Eglises d'Asie

« L’Eglise en Chine a un besoin urgent de se mettre à l’école du pape François »

Publié le 22/01/2016




L’intérêt manifesté en Occident pour l’Eglise en Chine cache mal une relative méconnaissance de sa réalité et de son quotidien. Les articles qui lui sont consacrés s’intéressent le plus souvent à la question de ses relations avec Rome ou de ses divisions entre communautés « officielles » …

… et « clandestines ». Rares finalement sont les voix qui s’expriment de l’intérieur de l’Eglise de Chine pour décrire ses beautés et ses faiblesses, ses aspirations et ses découragements. La présente étude donne à entendre une voix catholique chinoise.

Elle a été rédigée par le P. Paul Han, prêtre de la province du Hebei et membre de la société missionnaire des SVD (Serviteurs du Verbe Divin). Publiée en novembre dernier par Religions & Christianity in Today’s China, le e-journal de China-Zentrum, centre catholique d’études de la Chine installé à Sankt-Augustin, en Allemagne, elle a été écrite à l’occasion du 9ème Colloque catholique européen consacré à la Chine, qui a eu lieu en Pologne en septembre 2015 et dont le thème était : « Les défis de l’évangélisation – Chine et Europe ».

Le P. Paul Han a été ordonné prêtre en 2006 et a ensuite été directeur adjoint de la fondation Jinde Charities, la plus importante organisation caritative catholique de Chine, pendant trois ans, avant de devenir membre permanent de son conseil d’administration, fonction qu’il occupe encore actuellement. Le P. Han enseigne également l’histoire de l’Eglise au grand séminaire catholique du Hebei.

La traduction française de ce texte est de Charles de Pechpeyrou.

« L’Eglise en Chine a un besoin urgent de se mettre à l’école du pape François »

par le P. Paul Han, SVD

Aujourd’hui, plus de deux ans se sont écoulés depuis le moment où le pape François est devenu le successeur de Saint Pierre et a pris la responsabilité de l’Eglise catholique. Par les homélies de ce pape argentin, les fidèles ont pu découvrir une vision plus large de l’Eglise. Grâce également à d’autres moyens de communication tels que des interviews accordés aux médias, ou bien encore les exhortations apostoliques Evangelii Gaudium et Laudato Si’ et la Bulle d’indiction du Jubilé de la Miséricorde, le pape ne cesse de témoigner de la venue du Royaume de Dieu sur terre.

En ce qui concerne la société et l’Eglise en Chine et en Extrême-Orient, le pape a montré son intérêt et son amour pour cette région du monde. Il a exprimé non seulement ses sentiments par sa prière sincère et constante, mais il nous a également encouragé à relire la lettre pastorale adressée par le pape Benoît XVI, en 2007, à l’Eglise en Chine, parce qu’il est convaincu que « cette lettre est toujours d’actualité et qu’il est bon de la relire ».

Après une brève introduction concernant la situation actuelle de l’Eglise en Chine et à la lumière de l’exhortation apostolique du pape François, de la bulle qu’il a publiée, des lettres qu’il a écrites et de l’esprit qui imprègne ses conversations et ses homélies, cet article a pour but de présenter quelques-unes de mes opinions et observations. J’espère que d’autres personnes entreront dans cette démarche de réflexion et de discussion, de telle sorte qu’elles pourront également apporter leurs précieuses idées et qu’un plus grand nombre de personnes prêteront attention aux besoins et à l’avenir de l’Eglise en Chine.

Les défis de l’Eglise catholique en Chine en tant que groupe marginalisé

L’histoire moderne et contemporaine de l’Eglise en Chine s’étend sur plus de 400 ans, depuis l’arrivée du jésuite Matteo Ricci dans ce pays. Alors que 1,4 milliard d’habitants vivent actuellement sur ce vaste territoire, l’Eglise n’y est qu’un « petit troupeau » encore incapable de se dégager des pressions et des défis qui lui viennent à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. Tout d’abord, regardons les statistiques concernant l’Eglise (1) :

 

Peu importe si les statistiques concernant le nombre de fidèles sont correctes, fiables ou non ; si nous ne prêtons attention qu’à la progression des vocations de prêtres et de religieuses en Chine, nous avons suffisamment de raisons d’être satisfaits de la situation. Je n’ai pas l’intention de négliger ce fait réjouissant et encore moins celle de nier que beaucoup de prêtres, de religieuses et de laïcs se dévouent avec générosité et créativité aux tâches pastorales et évangéliques (2), mais je voudrais tout de même attirer l’attention sur la crise et les défis qui se cachent derrière ces statistiques.

Comme chacun sait, lorsque le processus d’ouverture et de réforme a été mis en œuvre dans le pays au début des années 1980, l’Eglise en Chine a, elle aussi, accueilli le printemps qui faisait suite à un long et rigoureux hiver. Des prêtres et des supérieurs d’ordres religieux de l’ancienne génération ont été libérés de prisons ou des camps de travail. Peu après, avec toutes leurs forces et leur énergie, ils ont assumé la lourde responsabilité de revivifier la vie ecclésiale et de former les jeunes vocations. En un temps relativement court, ils ont obtenu des succès remarquables. Cependant, juste pendant la période où le pays et l’Eglise étaient l’un et l’autre en train de se débarrasser de ce qui était ancien et de faire bon accueil à ce qui était nouveau, afin d’effectuer les transformations souhaitées, les succès et les problèmes sont arrivés ensemble.

En premier lieu, pendant le processus de développement rapide créé par les réformes et par l’ouverture de la Chine au monde extérieur, le gouvernement et le peuple ont dû affronter un grand nombre de problèmes sociaux graves et épineux, comme par exemple l’opposition entre ce qui était ancien et ce qui était nouveau, la croissance déséquilibrée et excessive de l’économie, l’écart de plus en plus béant entre les riches et les pauvres, la corruption des fonctionnaires, le manque d’honnêteté et de confiance au sein de la société, l’éclatement des structures familiales, l’augmentation des comportements criminels chez les jeunes, la pandémie du sida, etc. De plus, conformément à une tendance internationale, toutes sortes de conflits d’idées et de problèmes aggravent la situation intérieure, sans que des solutions soient trouvées. Ce genre de problèmes va perdurer, à moins qu’ils ne viennent aggraver la situation.

