Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Les attaques de Pékin contre un maître qigong

Publié le 27/08/2013




L’article ci-dessous, signé de Chris Buckley, paru dans le New York Times du 30 juillet 2013, et traduit par Eglises d’Asie, est le récit de la disgrâce d’un maître qigong qui, à en croire son témoignage, était proche de certains cercles hauts placés avant que ses protecteurs au sein du Parti ne fassent les frais d’une campagne de lutte contre la corruption.

Depuis novembre 2012 et l’accession au pouvoir de l’équipe de Xi Jinping, il apparaît que « le rêve chinois » prôné par ce dernier s’accompagne d’un rejet des « influences extérieures », occidentales surtout. La presse s’est fait l’écho ces dernières semaines d’un mémo du président Xi Jinping à l’attention des principaux dirigeants du Parti. Le « Document 9 » dresse la liste des sept dangers qui menacent la Chine et le monopole exercé par le Parti communiste chinois. Au premier rang figure « la démocratie constitutionnelle occidentale ». Pour les observateurs, cette rhétorique, si elle n’est pas neuve en soi, semble indiquer que « le rêve chinois » ne prendra sans doute pas la coloration souhaitée par les éléments les plus libéraux et réformistes des élites chinoises. Pour autant, les plus hauts dirigeants du pays ne semblent pas non plus décidés à remettre à l’honneur certaines dimensions de la culture chinoise qui serviraient à étayer les « valeurs asiatiques », garantes selon eux d’une harmonie sociale et politique dont le Parti serait le gardien, face à des « valeurs occidentales » synonymes de décadence libérale et de nihilisme individualiste. Echaudés par l’épisode Falungong, à la fin des années 1990, ces hauts dirigeants chinois semblent craindre de voir le pouvoir du Parti concurrencé ou miné de l’intérieur par des croyances mystiques pourtant profondément ancrées dans la culture chinoise.

 

Wang Lin est un maître réputé de la pratique éminemment chinoise du qigong. A l’en croire, ses pouvoirs lui ont permis de guérir des malades du cancer ou encore de faire apparaître ou disparaître des serpents comme par magie. Aussi étendue soit-elle, sa maîtrise du qigong ne l’a toutefois pas protégé du poing vengeur du Parti communiste, qui l’accuse aujourd’hui d’user de la superstition pour s’attirer les faveurs de citoyens ignorants et d’officiels du régime lassés des dogmes du Parti.

Cela fait des semaines qu’à coups de reportages à la télévision, d’articles dans les journaux ou sur Internet, les accusations pleuvent sur Wang Lin : patients envoûtés et escroqués, évasion fiscale et association de malfaiteurs avec des gangs et des fonctionnaires corrompus. [Le 30 juillet 2013], le Quotidien du Peuple, principal journal du Parti communiste chinois, a monté d’un cran l’opprobre officielle en qualifiant Wang Lin d’escroc fournissant un « opium spirituel » à des cadres crédules.

Réfugié à Hongkong pour échapper à une possible arrestation sur le continent, vivant désormais caché, Wang Lin se défend en affirmant qu’il est la victime innocente de règlements de compte politiques qui trouvent leur origine dans un différend commercial parti de sa ville natale, au Jiangxi. (…)

« C’est comme si tout le pays s’était soudainement retourné contre moi, peignant en noir ce qui était blanc jusque-là et vice-versa », explique Wang Lin dans l’entretien qu’il nous a accordé dans la chambre de l’hôtel chic où il s’est réfugié pour échapper aux journalistes – et, ajoutent ses associés – , aux officiels du continent. « Cela dépasse mon entendement », affirme-t-il.

Là où les dirigeants chinois présentent leur pays comme un modèle de modernisation achevée, Wang Lin et sa soudaine mise en lumière témoignent de manière frappante des attraits et des dangers liés aux croyances traditionnelles que le gouvernement a le plus souvent cherché à contenir, voire à supprimer. Après avoir toléré Wang Lin pendant des années, le gouvernement cherche désormais à l’abattre en le présentant comme l’incarnation du comportement corrompu et de la dégradation idéologique qui gangrènent le Parti communiste, un thème que le secrétaire général du Parti et président de la République Xi Jinping aime à développer.

A en croire le Quotidien du Peuple, « les personnes comme Wang Lin sont l’opium spirituel de certains officiels. Wang Lin est également le miroir qui reflète l’insatiable cupidité et l’âme noire de certains représentants de l’Etat ». L’organe de presse ajoute que ces officiels devraient tout au contraire raviver leur foi dans le marxisme-léninisme, un autre thème souvent repris par Xi Jinping. « Les brillantes démonstrations et séries d’escroqueries de Wang Lin et de ses semblables ne doivent pas devenir la nourriture quotidienne des esprits de certains officiels », menace encore le quotidien.

