Eglises d'Asie

Cédant à la pression populaire, le gouvernement birman suspend la construction d’un barrage sur l’Irrawaddy, au risque de mécontenter Pékin

Publié le 03/10/2011




 A la grande surprise, tant des observateurs internationaux que de la population birmane, Naypyidaw semble avoir cédé à la mobilisation générale qui, la semaine dernière, a fait de la cause de l’Irrawaddy le cœur d’une campagne sans précédent dans le pays (1). Vendredi 30 septembre, le président Thein Sein annonçait…

 … au Parlement la suspension de la construction du barrage controversé de Myitsone afin de « respecter la volonté du peuple ». Une grande première pour le nouveau gouvernement « civil » mais toujours sous le contrôle des militaires, au pouvoir depuis mars dernier. Le président a cependant tenu à préciser que le projet, « qui ne se poursuivrait pas, du moins sous sa forme actuelle », n’était suspendu que jusqu’à la fin de son mandat, soit 2015.

Né d’un accord entre le ministère birman de l’Energie et la China Power Investment Corporation, le barrage hydroélectrique de Myitsone, situé dans l’Etat Kachin, était destiné, avec sept autres ouvrages prévus sur l’Irrawaddy et ses affluents, à alimenter la Chine en électricité pour plus de 80 % de sa production. Dès sa construction débutée en 2009, la polémique avait enflé jusqu’à la divulgation en juillet dernier d’un rapport d’évaluation effectué par des experts birmans et chinois révélant les dangers du projet puis début septembre de la déclaration du ministre de l’Energie électrique, Zaw Min, réaffirmant qu’« en dépit de toutes les objections exprimées, la construction du projet hydroélectrique de Myitsone ne serait jamais abandonnée ».

Dénonçant une catastrophe écologique, humaine, économique et culturelle pour l’Irrawaddy, principale artère fluviale de la Birmanie, mais aussi réserve naturelle unique au monde et source de subsistance de millions d’habitants, les opposants au projet avaient fait front commun contre le projet gouvernemental, multipliant les campagnes d’information et les appels au gouvernement afin de « sauver l’Irrawaddy ». Ce qui semblait n’être au départ qu’une résistance localisée, liée à l’insurrection kachin dans le nord du pays (3) où la plupart des projets sino-birmans sont en cours (dont la construction de pipe-lines et l’exploitation minière), avait gagné l’ensemble de la population dans une rapide et surprenante contagion, mêlant évêques chrétiens et moines bouddhistes, écologistes et défenseurs des droits de l’homme, étudiants et leaders issus des minorités ethniques, simples citoyens et hommes politiques, Aung San Suu Kyi en tête.

La Conférence épiscopale catholique, connue pourtant pour sa discrétion, avait même publié il y a quelques jours, avec son homologue protestant du Myanmar Council of Churches, une lettre au gouvernement le priant instamment « d’écouter les voix et les préoccupations de la population ». A l’annonce de l’abandon du projet le 30 septembre, Mgr Raymond Saw Po Ray, évêque de Mawlamyine et président de la Commission épiscopale ‘Justice et Paix’, s’est réjoui auprès de l’agence Fides : « C’est un signal très positif pour la nation, le gouvernement a déclaré vouloir écouter la volonté du peuple (…). » Mais l’évêque a néanmoins voulu tempérer l’enthousiasme ambiant en ajoutant que « la population devrait attendre de voir si le gouvernement persévèrera dans cette voie (…) » et que « la prochaine étape, celle du conflit avec les minorités ethniques (…) serait difficile à cause de la volonté d’en découdre de certains responsables militaires mais aussi du fait des intérêts de la Chine ».

Dans le nord de l’Etat Kachin en effet, les combats entre l’armée birmane et la Kachin Independence Army (KIA) autour de la question du barrage de Myitsone font rage depuis plus d’une semaine et menacent de s’étendre depuis qu’un autre groupe rebelle, la Shan State Army, est venu renforcer les rangs des combattants kachins. Devenu pour les minorités ethniques, le symbole de leur lutte identitaire, le barrage de Myitsone est aujourd’hui au cœur d’un blocus établi par les armées indépendantistes, interceptant tout transport de matériel venant de Chine.

Samedi 1er octobre, Pékin a réagi à l’affront que venait de lui infliger le gouvernement birman par une déclaration du porte-parole du ministère des Affaires étrangères. « Le barrage est un projet d’investissement commun à la Chine et à la Birmanie, il a été consciencieusement examiné par les deux parties », a rappelé le porte-parole de la diplomatie chinoise qui a ensuite insisté sur la protection des intérêts chinois à laquelle les autorités birmanes s’étaient engagées. « Les pays concernés doivent garantir la légalité et les droits légitimes des compagnies chinoises », a-t-il affirmé.

Dans le même temps, la Birmanie, qui poursuit sa politique de séduction à l’égard de la communauté internationale en multipliant les signes tangibles de « transition démocratique », n’a pas tardé à recevoir les éloges des Etats-Unis. « Nous considérons que c’est une avancée importante et positive », a déclaré la porte-parole du département d’Etat, Victoria Nuland, qui a appelé la Birmanie à « continuer à agir pour respecter et songer à l’intérêt de son peuple, notamment les minorités ethniques, l’opposition démocratique et la société civile ». Le ministre birman des Affaires étrangères avait été reçu au département d’Etat le 29 septembre dernier.

Aung san suu Kyi, apprenant la nouvelle de l’arrêt des travaux à l’issue de son troisième entretien avec le ministre du Travail Aung Kyi le 29 septembre, a simplement commenté : « C’est bien d’écouter la voix du peuple. C’est ce que tous les gouvernements devraient faire. »

Malgré les rencontres maintenant régulières entre la lauréate du prix Nobel de la paix et le gouvernement de Thein Sein, et en dépit de la victoire inattendue des opposants au projet de barrage de Myitsone, bon nombre d’observateurs déclarent rester prudents, rappelant que la Birmanie vise aujourd’hui en priorité la levée des sanctions de la communauté internationale et la présidence de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) en 2014.