En second lieu, bien que l’on puisse dire que le modèle économique chinois, en termes de réalisations, ne soit pas en retard par rapport à la « société capitaliste » occidentale, un courant sous-jacent relativement conservateur continue à être prédominant dans le domaine politique (3). Non seulement ce courant limite l’ouverture de la société chinoise à de nouvelles réformes, mais il exerce également une influence considérable sur le développement normal de la vie religieuse. Pour ce qui est du fonctionnement administratif et opérationnel de l’Eglise catholique, en raison des relations fluctuantes entre la Chine et le Vatican, marquées par de nombreux rebondissements, on trouve beaucoup de conflits et de confusions. On peut notamment citer : les limites incertaines des anciens et des nouveaux diocèses, la division entre les communautés ecclésiales officielles et les communautés clandestines, le fait que certains diocèses restent longtemps sans évêque, le manque de clarté des missions et de l’affectation de beaucoup de prêtres, l’administration laxiste de certains ordres religieux, etc.

Globalement, il y a aujourd’hui dans le pays un grand nombre d’églises, grandes ou petites, vieilles ou neuves, où peuvent être exercées des activités religieuses normales, telles que l’administration des sacrements et la diffusion de l’Evangile. De plus, chaque année, de nombreux non chrétiens rejoignent la communauté ecclésiale. Parallèlement, des groupes et des personnes individuelles catholiques de Taiwan, Hongkong, Macao, mais aussi d’Europe et d’Amérique, rendent visite aux communautés de Chine continentale ; ils offrent un soutien pour la formation du clergé et fournissent une aide matérielle. L’objet de leurs visites peut être décrit comme « fréquent », « abondant », « généreux », « désintéressé ».

Le plus encourageant est que beaucoup de jeunes, hommes et femmes, pleins de vitalité, en bonne santé et dynamiques, souhaitent servir l’Eglise par des actions concrètes et ne craignent pas les sacrifices et l’engagement. Il y a également parmi eux un nombre non négligeable de gens prêts à se consacrer complètement à l’évangélisation, en choisissant de devenir prêtres ou d’entrer dans un ordre religieux (comme le montrent les statistiques présentées précédemment).

Néanmoins, il existe un phénomène qu’on ne peut nier : c’est l’arrêt du développement de l’Eglise en Chine pendant trente ans (de 1950 à 1980). Cela explique en très grande partie la situation actuelle de l’Eglise, qui ressemble à un bébé qu’on aurait peu alimenté pendant une longue période et qui présenterait maintenant des symptômes de sous-alimentation. D’un côté, ce bébé manifeste les signes d’une volonté d’être nourri et de récupérer après avoir été trop longtemps privé nourriture. D’un autre côté, le bébé fait preuve de nombreux signes inquiétants, tels une organisation de l’Eglise peu rigoureuse et faible, une pensée théologique peu à jour et une conception datée de la spiritualité, une perte de contact avec la vie sociale, des conflits internes récurrents, etc.

Non seulement la situation de la société a un impact sur le développement de l’Eglise dans son ensemble, mais elle influence directement la croissance normale et la formation de la vie du clergé et des ordres religieux. Ces problèmes peuvent être résumés de la manière suivante :

La difficile transition de ce qui est ancien à ce qui est nouveau

Pendant la « phase de convalescence » des années 1980, comme il a fallu que la génération précédente de prêtres et de religieux se charge de la tâche considérable qu’était la transition historique, l’Eglise, du haut en bas, leur a manifesté beaucoup d’estime et de gratitude ; puis le clergé et les religieux de la nouvelle génération sont naturellement devenus, à leur tour, le point de convergence de l’espoir et de l’avenir de l’Eglise. A cette époque-là, le nombre de jeunes gens qui décidaient de devenir prêtres ou d’entrer dans la vie religieuse augmentait sans cesse. Naturellement, les critères requis pour les vocations sacerdotales et religieuses n’étaient pas très élevés, puisque l’Eglise en manquait. Alors que leur nombre augmentait assez rapidement, la qualité était relativement négligée.

Ne disposant pas de l’environnement convenable d’un séminaire, ajoutant à cela leur ignorance de la substance de Vatican II, les représentants de la nouvelle génération avaient une compréhension de l’Eglise et de la vocation religieuse qui était, par sa parole et son exemple, celle que la génération précédente leur avait transmise de l’enseignement traditionnel en matière de théologie et de spiritualité. En même temps, bien souvent, ces vieux prêtres et supérieurs religieux qui venaient de sortir des troubles de la Révolution culturelle (1966-1976) portaient eux-mêmes des blessures et des traumatismes dans leur corps, dans leur cœur et dans leur âme. Sans jamais avoir reçu l’attention adaptée qui aurait permis leur guérison et leur intégration, ils ont dû se mettre immédiatement au travail pour diffuser l’Evangile et participer à la formation des jeunes vocations. Tout naturellement, ils ont transmis à la génération suivante leurs blessures et leurs expériences traumatisantes.

Au fil du temps, les représentants de la génération précédente sont parvenus l’un après l’autre au repos éternel. Il a fallu qu’à son tour la nouvelle génération prenne à son compte toutes ces lourdes charges, en assez peu de temps, et qu’elle continue à avancer. Or, à ce moment-là, la société et l’environnement de l’Eglise avaient déjà été soumis à un formidable changement. L’urbanisation, en particulier, avait très rapidement pris place en Chine et la plupart des jeunes prêtres et religieux, qui venaient de la campagne, se sentaient perdus et étaient incapables de faire face à ce phénomène. Bien sûr, ils se donnaient du mal pour s’adapter et pour s’accommoder de la nouvelle situation de l’Eglise et de la société.

