Eglises d'Asie – Chine
« Tenter de dialoguer avec Hérode » : que l’année 2016 va-t-elle apporter à l’Eglise en Chine ?
Publié le 11/01/2016
… années. Depuis sa retraite de la tête du diocèse de Hongkong, il continue, comme sa mission de cardinal le lui dicte, de conseiller le pape, notamment pour ce qui regarde ce que l’on a coutume d’appeler « le dossier chinois », à savoir la définition de l’attitude que le Saint-Siège doit avoir vis-à-vis de Pékin et la conduite des négociations avec la Chine, Etat avec lequel le Vatican n’entretient pas de relations diplomatiques.
Le cardinal Zen a amplement et publiquement exposé sa position, qui pourrait être résumée ainsi : « ne pas lâcher la proie pour l’ombre », autrement dit : ne pas conclure d’accord à tout prix avec Pékin si un tel accord s’avère compromettre la nature des liens que l’Eglise de Chine doit entretenir avec Rome et si un tel accord ne s’accompagne pas de réelles garanties quant à la liberté de fonctionnement et d’organisation de l’Eglise en Chine.
Dans le texte ci-dessous, le cardinal Zen s’exprime à nouveau, et de la manière la plus claire qui soit. Par un post daté du 31 décembre 2015 et publié sur le blog qu’il tient en chinois, Mgr Zen Ze-kiun passe en revue l’actualité de l’année écoulée et dit toute l’inquiétude que lui inspire la diplomatie conduite envers Pékin par la secrétairerie d’Etat. Un texte dont on peut penser que la primeur en a été réservée au pape François.
La traduction française est de Charles de Pechpeyrou.
Cela faisait longtemps que je ne parlais plus de l’Eglise en Chine sur mon blog. Certainement pas parce que je suis très occupé (si occupé que je sois, je ne pourrais pas me désintéresser de notre Eglise en Chine), ni même parce que je crains que mes idées ne soient critiquées (à mon âge je n’ai plus rien à gagner ni à perdre). Le problème, c’est que j’aimerais pouvoir donner de bonnes nouvelles, mais, que voulez-vous, mon destin est semblable à celui du prophète Jérémie. J’attends depuis longtemps de recevoir de bonnes nouvelles, mais elles n’arrivent pas. Aujourd’hui, je sais que mes lamentations ont quelque chose de décalé en ce temps festif de Noël et du Nouvel An, mais je ne peux me résoudre pour autant à être un chien qui n’aboie pas.
A. Je me souviens qu’au début de l’année dernière, le journal Wen Wei Po [quotidien de Hongkong contrôlé par Pékin – NdT] annonçait avec enthousiasme que « les relations entre la Chine et le Vatican [auraient] bientôt une bonne issue ». Peu après, le secrétaire d’Etat du Saint-Siège déclarait que « les perspectives (étaient) prometteuses et que les deux parties (souhaitaient) dialoguer ». De mon côté, je nourrissais quelques doutes face à cette bouffée d’optimisme inattendue, je n’en voyais pas la raison. Plus de mille croix ont été retirées du sommet des églises (et dans certains cas les églises elles-mêmes ont été démolies). Après autant de temps, nous ne pouvons plus nourrir l’illusion que cette campagne d’abattage des croix n’était qu’un excès de zèle exagéré de la part de quelque responsable local. Plusieurs séminaires ne fonctionnent plus. Les étudiants du Séminaire national de Pékin ont été contraints de signer une déclaration de fidélité envers l’Eglise indépendante, en s’engageant aussi à concélébrer la messe avec des évêques illégitimes (faute de quoi ils n’obtiendraient pas leur diplôme de fin d’études). Le gouvernement édifie peu à peu une Eglise qui est désormais objectivement séparée de l’Eglise catholique universelle. Par des propositions alléchantes ou bien par des menaces, il incite les membres du clergé à accomplir des actes allant à l’encontre de la doctrine et de la discipline de l’Eglise, en reniant leur conscience et leur dignité.
B. Au cours de ces six derniers mois, certains événements semblaient positifs et pourtant il n’y avait finalement pas de quoi se réjouir. Dix ans après son ordination épiscopale, Mgr Wu Qinjing, a finalement été installé en tant qu’évêque de Zhouzhi, au prix néanmoins d’un certain compromis (voir mon post du 14 juillet 2015 sur mon blog).