Portant au doigt une bague scintillante et au poignet une montre de prix comme la plupart des « nouveaux riches » chinois, Wang Lin affirme que « s’[il] revient [sur le continent], [il] sera sans aucun doute arrêté ». Il soutient qu’il a gagné son argent honnêtement et n’a jamais escroqué ni hauts fonctionnaires ni personnes malades venues chercher de l’aide auprès de lui. « J’ai toujours été discret et je ne me suis jamais poussé en avant, explique-t-il, mais il semble que désormais les médias peuvent me traiter comme un criminel et dire n’importe quoi à mon sujet. »

L’art du qigong est fondé sur d’antiques croyances chinoises selon lesquelles les énergies du corps peuvent être canalisées en utilisant la respiration, des massages et des techniques de méditation pour être transformées en force servant à guérir, à se maintenir en bonne santé et, ajoutent certains, à développer des capacités surnaturelles étonnantes. Sous Mao Zedong, le qigong a survécu tout en s’adaptant au contrôle exercé par le Parti communiste mais, à l’image de toutes les autres croyances et pratiques traditionnelles, il a été tenu à distance par le régime. Dès le début des années 1980, le qigong a connu un renouveau certain, au même titre que bon nombre de pratiques traditionnelles qui retrouvèrent des adeptes enthousiastes et nombreux et même un soutien officiel sous l’ère Deng Xiaoping. Cependant, après 1999, le qigong s’est de nouveau heurté à un mur de suspicion lorsque le Parti a décrété l’élimination du Falungong, ce mouvement spirituel dont le corpus de croyances faisait une large place aux fondements et exercices de qigong.

Avec ses 61 ans, ses sourcils soigneusement dessinés et ses cheveux plaqués en arrière, Wang Lin s’était bâti une réputation dans le milieu huppé des hommes d’affaires, des hauts fonctionnaires et autres personnalités importantes, à en croire les articles parus dans la presse chinoise. Sa chute a commencé lorsqu’on a commencé à parler abondamment de ses rencontres avec Jack Ma, l’un des plus riches entrepreneurs du pays [NdT – fondateur du site de commerce en ligne Alibaba], avec Liu Zhijun, l’ex-ministre des Chemins de fer [NdT – de 2003 à 2001] récemment condamné et emprisonné pour corruption, ainsi qu’avec d’autres personnalités en vue.

« Les photos de ces rencontres ont amené Wang Lin sous les projecteurs et la publicité qui en a résulté a fatalement attiré l’attention des autorités sur sa personne, explique Sima Nan, animateur TV et personnalité médiatique de Pékin qui a été l’un des dénonciateurs du maître qigong. Wang Lin était devenu très proche de certains officiels, et pas seulement des quelques-uns dont l’identité a été divulguée sur Internet. Il était nécessaire de faire un exemple, en mettant fin à ses activités et en visant aussi ceux qui l’avaient encouragé. »

Wang Lin se défend en expliquant que ses relations avec ces hauts fonctionnaires se faisaient en toute transparence. Il raconte notamment avoir rencontré l’ancien ministre Liu Zhijun, pour discuter d’une affaire commerciale impliquant un de ses amis. Il dément les informations parues dans la presse selon lesquelles il lui aurait promis qu’il ne serait pas chassé du pouvoir.

Au sein des élites chinoises, plongées dans une société matérialiste au point d’en perdre la tête, certaines personnes peuvent se sentir attirées par des croyances mystiques leur donnant une sorte de but dans la vie, explique Yu Shicun, un écrivain de Pékin qui a étudié les croyances traditionnelles chinoises. On ne compte plus les officiels qui ont recours au feng shui, cette antique pratique visant à aménager son environnement de manière à chasser les ondes négatives et retenir les forces positives.

« L’éducation dispensée en Chine est si rigide et étriquée que les gens ont le sentiment de manquer de croyances solides sur lesquelles s’appuyer, ce qui les rend capables de croire en à peu près n’importe quoi, développe Yu Shicun. La Chine est riche en traditions qui peuvent séduire les gens, mais ces traditions ont été transformées au point d’en être déformées ou même détruites par l’environnement dans lequel elles doivent essayer de survivre aujourd’hui. »

Wang Lin se montre réticent à discuter du fait qu’il aurait déclaré disposer de pouvoirs psychiques lui permettant de déplacer de lourds objets, mais il précise que ses « démonstrations » consistant à faire apparaître ou disparaître des serpents comme par magie n’étaient que des « trucs » pour divertir ses amis.

« Vous pouvez mettre l’étiquette qigong sur bien des choses, explique-t-il dans un mandarin teinté d’un fort accent du Jiangxi. Pour ma part, je ne me suis jamais présenté comme un maître qigong. Ce sont les autres qui m’ont appelé ainsi. »

Un ami qui l’a accompagné à Hongkong se montre cependant plus enthousiaste à l’égard des pouvoirs supposés de Wang Lin. « Je le connais depuis vingt ans et je peux vous assurer que tant que vous n’avez pas vu de vos yeux ce dont il est capable, vous ne pouvez pas y croire », assure Peng Taifeng, qui travaille dans le négoce du charbon à Shenzhen, la ville qui a surgi aux portes de Hongkong à la faveur des réformes initiées par Deng Xiaoping.

Wang Lin, qui dispose d’un permis de résident permanent à Hongkong, précise qu’il n’a pas l’intention de retourner sur le continent. Il compare son sort à celui d’Edward J. Snowden, cet Américain qui ayant travaillé pour la NSA a dû se cacher quelque temps dans un hôtel de Hongkong pour avoir rendu publique la surveillance exercée par les agences américaines sur Internet. « Nous sommes semblables, déclare Wang Lin. Nous sommes tous deux victimes d’une persécution politique. »