Toutefois, l’ancienne pensée théologique et spirituelle, les modèles d’évangélisation et les méthodes d’administration qui leur étaient devenus familiers, mettaient souvent de la confusion dans leur esprit et leurs actions. De plus, les nouvelles blessures et les vieilles cicatrices, qui étaient incrustées profondément dans leurs cœurs, ont commencé à se rouvrir, au moment de la crise de la cinquantaine. Peu à peu, bon nombre d’évêques, de prêtres et de religieuses, honnêtes, jeunes et prometteurs, n’ont plus su quoi faire. A leur tour, ils ont choisi, soit de revenir à une impasse plutôt conservatrice et sans vie, soit d’adopter des moyens et des méthodes plutôt déraisonnables d’évangélisation et d’administration, afin de se tirer d’embarras. Mais bien souvent, cela s’est terminé par une confusion et un chaos encore plus grand. En fin de compte, ils se sont lassés de tout ; certains ont abandonné le sacerdoce ou la vie religieuse ; d’autres sont tombés malades en raison d’une surcharge constante de travail ; certains sont même morts dans la fleur de l’âge. C’est une grande perte pour l’Eglise et une triste tragédie pour la jeune génération de prêtres et de religieuses (4).

Il existe également un autre phénomène qu’on ne peut négliger. Au cours de ces dernières années, des prêtres et des religieuses sont revenus à la communauté ecclésiale de leur ville d’origine, après avoir passé plusieurs années à l’étranger pour y poursuivre des études. Mais ils ont été obligés – en raison des difficultés et des problèmes qu’ils rencontraient quand ils cherchaient un cadre de vie où ils pourraient faire bon usage de leurs talents et de leurs compétences – de choisir une autre forme de vie et de service. Bien que certaines personnes puissent expliquer autrement cette situation, je continue à y voir le résultat de la difficile transition entre l’ancienne et la nouvelle génération, dans laquelle ils n’ont pas réussi à trouver la bonne voie.

Le manque d’intégration et d’orientation dans la formation actuelle des prêtres et des vocations religieuses

La conception de la théologie et de la spiritualité qui est celle du concile Vatican II étant mieux comprise, un nombre croissant de communautés ecclésiales locales et de congrégations religieuses en Chine ont commencé, chacune avec ses moyens spécifiques, à prendre en charge la formation relative à leur vie de foi et aux vocations. Le but est de fournir un aliment supplémentaire au clergé et aux membres des ordres religieux qui, pour des raisons historiques, ont souffert de « malnutrition ». Actuellement, en plus des huit grands séminaires reconnus officiellement qui appliquent le programme normal de formation des prêtres et des religieuses, certains diocèses et certains ordres religieux ont également organisé leurs propres programmes de formation, dont le principal objectif est de donner aux religieuses et aux laïcs, la possibilité d’une formation continue dans le domaine de la foi. A cela s’ajoute le fait que certaines communautés ecclésiales et certains organismes, situés hors de Chine, ont organisé, à l’étranger, des programmes d’éducation courts pour le clergé et les religieuses de Chine continentale, faisant de gros efforts et apportant un soutien financier substantiel pour faire face aux besoins de l’Eglise en Chine continentale. Tous ces efforts ont une grande valeur et ils sont extrêmement appréciés.

Cependant, il y a un aspect important dont il faut tenir compte, c’est celui de la pénurie d’enseignants qualifiés, qui est devenue un sérieux problème pour l’Eglise. Quelques enseignants, spécialisés dans certains domaines, courent sans cesse entre les différents séminaires, diocèses et congrégations sans jamais se reposer, simplement pour satisfaire les besoins de chacun. De ce fait, beaucoup de ces organismes se bornent à donner des cours intensifs de courte durée, afin de traiter en quelques jours un programme d’enseignement que des séminaires ordinaires mettraient tout un semestre à étudier. Le résultat est que les professeurs et les étudiants sont souvent tendus et fatigués ; par conséquent, les uns et les autres n’ont pas assez de temps pour communiquer, partager, et discuter des différentes questions. Qui plus est, ils ne peuvent même pas vraiment assimiler le contenu des matières étudiées et ne vont donc pas produire les résultats escomptés pour ce programme d’études.

Un autre problème doit également être traité : en plusieurs lieux, j’ai rencontré des étudiants qui avaient suivi plusieurs fois des cours dont le contenu était à peu près identique, ou d’autres qui avaient participé à des programmes de formation sans lien avec le ministère pastoral dans lequel ils étaient engagés. Cela pourrait être dû au fait qu’un certain nombre d’étudiants est nécessaire pour que certains programmes d’études spécifiques puissent avoir lieu ; par conséquent, ceux qui vont assister aux cours ne font pas l’objet de contrôles permettant de voir s’ils ont ou non le profil requis. Il se pourrait aussi que ce soit simplement par envie de suivre la mode que certains étudiants suivent ces cours, sans savoir exactement ce que l’on y apprend et si cela leur sera utile plus tard. Si la formation continue, ciblée sur le clergé et les membres d’ordres religieux, continue à aller dans cette direction, cela va sûrement faire naître des doutes et des inquiétudes quant à sa crédibilité et son utilité.

Sécularisation, scepticisme et indifférence à l’égard des vocations sacerdotales et religieuses

La sécularisation a apporté à la vie sacerdotale et religieuse au sein de l’Eglise catholique dans tous les pays d’Europe et d’Amérique beaucoup d’influences négatives qui ne peuvent pas être négligées. Le clergé et les membres d’ordres religieux de l’Eglise qui est en Chine sont également affectés et ils ne peuvent échapper à cet impact de la sécularisation. En particulier, alors que l’économie de la Chine progressait et que son niveau de vie s’élevait, la vie des prêtres et des religieux appartenant à la génération précédente, qui avaient été privés des produits les plus nécessaires à la vie quotidienne et qui avaient enduré de grandes épreuves dans leur jeunesse, était arrivée à son terme. Chez certains prêtres et religieux est ensuite né le vif désir de profiter des plaisirs matériels et d’accumuler des richesses. Une telle obsession a naturellement abouti à l’affaiblissement des critères moraux des pasteurs et à un affadissement de leur vie spirituelle. Ces dernières années, dans toute l’Eglise, des histoires de scandales sont régulièrement remontées à la surface, ce qui montre la gravité du problème. Bien que la sécularisation ne frappe pas seulement l’Eglise catholique et s’étend aux autres religions, peut-être de manière encore plus profonde et étendue, le pouvoir de destruction qu’elle exerce sur le « petit troupeau » qu’est l’Eglise catholique en Chine est assez important.

