Eglises d'Asie

Polémique sur l’usage du mot ‘Allah’ : les chrétiens s’inquiètent de la défense de la liberté religieuse

Publié le 26/01/2015




Epilogue d’une longue bataille judiciaire, la décision rendue le 21 janvier dernier par la Cour fédérale au sujet de l’utilisation du mot ‘Allah’ dans les colonnes du journal catholique The Herald a été déplorée par Mgr Julian Leow. Se déclarant « déçu » de ce jugement, l’archevêque de Kuala Lumpur a toutefois …

… voulu croire qu’il n’était pas le prélude à une remise en cause de la liberté de religion, une liberté inscrite dans la Constitution du pays.

Dans cette affaire, qui a débuté en 2007 par une décision du ministère fédéral de l’Intérieur visant à interdire l’usage du mot ‘Allah’ dans la section en langue malaise de cet hebdomadaire catholique, l’archevêque de Kuala Lumpur, en sa qualité d’éditeur du journal, et le P. Lawrence Andrew, en sa qualité de directeur de la publication, demandaient à la justice malaisienne de se prononcer en dernière instance. Dans le cadre des procès précédents en effet, la première décision de justice, en 2009, avait été favorable à l’Eglise catholique, mais, quelques mois plus tard, ce jugement avait été cassé, décision confirmée en octobre 2013 par la Haute Cour de justice. S’étant pourvue en cassation devant la Cour fédérale, l’Eglise avait vu ce verdict confirmé en mai dernier, et c’était donc devant la cour suprême de la Fédération de Malaisie que l’Eglise demandait un nouveau jugement.

Ce 21 janvier, les cinq juges de la Cour fédérale chargés du dossier n’ont pas examiné la question au fond mais se sont limités à établir l’existence ou non de vices de forme dans le cadre des précédentes procédures. Statuant à l’unanimité, les magistrats ont estimé qu’il n’existait pas de vices de procédure et ont donc débouté l’archevêque de Kuala Lumpur.

Pour Mgr Julian Leow, qui a repris le dossier judiciaire en prenant la succession de Mgr Murphy Pakiam le 6 octobre dernier, la décision des juges est « une déception », qui était toutefois « prévisible ». Exprimant sa réaction à l’agence Fides, il a estimé qu’« après sept ans de batailles juridiques », le procès était « clos » et qu’il fallait « le laisser derrière, afin d’aller de l’avant avec foi ». « L’espoir que nous nourrissons est que la compréhension et le respect réciproque continueront de constituer un point fondamental de la coexistence sociale et religieuse en Malaisie », a-t-il poursuivi, non sans préciser que, dans la compréhension qui était la sienne de ce jugement, l’interdiction d’utiliser le mot ‘Allah’ pour dire le Dieu des chrétiens devra « effectivement être limitée aux colonnes du Herald ». « L’interprétation de la décision ne doit pas [cependant] être étendue aux liturgies, au culte et à la Bible. Nous espérons que cela a été fixé une fois pour toute [par les juges], même si nous voyons que quelques-uns souhaiteraient l’entendre différemment », a encore ajouté Mgr Leow.

Cette allusion de l’archevêque de Kuala Lumpur renvoie aux autres procédures judiciaires en cours, devant différents tribunaux civils du pays, où est en jeu à chaque fois la liberté pour les chrétiens de Malaisie – lesquels représentent environ 9 % des 28 millions de Malaisiens –, d’utiliser le mot ‘Allah’ pour dire Dieu en malais, langue utilisée par les deux tiers d’entre eux dans l’expression de leur foi. Dès le 22 janvier, au lendemain du jugement concernant The Herald, d’autres magistrats de la Cour fédérale ont donné raison au ministère de l’Intérieur dans l’affaire qui l’oppose à un chrétien malaisien qui s’est vu saisir, en mai 2008, un lot de CD à contenu religieux, le mot ‘Allah’ apparaissant dans les titres de ces textes rédigés en indonésien, langue très proche du malais. Là comme dans l’affaire du Herald, l’argument mis en avant par les autorités malaisiennes est que l’usage du mot ‘Allah’ est de nature à semer la confusion dans l’esprit des musulmans et peut constituer une incitation à les convertir – ce qui constitue un crime en droit local.

Pour un certain nombre d’acteurs de la société civile et politique en Malaisie, la décision de la Cour suprême du 21 janvier augure mal de la défense de la liberté de religion, pourtant inscrite dans la Constitution. Gan Peng Sieu, avocat et membre du MCA (Malaysian Chinese Association), parti politique défendant les intérêts de la minorité chinoise, a été chargé par son parti de suivre l’affaire du Herald. Il déplore le fait que les juges n’aient pas saisi l’occasion « de préserver et défendre la Constitution fédérale », laquelle, si elle donne une place particulière à l’islam comme étant « la religion de la Fédération », accorde aussi aux non-musulmans la liberté de pratiquer leur religion pour autant qu’ils ne se livrent pas à des actes de prosélytisme envers les musulmans.

Le paradoxe est que la décision du 21 janvier ne donne pas non plus satisfaction à certains acteurs musulmans de la société civile. Rijal Abu Bakar, président de l’Association des avocats musulmans, a ainsi déclaré que « les musulmans n’[étaient] pas satisfaits [du jugement] car le mot ‘Allah’ a été utilisé en référence à un Dieu non musulman », ajoutant qu’il aurait souhaité que les juges « prononcent une interdiction générale d’utilisation de ce mot par les non-musulmans ».

Selon les observateurs, cette insatisfaction des uns et des autres reflètent les postures contradictoires adoptées par l’UMNO, le parti au pouvoir. Lors de l’assemblée générale de ce parti qui s’est tenue en novembre dernier, on a vu tour à tour le Premier ministre Najib Razak exhorter le gouvernement à se montrer plus accueillant envers les non-musulmans et le Dr Mashitah, prédicateur renommé et ancien « junior minister » du gouvernement, appeler à défendre l’islam en Malaisie des dangers qui, selon lui, le menace, à savoir « la sécularisation, le libéralisme et le christianisme ».

(eda/ra)