Peu de temps après, Mgr Zhang Yinlin a été ordonné évêque d’Anyang. Certains médias catholiques, d’ordinaire prudents, se sont même félicité que tout se soit bien passé. Ils ont souligné que cette ordination était la première après ces trois dernières années de contact entre Rome et Pékin et aussi la première du pontificat de François. Ils ont présenté cet événement comme un bon début. C’est justement cette dernière affirmation qui m’inquiète, car ce processus comprend « l’élection démocratique », la lecture du « décret de nomination de la part de la (prétendue) Conférence épiscopale chinoise » et le statut canonique flou d’un évêque co-consécrateur. Un processus anormal similaire s’était produit il y a trois ans ; faut-il pour autant s’en réjouir ? (voir mon post du 7 septembre 2015).
C. En octobre, la grande nouvelle est arrivée : une délégation du Vatican s’est rendue à Pékin, il y a eu une rencontre. Le Saint-Siège n’a pas confirmé la nouvelle. C’est le P. Jeroom Heyndrickx qui va relayer la nouvelle, avec force détails (évidemment il est au courant de tout). Il affirme : « Certains problèmes sensibles n’ont pas été traités, comme celui de l’évêque de Baoding, Mgr Su Zhemin, encore en détention, ou celui de Mgr Ma Daquin, évêque de Shanghai assigné à résidence depuis plus de trois ans (Mais ces problèmes ne devraient-ils pas être résolus avant toute négociation ? Dans le cas contraire, on ne peut certainement pas affirmer que Pékin fasse preuve de bonne volonté). Les parties se sont concentrées sur le problème de la nomination des évêques (Sur quel modèle ? Comme à Anyang ?). Après cette rencontre, la délégation a rendu visite à l’évêque de Pékin, Mgr Li Shan, et au Séminaire national où ils ont rencontré Mgr Ma Yinglin (Le P. Heyndrickx soutient qu’il s’agit là de signes de la bonne volonté de la part de Pékin ; je pense en revanche qu’il s’agissait des hommages imposés par Pékin). »
Plus tard, le secrétaire d’Etat du Saint-Siège a également confirmé qu’il y avait bien eu une rencontre, qui s’était révélée « très positive » et qui ferait partie « d’un processus devant aboutir à un accord, comme espéré ». Alors qu’un journaliste lui demandait avec insistance s’il y avait eu un réel progrès, le cardinal Parolin a répondu : « Le simple fait de dialoguer est déjà positif. » Il semblerait qu’il n’y ait pas encore eu d’accord.
D. Quelle est la formule actuellement en cours pour nommer les évêques ? Moi-même, vieux cardinal de périphérie, je n’ai pas moyen de le savoir, ni même d’en avoir une vision directe.
Dans un article récent du P. Bernardo Cervellera publié sur AsiaNews sous le titre « Pékin, l’obscurité de l’hiver sur les religions », on peut lire : « Selon certaines informations provenant de la Chine, le mandat concernant la nomination des nouveaux candidats à l’ordination épiscopale (devrait relever de la compétence) du Conseil des évêques reconnu par le gouvernement. L’élection et la nomination du candidat doivent suivre la méthode démocratique, c’est-à-dire d’après les suggestions de l’Association patriotique. Le Saint-Siège doit approuver la nomination et n’a qu’un faible pouvoir de veto, uniquement sur les cas graves, en devant justifier sa position. Si les motivations du Saint-Siège sont considérées comme insuffisantes, le Conseil des évêques peut décider de continuer malgré tout. »
Dans le cas où ces informations s’avéreraient exactes, le Saint-Siège peut-il se plier à la volonté des revendications de la partie chinoise ? Cette manière de faire respecte-t-elle encore la véritable autorité du pape pour nommer les évêques ? Le pape François peut-il signer un tel accord ? (Benoît XVI avait dit : « L’autorité du pape de nommer des évêques a été confiée à l’Eglise par son fondateur Jésus-Christ, elle n’est pas la propriété du pape, elle n’appartient pas au pape et pas même ce dernier n’a le droit de la confier à d’autres. »)
Nos responsables à Rome savent-ils ce qu’est une élection en Chine ? Savent-ils que le prétendu « Conseil épiscopal » est non seulement une Conférence épiscopale illégitime, mais qu’il n’existe tout simplement pas ? Ce qui existe, c’est un organisme qui s’appelle « Une Association et une Conférence », ce qui signifie que l’Association patriotique et la Conférence épiscopale fonctionnent toujours ensemble, comme un seul corps, toujours présidé par des responsables du gouvernement (comme peuvent le prouver les photographies, puisque le gouvernement ne cherche même pas à sauver les apparences et affiche haut et fort le fait que ce sont désormais ses responsables qui gèrent la religion !). Signer un semblable accord reviendrait à remettre l’autorité de nommer les évêques entre les mains d’un gouvernement athée.
