjaitan ne revienne sur ses déclarations, les commentaires avaient été nombreux. « C’est un soulagement pour nous, confiait ainsi à l’agence Ucanews, Mgr Ruperto Santos, évêque philippin de Balanga et président de la Commission épiscopale pour les migrants et les gens du voyage de la Conférence épiscopale philippine. Nous avons bon espoir que la vie (de Mary Jane Veloso) soit sauvée et que son innocence soit prouvée ». L’avocat de Mary Jane Veloso, Edre Olalia, espérait que « ce moratoire aboutira à l’abolition définitive de la peine de mort, car nous avons de sérieux doutes sur l’efficacité d’une telle mesure pour réduire le nombre de crimes », ajoutant que « la peine capitale peut conduire à persécuter et tuer des gens innocents, accusés à tort pour différentes raisons ou circonstances ».

En Indonésie, les condamnés à mort sont exécutés par un peloton d’exécution de douze tireurs. Parmi les condamnés à la peine capitale figure le Français Serge Atlaoui. Arrêté en 2005 dans un laboratoire clandestin destiné à la production d’ecstasy, il a été condamné à mort en 2007. Serge Atlaoui a toujours clamé son innocence ; son cas a été largement médiatisé ces derniers mois, notamment lorsque la Cour suprême indonésienne a annoncé, en avril 2015, que son procès ne serait pas révisé. Ce sont les pressions exercées par la France sur le gouvernement indonésien qui, sans doute, lui ont de ne pas figurer au nombre des condamnés fusillés en avril 2015.

(eda/nfb)