Actuellement, la mentalité sécularisée du clergé et des membres de communautés religieuses fait naître de la déception et de la souffrance chez un grand nombre de fidèles laïcs et elle crée également beaucoup de suspicion et d’indifférence, à l’égard de la vocation sacerdotale et religieuse. Lorsque cette suspicion et cette indifférence atteignent un certain niveau, cela engendre tôt ou tard une sorte d’idéologie hostile aux prêtres et aux religieux dans certaines branches de la population. Conscients de ce problème, nous ne devons pas être surpris si, en de nombreuses circonstances et à beaucoup d’endroits, l’opinion selon laquelle « la vie de prêtre ou de religieux ne sert à rien » gagne du terrain.

D’autre part, si ces phénomènes continuent à se produire, ils vont également nuire à l’image des prêtres et religieux fervents qui travaillent avec ardeur. L’une des conséquences à ce problème est que certains de ceux qui pourraient penser à une vocation religieuse ou sacerdotale vont y renoncer. Au cours de ces dernières années, on a également vu un grand nombre de prêtres et de membres de congrégations religieuses qui ont renoncé à leur vocation et sont revenus à l’état laïque. Le nombre de nouvelles vocations baisse visiblement, ce qui fait qu’il nous faut prendre conscience que l’Eglise en Chine, connaît, elle aussi, une « crise des vocations » et que désormais ce phénomène n’est plus seulement une caractéristique de l’Eglise en Europe ou en Amérique (5).

Il est important de comprendre que l’analyse ci-dessus ne couvre pas tous les problèmes et tous les défis de l’Eglise en Chine. De même, on ne peut nier qu’un grand nombre de prêtres et de religieux accomplissent leur mission et vivent leur vocation fidèlement et loyalement, malgré les diverses difficultés. Il est certain que l’Eglise en Chine doit se soucier de la reconstruction physique et de l’entretien de ses édifices mais, pour être plus saine et plus mûre, une Eglise a besoin de la régénération et du rétablissement de son orientation spirituelle, tout particulièrement en ce qui concerne la guérison spirituelle et le renouvellement du clergé, des membres de congrégations religieuses et des fidèles laïcs.

La question des relations entre la Chine et le Vatican

Il existe une autre source majeure de difficultés : c’est la rupture des relations entre la Chine et le Vatican qui dure maintenant depuis de nombreuses années. Si la question des relations entre la Chine et le Vatican connaissait une évolution positive, cela pourrait certainement avoir une influence directe sur le développement futur de l’Eglise en Chine. Nous constatons avec joie que le pape François, bien qu’il soit très occupé, n’a pas oublié la lointaine Chine. Au contraire, il pense souvent à la société et à l’Eglise de Chine et la porte dans son cœur.

Le 13 mars 2014 a été le premier anniversaire de l’élection du pape François. Ce jour-là, il a donné, à la fois à la société et à l’Eglise en Chine, de la joie et du réconfort d’une manière tout à fait imprévue : alors que beaucoup de gens, en raison du silence qu’il avait gardé à propos de l’Eglise en Chine, étaient mal à l’aise et inquiets, il a affirmé de manière explicite, dans une déclaration rapportée par le Corriere della Sera : « J’ai de la sympathie pour la Chine. Le président Xi Jinping a été élu trois jours après moi (6). Après son élection, je lui ai adressé une lettre et il m’a répondu. Nous sommes en contact avec la Chine. J’ai vraiment de la sympathie pour cette grande nation. »

Le 14 août de la même année, lors du voyage qui le conduisait à Séoul, en Corée du Sud, à l’occasion duquel le gouvernement chinois avait donné l’autorisation de survoler son territoire, il a adressé un télégramme de vœux au président Xi Jinping : « Au moment d’entrer dans l’espace aérien chinois, j’adresse mes meilleurs vœux à Votre Excellence, ainsi qu’à ses concitoyens et j’invoque la bénédiction divine de paix et de bien-être sur votre pays » (7). Lors du voyage de retour qui le ramenait de Corée du Sud à Rome, le 18 août, il a de nouveau envoyé un message de vœux à Xi Jinping, après quoi il a déclaré aux journalistes : « En ce qui concerne le problème chinois, nous ne devons pas oublier ce document fondamental qu’est la Lettre aux Chinois écrite par le pape Benoît XVI. Cette lettre est encore d’actualité aujourd’hui. Il est bon de la relire. Le Saint-Siège est toujours ouvert aux contacts : toujours, parce qu’il a une véritable estime pour le peuple chinois » (8).

Ces bénédictions données par le pape François à la société chinoise et son attitude envers l’Eglise en Chine, n’exprimaient pas seulement de la sympathie et de l’amour sincères en sa qualité de pasteur suprême de l’Eglise ; elles manifestaient également au gouvernement et au peuple chinois son amitié et son sincère désir de dialogue. En même temps, elles étaient caractéristiques du « style François ».

Néanmoins, suite aux manifestations de préoccupation du pape François à l’égard de la société et de l’Eglise en Chine, il semble qu’il existe deux voix différentes parmi les gens d’Eglise, en Chine et en dehors, lorsqu’il s’agit de savoir s’il existe un espoir de voir naître un véritable dialogue Chine–Vatican, et si des négociations pourraient ouvrir la voie à l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et le Saint-Siège.