Comparé à un certain « modèle vietnamien » (souvent mal défini), ce schéma s’avère bien pire. Dans le modèle vietnamien, on part du principe que l’initiative vient de l’Eglise vietnamienne, la vraie Eglise catholique du Vietnam ; en Chine, en revanche, derrière l’appellation « Une Association et une Conférence », c’est en réalité le gouvernement qui commande.
En Europe de l’Est aussi, autrefois, comme en Pologne ou en République tchèque et en Slovaquie, l’initiative venait d’abord de l’Eglise, puis on accordait un droit de veto au gouvernement. Avec l’assurance que l’initiative vient de l’Eglise, même si le gouvernement oppose son veto pour la énième fois, il reviendra toujours à l’Eglise de présenter le nouveau candidat et de procéder à sa nomination. Si le gouvernement persiste à user de son droit de veto, on restera encore dans l’impasse, car l’Eglise pourra encore chercher le candidat idéal. Mais on ne peut pas laisser un gouvernement athée prendre et garder l’initiative en premier. Comment peut-il s’y connaître en matière de nomination du bon candidat à l’épiscopat ? Evidemment, si l’Eglise renonce à sa propre position et cède devant les insistances du gouvernement, cela reviendra, quelle que soit la formule, à brader le droit pontifical de nommer les évêques. Cela peut-il se produire ? Dans un article d’un certain András Fejerdy, on peut lire : « Pour des raisons pastorales – c’est-à-dire parce que l’administration complète des sacrements nécessitait absolument des évêques consacrés – devant l’urgence de finaliser la composition de la Conférence épiscopale hongroise, le Saint-Siège accepta une solution qui ne s’oppose pas formellement au principe canonique de la nomination libre mais qui dans les faits donnait au régime (communiste) un pouvoir décisif dans le choix des candidats. »
Ucanews a récemment rapporté une information en provenance de Chengdu, dans le Sichuan : « Peu après la visite de la délégation du Vatican à Pékin, le Saint-Siège a approuvé le candidat à l’épiscopat élu en mai 2014. » Ne s’agissait-il pas là précisément d’une forme de « ne pas s’opposer formellement au principe canonique de la nomination libre mais, dans les faits, de donner au régime un pouvoir décisif dans le choix des candidats » ?
E. On dit que les discussions ont porté essentiellement sur le problème des nominations épiscopales. Mais il existe bien d’autres problèmes tout aussi pressants. Quand et comment seront-ils résolus ?
Le même article d’AsiaNews affirme, toujours en s’appuyant sur des informations provenant de la Chine : « Pékin (exige) la reconnaissance de la part du Saint-Siège de tous les évêques officiels, y compris les évêques illégitimes et ceux qui sont excommuniés. » Je m’interroge : est-ce le gouvernement qui exige seul, sans que les intéressés n’expriment de remords ? Les évêques excommuniés feront-ils seulement l’objet d’une levée d’excommunication ou bien seront-ils aussi reconnus comme évêques ? Les fidèles seront-ils obligés de leur obéir ?
Il y a tant de choses à remettre en ordre.
Des évêques illégitimes et même excommuniés ont abusé du pouvoir sacramentel (dont celui d’ordonner des diacres et des prêtres) et juridictionnel (en confiant des responsabilités). Le Saint-Siège semble n’avoir exprimé aucune critique.
Des évêques légitimes ont participé à des ordinations épiscopales illégitimes, une, deux, trois fois et même quatre fois. Il semblerait qu’ils n’aient pas demandé pardon, ni qu’ils aient reçu le pardon du Saint-Père. Ils ont participé à la prétendue Assemblée des représentants des catholiques chinois (le symbole le plus clair d’une Eglise schismatique).
Peu après le départ de la délégation du Vatican depuis Pékin, le gouvernement a organisé un grand rassemblement en présence des dirigeants de l’Eglise. A cette occasion, tous les évêques, légitimes, illégitimes, excommuniés, furent contraints de célébrer une messe. Tous ces actes sont objectivement schismatiques. Le gouvernement peut désormais mener par le bout du nez une grande partie des évêques, si bien qu’ils perdent toute dignité, qu’ils peineront à reconstruire. Si le Saint-Siège venait à signer un accord avec le gouvernement sans clarifier tous ces points, il infligerait une blessure grave à la conscience des fidèles.
