Eglises d'Asie – Chine
Tibet : deux anciens hauts responsables des Affaires religieuses accusés de corruption
Publié le 22/12/2015
qui a dirigé l’Administration d’Etat des Affaires religieuses de 1995 à 2009, qui est visé, ainsi que Zhu Weiqun, ancien responsable de la section tibétaine du Front uni.
Selon l’agence Ucanews qui rapporte ces informations, l’affaire a surgi de manière assez inhabituelle dans le paysage médiatique chinois. Habituellement, c’est par la presse officielle que l’on apprend que tel ou tel haut responsable a été relevé de ses fonctions pour « graves violations de la discipline [du Parti communiste chinois] », l’euphémisme par lequel la toute-puissante Commission centrale pour l’inspection de la discipline désigne les faits de corruption. Dans le cas de Ye Xiaowen et de Zhu Weiqun, c’est par un post sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter que la nouvelle a été connue.
Le 12 décembre dernier, Jiangbian Jiacuo, spécialiste de littérature tibétaine et professeur à l’Académie chinoise des sciences sociales, interpelle Ye Xiaowen en ces termes : « Directeur Ye, combien avez-vous touché à titre personnel ? » Le lendemain, le même Jiangbian Jiacuo accuse Zhu Weiqun d’avoir « trempé » dans des affaires de corruption au Tibet, notamment en ce qui concerne le commerce généré autour de la reconnaissance officielle des tulku (ou tulkou), les maîtres spirituels réincarnés du bouddhisme tantrique.
Quelques jours plus tard, les propos du professeur tibétain sont « harmonisés », c’est-à-dire qu’ils disparaissent de Weibo. Mais les accusations proférées restent néanmoins visibles sur le site Internet du l’Institut Pu Shi pour les sciences sociales, un think tank indépendant travaillant à Pékin sur les questions relatives à la place des religions dans la société chinoise, ainsi que sur celui d’Invisible Tibet, animé par la poétesse tibétaine Tsering Woeser.
Pour l’heure, l’affaire semble être restée en l’état, ni Ye Xiaowen, ni Zhu Weiqun n’ayant été arrêtés ou soumis à une enquête. Mais elle jette une lumière crue sur une pratique qui, semble-t-il, a cours à vaste échelle en Chine.
Dans le bouddhisme tibétain traditionnel, les tulku sont des personnalités religieuses reconnues comme réincarnation d’un maître ou d’un lama disparu. Ils sont perçus comme des êtres éminemment supérieurs, qui sont à la limite de l’illumination, mais qui ont choisi de revenir sans cesse, pour aider les autres sur la voie du nirvana. De ce fait, ils attirent de nombreux fidèles qui sont prêts à offrir d’importantes sommes d’argent en offrandes, afin d’obtenir leurs bénédictions.
En 2007, alors que Ye Xiaowen était encore à la tête de l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses, administration centrale qui a rang de ministère dans le système gouvernemental chinois (1), Pékin a promulgué une loi relative au mode de sélection et de reconnaissance des tulku. Si les autorités chinoises avaient en tête la manière dont sera choisie la future réincarnation de l’actuel dalai lama, elles visaient aussi à asseoir leur domination sur un aspect de la vie du bouddhisme tibétain qui a des répercussions bien au-delà des populations tibétaines qui pratiquent le bouddhisme tantrique.
Dans un article d’août 2014, le Global Times – publication connue pour sa ligne nationaliste intransigeante – a mis en avant le fait que le titre de « Bouddha vivant », comme sont aussi désignés les tulku, était devenu une denrée monnayable. Le chiffre de 200 000 yuans était cité (28 200 euros) et un chercheur du Centre de recherche sur la culture tibétaine du Sichuan, Zhang Weiming, y affirmait que de très nombreux « Bouddha vivants » étaient des « imposteurs ». « Ils seraient près de 10 000 à travers la Chine à se faire passer pour des bouddhas réincarnés, alors que l’Etat n’en reconnaît que 1 700 », précisait ce chercheur. Selon des statistiques officielles, sur les 1 700 tulku reconnus, 358 exercent dans la Région autonome du Tibet, qui compte, à elle seule, 1 787 temples.
« En Chine, les faux tulku sont omniprésents et ils menacent le principe de réincarnation », expliquait encore Zhang Weiming au Global Times. En effet, le bouddhisme tibétain, qui pendant longtemps n’a été pratiqué que par les Tibétains, voit actuellement sa popularité s’étendre aux régions côtières de la Chine. Porter un bracelet ou un ruban béni par un tulku est aujourd’hui considéré comme un grand honneur par un nombre croissant de Chinois, en quête de repères spirituels, et de nombreux escrocs surfent sur cette vague pour s’enrichir.
Des fidèles à la lamasserie de Kumbum, à Xi’ning (province du Qinghai).
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Mais, face à cette multiplication de « Bouddhas vivants », des réactions apparaissent. Il y a quelques jours, Baima Aose, autoproclamé « Bouddha vivant », qui était jusqu’à peu le maître spirituel du célèbre acteur de la télévision chinoise Zhang Tielin, a dû présenter des excuses publiques sur le Web, après qu’un monastère tibétain a démenti l’avoir jamais reconnu comme un tulku. Il est désormais accusé de fraudes et d’usage de fausse identité afin d’attirer célébrités et fidèles, dans un but d’enrichissement personnel.
De toute évidence, de hauts fonctionnaires en poste au Tibet ou dans les régions de peuplement tibétain ont été eux aussi sensibles à l’attrait des tulku, soit qu’ils se soient laissés acheter par de faux tulku, soit qu’ils aient directement contribué à créer des tulku imposteurs.
A la fin du mois d’octobre dernier, les autorités chinoises ont fait savoir que 15 responsables du Parti avaient été arrêtés au cours de l’année écoulée, en raison de leurs accointances inappropriées ;en poste au Tibet, il leur est reproché d’avoir eu « une vue incorrecte sur les questions des ethnies minoritaires, en affirmant ne pas avoir de croyance religieuse tout en croyant secrètement ». L’avenir dira si Ye Xiaowen et Zhu Weiqun appartiennent à cette catégorie et s’ils ont directement participé à des fins d’enrichissement personnel grâce au trafic des faux tulku.
(eda/nfb)