D’un côté, il y a eu les évêques tels Mgr Wei Jingyi, de Qiqihar, Mgr Han Zhihai, de Lanzhou, Mgr Xie Tingzhe, de Xinjiang, Mgr Ma Cunguo, de Shuozhou, Mgr Huo Cheng, de Fenyang, qui ont été interviewés par Vatican Insider, au cours de la première moitié de l’année 2015 et qui représentaient la voix de l’« Eglise de Chine » (9). Leurs voix sont en accord avec celles du pape François, du cardinal Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, et du P. Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, etc. Bien qu’ils aient clairement souligné que les problèmes internes de l’Eglise en Chine et les conflits entre la Chine et le Vatican ne sont pas une question simple qui pourrait être résolue du jour au lendemain, ils ont également déclaré que l’Eglise ne devait pas rester passive et attendre que le gouvernement chinois ait complètement dissous l’Association patriotique (qui a déjà une histoire de près de 60 ans), pour entamer le dialogue et la coopération. Faisant face aux difficultés et à la résistance, les catholiques doivent, sous l’inspiration et à la lumière de la vérité de l’Evangile, être encore plus prêts à tendre la main avec miséricorde, bonté, pardon et réconciliation à ceux qui ont été, dès l’origine, des ennemis absolument irréconciliables. En agissant ainsi, nous essaierons non seulement de transformer des ennemis en amis, mais également de conquérir des « disciples cachés parmi les ennemis » (10).

Et pourtant, il existe des voix totalement opposées pour qui le gouvernement chinois actuel ne changera pas d’attitude, soulignant que des évêques « disparus » depuis de nombreuses années n’ont toujours pas été libérés. Si l’Eglise décidait de discuter avec ce gouvernement et de commencer à dialoguer avec lui, cela reviendrait à renoncer à ses principes, à faire beaucoup de tort à sa foi et à ne pas tenir compte de la justice. Il y a même des gens qui ont critiqué Vatican Insider pour avoir interviewé des évêques de Chine continentale, en disant que c’était « cruel pour les évêques et trompeur pour les lecteurs », parce que « les évêques ne sont pas des gens libres et qu’ils ne sont pas en mesure de dire en public ce qu’ils aimeraient dire », et que ceux qui croient que les évêques peuvent parler librement sont plutôt « naïfs » (11). Il existe également des personnes pour qui il n’y a « pas d’accord possible entre la Chine et le Vatican » parce que « Pékin veut tout contrôler » (12). Lorsqu’il a été question de se référer au « modèle vietnamien » pour la nomination des évêques en Chine, comme le suggérait le P. Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, il y a eu encore plus de soupçons et de critiques (13).

S’il y a des gens qui défendent fermement une telle opinion, c’est, d’après ce que j’ai pu constater, parce qu’il y a des lecteurs, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise en Chine, qui négligent, consciemment ou non, la véritable attitude et l’esprit du pape François, exprimés dans ses homélies, ses visites pastorales, ses exhortations apostoliques et le Jubilé de la miséricorde, qui sont toutes absolument conformes, dans la forme et dans l’esprit, à la lettre écrite par Benoît XVI. Ces gens ne tournent leur attention que vers « certains organismes, voulus par l’Etat et étrangers à la structure de l’Eglise, dont la prétention de se placer au-dessus des évêques eux-mêmes et de guider la vie de la communauté ecclésiale, ne correspond pas à la doctrine catholique » (Lettre de Benoît XVI, n° 7). Ces « organismes » sont certainement « voulus par l’Etat et étrangers à la structure de l’Eglise ». Cependant, les efforts réalisés par l’Eglise en Chine pour chercher à se réconcilier avec elle-même, ne devraient pas être paralysés encore davantage par des questions d’histoire et de politique. Huit ans après la rédaction de la lettre de son prédécesseur, le pape François nous invite à la relire. A quoi nous demande-t-il effectivement de prêter une attention particulière ?

On le sait, le pape Benoît XVI avait publié, le 27 mai 2007, cette lettre ouverte adressée « aux évêques, aux prêtres, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs de l’Eglise catholique en République populaire de Chine ». Lorsqu’on lit cette lettre, on se rend compte sans difficulté qu’elle aborde beaucoup de sujets, mais que son esprit et l’idée principale se résument ainsi : l’Eglise, en Chine, doit elle-même chercher avant tout une voie vers la réconciliation et l’unité, créer une structure claire, favoriser la formation des vocations, s’engager dans la diffusion de l’Evangile, et commencer à nouer des relations avec les autorités de l’Etat sous le signe du respect mutuel et du dialogue constructif, afin de mettre un terme aux malentendus et aux blocages qui existent entre le gouvernement et l’Eglise, depuis de nombreuses années. « Tout sera vécu dans la communion et dans la compréhension fraternelle, évitant des jugements et des condamnations réciproques » (Lettre de Benoît XVI, n° 7). Dans sa lettre, le pape Benoît XVI fait spécialement référence à son prédécesseur, le pape Jean-Paul II, qui, au début de l’Année Sainte 2000, avait encouragé l’Eglise qui est en Chine en déclarant : « En vous préparant à la célébration du Grand Jubilé, souvenez-vous que, dans la tradition biblique, un tel moment a toujours comporté l’obligation de se remettre mutuellement les dettes contractées, de réparer les injustices commises et de se réconcilier avec le prochain. (…) Mon désir le plus ardent est que vous cédiez aux suggestions intérieures de l’Esprit-Saint, en vous pardonnant les uns aux autres tout ce qui doit être pardonné, en vous rapprochant les uns des autres, en vous acceptant réciproquement, en surmontant les barrières pour aller au-delà de tout ce qui peut diviser. (…) J’ai appris avec joie que vous voulez offrir, comme don le plus précieux pour la célébration du Grand Jubilé, l’unité entre vous et avec le Successeur de Pierre. Une telle résolution ne peut être qu’un fruit de l’Esprit, qui conduit son Eglise sur les difficiles chemins de la réconciliation et de l’unité » (cité dans la Lettre de Benoît XVI, n° 6) (14).

En plus de ses discours et de ses écrits, le pape François a décrété, à l’occasion du second anniversaire de son élection, un « Jubilé extraordinaire » dont le thème central est « la miséricorde divine ». Il s’agit non seulement de retrouver l’esprit de la proclamation adressée par son prédécesseur le pape Jean-Paul II à l’Eglise de Chine, au début de l’Année Sainte 2000, mais également de donner une orientation à l’Eglise universelle. Nous devrions chercher sérieusement à retrouver son esprit et accepter d’être guidés par lui.