F. Bien évidemment, nos communautés clandestines sont comme inexistantes aux yeux du gouvernement. Mais le Vatican lui-même ne les prend pas en compte dans les négociations. Pour accéder à une requête de la partie chinoise ? Pour « sauver la situation », on devrait abandonner ces frères et sœurs ? Mais ils sont les membres sains de l’Eglise ! (Evidemment, eux aussi ont leurs problèmes, en particulier lorsque leurs diocèses ne reçoivent pas d’évêques. Le désordre suivra bientôt.) Faire taire les communautés clandestines pour ne pas irriter le gouvernement, n’est-ce pas du suicide ?
Durant les dernières négociations, il n’a pas été fait mention de Mgr James Su Zhimin, en prison depuis vingt ans. De même, le cas de Mgr Thaddée Ma Daquin, assigné à résidence à Shanghai depuis plus de trois ans, n’a pas été évoqué. Parce que ces cas sont trop « sensibles » ?
Début septembre, certains fidèles de Shanghai qui ont passé beaucoup de temps en prison sont allés en pèlerinage à Rome, accompagnés de leurs proches, pour commémorer le 60e anniversaire du début de la Grande persécution, le 8 septembre 1955. On leur a dit alors : « Ne vous faites pas trop entendre, le passé c’est le passé, regardons vers l’avant ! »
Sur le plan diplomatique, les communautés clandestines sont une carte à jouer pour le Saint-Siège. En s’amputant de ces membres, que resterait-il entre les mains de notre diplomatie pour pousser la partie adverse à conclure un accord ? Désormais, le gouvernement contrôle presque toutes les communautés officielles, tandis que les communautés clandestines sont contrôlées par le Saint-Siège. De quoi ont-ils encore besoin pour conclure un accord ? Seulement de la signature du pape François, de sa bénédiction, sur cette « Eglise chinoise ». Pékin n’a aucunement l’intention de négocier, mais seulement de revendiquer. Avec cette signature, tous les fidèles de la communauté clandestine seraient contraints de sortir de la clandestinité et de se soumettre à ceux qui auront longtemps été des évêques illégitimes, peut-être même excommuniés, mais qui désormais, une fois passé un coup d’éponge magique, deviendraient des évêques de plein droit, sans devoir manifester la moindre repentance, en s’appuyant simplement sur le gouvernement qui aura obtenu leur légitimation.
G. Ce qui m’inquiète, c’est de voir notre illustre secrétaire d’Etat encore grisé par le miracle de l’Ostpolitik. L’année dernière, dans un discours d’hommage au cardinal Casaroli, il saluait le fait que son prédécesseur ait réussi à garantir l’existence de la hiérarchie catholique dans les pays communistes de l’Europe de l’Est. Il a déclaré : « Dans le choix des candidats à l’épiscopat, choisissons des pasteurs et non pas des personnes qui s’opposent systématiquement au régime, qui se comportent comme des gladiateurs, qui aiment s’exhiber sur la scène politique. » Je m’interroge : qui le cardinal Parolin avait-il en tête lorsqu’il a fait cette description ? Je crains qu’il ne pensât au cardinal Wyszynski, au cardinal Mindszenty, au cardinal Beran. Mais ce sont ces derniers qui sont les héros qui ont défendu la foi de leur peuple avec courage ! Je redoute cette façon de penser, j’espère l’avoir mal comprise.
Le jour où l’on signera cet accord, ce sera la paix et les réjouissances, mais ne vous attendez pas à ce que je participe aux célébrations qui marqueront le début de cette nouvelle Eglise. Je disparaîtrai, j’entrerai dans la vie monastique pour prier et faire acte de pénitence. Je demanderai pardon au pape Benoît XVI pour ne pas avoir réalisé ce qu’il attendait de moi. Je demanderai au pape François de pardonner ce vieux cardinal de périphérie pour l’avoir importuné avec de nombreuses lettres.
Les enfants innocents ont été tués, l’ange a dit à Joseph de conduire son fils et Marie en lieu sûr. Aujourd’hui, en revanche, nos diplomates conseilleraient peut-être à Joseph d’aller tenter de dialoguer avec Hérode ! ?
P.S. Que l’on ne s’imagine pas que je considère la ligne de distinction « officiel-clandestin » comme la seule. La grande majorité du clergé et des fidèles de la communauté officielle est aussi extrêmement fidèle à l’autorité du Saint-Père. Beaucoup d’entre eux souffrent énormément de la situation anormale de leur Eglise. Ils souffrent des faiblesses et du manque de droiture de leurs pasteurs. Parfois, ce sont eux qui cherchent à empêcher que ces derniers ne tombent plus bas. Dans de nombreux cas, un clergé uni et un peuple fidèle parviennent à défendre leur pasteur contre de nouveaux abus des autorités.
Cardinal Zen Ze-kiun
(eda/ra)