Qu’a dit effectivement le pape François à l’Eglise universelle ?

Les gens s’en souviennent certainement encore : au début de son pontificat, le pape François a créé, à bien des égards, une atmosphère nouvelle par des actions très concrètes et pratiques : il a renoncé à s’installer dans le beau palais pontifical et a préféré rester à la Maison Sainte-Marthe ; le Jeudi Saint, il a lavé les pieds de jeunes détenus et de femmes musulmanes ; il a embrassé un homme dont le visage déformé par une maladie faisait fuir les gens ; il a restructuré la banque du Vatican qui était mal gérée et a réorganisé le système d’administration intérne du Vatican ; il a incité les peuples du monde entier à jeûner et à prier pour la paix en Syrie, au Moyen-Orient et partout dans le monde ; il a aidé les Etats-Unis et Cuba à ouvrir des négociations diplomatiques et à s’efforcer de se réconcilier ; il a trouvé des moyens concrets pour inciter d’autres responsables religieux à se réunir dans une perspective de dialogue et de coopération, etc. Par ses nombreux discours publics et en faisant connaître ses idées, il a touché profondément le cœur de beaucoup de gens, et il a été pour eux source d’inspiration.

Dans la seconde moitié du mois d’août 2013, à l’occasion d’une interview accordée au P. Antonio Spadaro, directeur de la revue La Civiltà Cattolica (15), il a déclaré : « Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol et quel est son taux de glycémie ! Il faut soigner ses blessures. Ensuite, on peut aborder tout le reste. (…) Parfois, l’Eglise s’est laissé enfermer dans de petites choses, dans des règles mesquines. Le plus important, c’est la première proclamation : Jésus-Christ t’a sauvé. (…) Nous devons trouver un nouvel équilibre ; sans quoi, même l’édifice moral de l’Eglise risque de s’écrouler comme un château de cartes et de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Evangile. »

Le 24 novembre 2013, à l’occasion de la clôture de l’Année de la Foi, il a publié sa première exhortation apostolique, Evangelii gaudium (16), dans laquelle il écrit : « Je préfère une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Eglise malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Eglise préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures » (n° 49).

Voici comment il s’exprime à propos des divisions et des conflits au sein de l’Eglise : « A ceux qui sont blessés par d’anciennes divisions, il semble difficile d’accepter que nous les exhortions au pardon et à la réconciliation, parce qu’ils pensent que nous ignorons leur souffrance ou que nous prétendons leur faire perdre leur mémoire et leurs idéaux » (n° 100). Et il ajoute : « Le conflit ne peut être ignoré ou dissimulé. Il doit être assumé. Mais si nous restons prisonniers en lui, nous perdons la perspective, les horizons se limitent et la réalité même reste fragmentée. Quand nous nous arrêtons à une situation de conflit, nous perdons le sens de l’unité profonde de la réalité (n° 226). Lorsqu’un conflit se produit (…) d’autres y entrent de telle manière qu’ils en restent prisonniers, perdent la perspective, projettent sur les institutions leurs propres confusions et insatisfactions, de sorte que l’unité devient impossible » (n° 227).

Lorsque, le 11 avril 2015, il a annoncé l’Année de la Miséricorde et qu’il a publié la bulle d’indiction Misericordiæ Vultus (17), il est allé droit à l’essentiel en écrivant : « Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. » Un peu plus loin, il a développé ce thème en ajoutant : « Il n’est pas inutile de rappeler le rapport entre justice et miséricorde. Il ne s’agit pas de deux aspects contradictoires, mais de deux dimensions d’une unique réalité qui se développe progressivement jusqu’à atteindre son sommet dans la plénitude de l’amour » (n° 20). C’est pourquoi il continue : « Si Dieu s’arrêtait à la justice, il cesserait d’être Dieu ; il serait comme tous les hommes qui invoquent le respect de la loi. (…) Dieu ne refuse pas la justice. Il l’intègre et la dépasse dans un événement plus grand dans lequel on fait l’expérience de l’amour, fondement d’une vraie justice » (n° 21).

En plus des opinions relatives à la mission de l’Eglise qu’il a exprimées dans l’interview, dans l’exhortation et dans la bulle citées ci-dessus, le pape François n’a jamais négligé aucune occasion d’encourager les fidèles à revenir à l’essence même de l’Evangile et de rendre témoignage de la miséricorde divine. Pour le centième anniversaire de la fondation de la faculté de théologie de l’Université catholique d’Argentine, il a adressé une lettre (écrite le 3 mars 2015) au président de l’université, le cardinal Mario Aurelio Poli, archevêque de Buenos Aires, dans laquelle il a souligné qu’« enseigner et étudier la théologie, c’est vivre sur une frontière, celle où l’Evangile répond aux besoins des gens à qui il est annoncé de manière compréhensible et pleine de sens. (…) La miséricorde n’est pas seulement une attitude pastorale : c’est la substance même de l’Evangile de Jésus. (…) Sans la miséricorde, notre théologie, notre droit, notre pastorale risquent de sombrer dans la mesquinerie bureaucratique ou dans l’idéologie, qui, par nature, veut dompter le mystère » (18).

Dans les homélies qu’il prononce lors de la messe quotidienne à la Maison Sainte-Marthe, il invite souvent les fidèles à percevoir la miséricorde divine et à la mettre en pratique. Il l’a fait en particulier le 23 mars 2015 ; prenant comme point de départ les histoires de trois femmes que raconte la Bible, à savoir Suzanne qui est piégée par un faux témoignage, la femme adultère, et la pauvre veuve victime d’un traitement injuste, toutes les trois ayant affaire à « trois sortes de juges ». Il a souligné que ces trois hommes étaient des juges sévères, durs et corrompus, qui ne recherchaient que le profit, ne connaissaient pas le mot miséricorde et n’avaient pas idée de ce que signifie la miséricorde. Le peuple de Dieu, face à ce genre de juges, aurait beaucoup à souffrir de leur manque de miséricorde, que ce soit dans la société ou même dans l’Eglise ; car là où il n’y a pas de miséricorde, il ne peut pas non plus y avoir de justice.

Peu importe si c’est à cause de ce qu’il fait ou à cause de ce qu’il dit et écrit : ce que les gens trouvent toujours dans la personne de François, c’est un pape attentif aux pauvres, aux faibles et à ceux qui se trouvent aux marges de la société ; et ce que les gens entendent toujours, c’est un pasteur qui parle simplement, de manière ouverte et honnêtement. Il espère que les gens vont rester proches du message central de l’Evangile, parce qu’il considère que la principale mission de l’Eglise est de manifester le grand amour et la miséricorde de Dieu, à travers le service du peuple, en particulier les pauvres et les faibles, sans laisser l’Eglise être gênée dans son action par des structures, des mécanismes et des traditions. Même si tout le monde n’est pas d’accord avec certaines de ses pensées théologiques, ou avec certains de ses enseignements sociaux, personne ne peut nier ou discuter le fait qu’il élève la voix en faveur de la justice dans la société et de la paix dans le monde, ni qu’il parle et agit pour souligner la valeur et l’importance des pauvres. Tout cela, c’est exactement les mots et l’action dont notre époque a un besoin urgent.

Regardons honnêtement notre monde et notre Eglise ! Un problème évident auquel notre société est confrontée est l’écart croissant entre les riches et les pauvres ; c’est un immense danger pour la paix dans le monde et pour la survie de l’humanité. En même temps, l’Eglise est confrontée à un défi formidablement difficile : le déclin de la foi, les luttes et conflits internes, le mauvais exemple de certains clercs qui provoque de graves dommages.

Aujourd’hui, en tant que pape, par ses propos et son attitude, François réalise ce que le pape Innocent III, en son temps, avait vu en rêve : « l’esprit et l’attitude de François », avançant courageusement pour soutenir de ses mains la basilique de Latran, vacillante et sur le point de s’écrouler. Ce genre d’attitude et d’esprit peut culpabiliser et mettre mal à l’aise ceux qui sont habitués à vivre comme des princes, dans la vanité et le luxe, et à considérer qu’ils ont toujours raison. Quant à la communauté de l’Eglise et à tous les niveaux de la société, ce genre d’attitude et d’esprit est capable de créer de grands défis et beaucoup de tensions.

Cependant, c’est justement à cause de cela que l’Eglise va avoir la force de se réformer, de se rétablir et de se renouveler ; de même c’est exactement pour cette raison que chacun d’entre nous va chercher la voie vers la vérité de l’Evangile et la vision originelle du Royaume de Dieu. C’est peut-être aussi pour cela que l’hebdomadaire américain Time a choisi le pape François comme « Personne de l’Année », en hommage aux contributions qu’il a apportées et à l’énergie qu’il a déployée, en moins de neuf mois après avoir été élu pape, en faveur de la société humaine.

Un exemple concret peut prouver que les efforts du pape François en faveur du pardon et de la réconciliation, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Eglise, ne sont pas vains : au mois de décembre 2014, les dirigeants des Etats-Unis et de Cuba ont exprimé ouvertement leur gratitude pour ses irremplaçables contributions à l’amélioration des relations entre les deux pays. Le 10 mai 2015, le dirigeant cubain Raul Castro, après avoir rencontré le pape au Vatican, l’a de nouveau exprimée ouvertement et il a déclaré à la presse : « J’ai déjà dit à mes conseillers et aux ministres que je lis tous les discours du pape. Je dois dire que, si le pape continue à parler comme il le fait, je vais finir par recommencer à prier et à retourner à l’Eglise catholique, et ce n’est pas une simple plaisanterie. Je suis communiste. Dans le passé, le parti communiste cubain n’acceptait pas ce genre de choses, mais maintenant c’est possible. C’est un vrai progrès. »

Il a continué en disant que, lorsque le pape se rendrait en visite à Cuba au mois de septembre 2015, il irait certainement l’écouter. Il l’a même promis en disant : « J’assisterai, avec un cœur ouvert, à toutes ses messes, à côté des centaines de milliers de Cubains qui seront présents. La rencontre de ce matin a laissé une très forte impression dans mon cœur ; la sagesse du pape, son savoir, son humilité, toutes ses vertus que nous connaissons, m’ont profondément touché ». Ce que le pape François a fait pour convaincre Raul « le communiste » d’envisager de commencer « à prier de nouveau et à retourner à l’Eglise catholique » n’a rien de nouveau : cela consiste à suivre l’enseignement de l’Evangile dans sa véritable signification et dans son esprit authentique. Est-ce qu’aujourd’hui l’Eglise, en Chine, ne devrait pas étudier soigneusement cet exemple concret ?

Que peut nous apprendre l’Histoire ?

Il y a à peu près 400 ans, les missionnaires jésuites Matteo Ricci, Adam Schall, Ferdinand Verbiest, et d’autres, ont réussi – bien que la cité impériale ait été solidement fortifiée et sévèrement gardée par la structure hiérarchique des dynasties Ming et Qing, dirigées de manière autocratique et étroitement contrôlées à l’intérieur comme à l’extérieur – à nouer des relations d’amitié avec les officiels chinois du plus haut rang, à interagir avec eux, et même à entamer un dialogue avec la famille impériale, y compris l’empereur, afin de diffuser l’Evangile.

Cela prouve bien qu’un échange entre la culture et la religion de la Chine et celles de l’Occident était possible. Des poèmes de l’empereur Kang Xi, tels que « Le chant de la croix » (十字歌) ou « Le très précieux trésor de la vie » (生命之宝), ainsi qu’un grand nombre de couplets rimés, sont le témoignage vivant de la vénération et du respect qu’avait Kang Xi pour la foi chrétienne et ils nous paraissent encore très familiers aujourd’hui.

Toutefois, au bout d’un certain temps, à cause de la « Querelle des rites » et de ses marchandages politiques, Kang Xi finit par se fâcher, à tel point qu’il publia un ordre officiel interdisant les activités de l’Eglise, fermant ainsi la porte aux échanges culturels et religieux entre la Chine et l’Occident. Ce n’est qu’à partir de 1840 que, sur la base des « traités inégaux » signés à la suite des Guerres de l’Opium, la porte fut à nouveau ouverte, de force. A ce moment-là Matteo Ricci, Adam Schall et Ferdinand Verbiest ne pouvaient que pleurer silencieusement au paradis, car ce qu’ils avaient sincèrement essayé d’éviter – à savoir que les Chinois considèrent la religion chrétienne comme une « religion étrangère », nuisible à la société et à la culture chinoises – avait fini par se produire.

Au fil des années, à travers des hauts et des bas et en raison des violents orages liés à la création de la Nouvelle Chine et à la Révolution culturelle, l’Eglise en Chine a subi de graves persécutions et des destructions. En dépit de l’amélioration de sa situation depuis les années 1980, elle est toujours confrontée à ce douloureux dilemme : « L’amour du pays et l’amour de l’Eglise peuvent-ils être associés harmonieusement ? » ou « Peut-on être à la fois un vrai Chinois et un fidèle chrétien ? ».

Tout cela est largement dû aux conflits actuels entre le gouvernement et l’Eglise : du point de vue du gouvernement chinois, l’Eglise chrétienne, et en particulier l’Eglise catholique, n’est rien d’autre qu’une puissance d’influence « qui interfère dans la politique chinoise », une « puissance sans les attributs d’une puissance » destinée à infiltrer et désintégrer son pouvoir politique (19) ; or, l’opinion de certains membres de l’Eglise, vivant en Chine ou à l’étranger, est que toutes les paroles et toutes les actions qui ne respectent pas les traditions de l’Eglise s’opposent aux principes de la foi et montrent que l’on n’est « pas loyal et fidèle ». Cela conduit à des controverses, à des conflits et à des affrontements qui ne sont pas différents de ceux qui eurent lieu, il y a 200 ans, pendant la « Querelle des Rites », et qui portèrent des coups mortels à l’Eglise en Chine !

Rendons grâces à Dieu ! Avec l’appui de Matteo Ricci et des pionniers missionnaires jésuites, un pape jésuite qui porte le nom de François d’Assise comprend l’expérience et la sagesse des pionniers missionnaires jésuites, mais il incarne également l’attitude et l’esprit de saint François qui, en 1219, osa se rendre en Egypte, désarmé et sans défense, afin de rencontrer le sultan al-Kamil, chef de l’armée musulmane. C’est pourquoi il ne se soucie pas des « conseils » ou même des « avertissements » que lui donnent beaucoup de personnes, mais il a quelquefois exprimé son espoir de se rendre – si possible – en Chine « demain ».

Son secrétaire d’Etat, le cardinal Parolin, a également affirmé ouvertement que le dialogue entre le Saint-Siège, l’Eglise et le gouvernement chinois serait très profitable à la paix dans le monde. Son porte-parole, le P. Lombardi, a même franchi un pas supplémentaire en déclarant : « On peut être un bon citoyen chinois et un bon catholique en même temps. Il n’y a pas de contradiction entre le fait d’être un bon catholique et celui d’être un bon citoyen chinois » (20). Il ne fait pas de doute que c’est là un écho de ce que disait l’apôtre de la Chine, le P. Vincent Lebbe : « La Chine appartient aux Chinois ; les Chinois appartiennent au Christ ! ».

Conclusion

Il va sans dire que, bien qu’étant pape depuis un peu plus de deux ans et se considérant non pas comme un « superman » mais comme un homme ordinaire, François a déjà clairement indiqué quelle était son orientation en présentant un modèle pour l’Eglise universelle, y compris celle en Chine.

Puisque nous faisons partie de l’Eglise universelle, nous qui sommes l’Eglise en Chine, nous devrions aujourd’hui être conscients du fait que, bien que nous suivions le pape François depuis plus de deux ans, les plans de Dieu le concernant pourraient tout juste avoir commencé à être mis en œuvre.

Aujourd’hui sommes-nous prêts, quelles que soient les réactions des uns et des autres, à aller plus loin avec lui ? Sommes-nous prêts à nous « mettre à l’école de François », à réagir positivement à « l’attitude et à l’esprit de François » qu’il a manifestés à la fois vis-à-vis de la société et vis-à-vis de l’Eglise de Chine, au lieu de chercher toutes sortes d’excuses pour les négliger ou même les boycotter, dans un comportement plutôt négatif ?

D’autre part, sommes-nous en train de devenir, consciemment ou non, comme l’a dit le Saint-Père dans Evangelii Gaudium, « prisonniers » de conflits, en train de perdre nos repères et de projeter sur les institutions notre confusion et notre insatisfaction, rendant ainsi l’unité impossible ?

Sommes-nous, comme il l’a dit dans Misericordiæ Vultus, en train d’opposer l’une à l’autre « la miséricorde » et « la justice », en blâmant allègrement le « pécheur » et en punissant les « méchants », mais en négligeant totalement de leur témoigner de la pitié dans leur détresse et de leur tendre la main pour les aider dans leurs besoins les plus urgents ?

Pour répondre de manière positive à ces questions, nous avons besoin de nous en remettre complètement à des actes concrets accomplis avec une humilité et une simplicité véritablement évangéliques, rien d’autre ne conviendra ! Dans cette perspective, nous pouvons dire avec confiance que, si le pape François nous invite aujourd’hui à relire la lettre pastorale que Benoît XVI avait adressée, il y a huit ans, à l’Eglise qui est en Chine, ce n’est pas simplement parce que cette lettre a « un certain rapport avec la situation actuelle », mais parce qu’elle « va être très profitable ». En un mot, elle peut nous faire découvrir à nouveau la vérité de l’Evangile qui y est cachée !

(in Religions & Christianity in Today’s China, Vol. V, 2015, Nos. 3-4, pp. 45-59, ISSN: 2192-9289 • www.china-zentrum.de)

(eda/ra)