Eglises d'Asie

La Conférence sur la paix divise les minorités ethniques de Birmanie

Publié le 14/01/2016




A l’appel du gouvernement birman, des hommes politiques, des militaires et des rebelles ont entamé cette semaine des négociations pour mettre fin à soixante années de conflits ethniques et imaginer une nouvelle organisation politique pour le pays. Certains groupes armés dénoncent toutefois la méthode hâtive des …

… autorités qui convoquent ce sommet alors que les conflits ethniques redoublent d’intensité ; ils refusent de participer à cette « Conférence pour la paix dans l’Union [du Myanmar] », dont la session inaugurale se tient du 12 au 16 janvier à Naypyidaw.

Le 12 janvier, assis dans une gigantesque salle de conférence de l’austère capitale politique Naypyidaw, sept cents négociateurs écoutent une série de discours très protocolaires. Beaucoup sont venus assister à cette première session, vêtus des costumes traditionnels colorés de leurs ethnies. Le président birman Thein Sein ouvre la Conférence sur la paix. Puis s’expriment à la tribune le président du Parlement, le commandant en chef des forces armées et Aung San Suu Kyi, la lauréate du prix Nobel de la Paix dont le parti d’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie, a largement remporté les élections législatives de novembre dernier. (Le nouveau Parlement, dominé par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), se réunira le 1er février prochain, avant une élection présidentielle qui devrait avoir lieu fin mars ou début avril.)

« Le Parlement national n’a pas été une enceinte politique dans laquelle les groupes ethniques armés ont pu s’exprimer », analyse Thomas Mung Dan, directeur de l’ONG Humanity Institute, installée dans l’Etat septentrional kachin, à majorité chrétienne. « En revanche, cette Conférence pour la paix réserve aux groupes armés cent cinquante sièges sur sept cents au total. Ils auront donc leur mot à dire pour résoudre la question ethnique », se réjouit-il. Cent cinquante sièges sont également attribués aux militaires.

Cette conférence sur la paix fait suite à la signature de l’accord de cessez-le-feu entre le gouvernement et huit groupes ethniques armés le 15 octobre dernier. Dans le texte adopté, le pouvoir politique, l’armée et une partie des groupes rebelles du pays avaient indiqué vouloir faire de la Birmanie un Etat démocratique, fédéral et laïc. Les conférenciers vont devoir préciser ces objectifs, définir les contours d’une nouvelle organisation politique et rédiger des amendements à la Constitution. Leur travail devrait prendre des mois, peut-être des années. « Il va falloir discuter de quel Etat laïc nous voulons, explique Sui Khar, secrétaire général du Front national chin (CNF), un groupe armé de l’Etat éponyme, à forte majorité chrétienne. La Constitution actuelle dit que le bouddhisme est la religion majoritaire tout en reconnaissant d’autres religions. C’est déjà une discrimination ! »

Depuis des décennies, les groupes ethniques demandent la mise en place d’un Etat fédéral afin de répartir plus équitablement les ressources et les revenus fiscaux. « Pour le moment, ces ressources et ces revenus sont entièrement monopolisés par le gouvernement central, critique U Hla Soe, un dirigeant du Parti national arakanais (ANP), une formation bouddhiste nationaliste originaire de l’ouest du pays. Nous avons beaucoup de gaz naturel dans notre Etat de l’Arakan. Mais la plupart des villages n’ont pas l’électricité. Nous espérons que cela puisse changer grâce à cette Conférence sur la paix. »

Dans ce pays où les minorités ethniques se battent depuis l’indépendance de 1948 pour obtenir plus d’autonomie, celles qui ont accepté de participer à la Conférence sur la paix estiment que, pour la première fois, les signaux envoyés par le gouvernement sont positifs. « Si l’on veut développer économiquement le pays, il faut mettre fin aux conflits ethniques, analyse Lian Sakhong, membre du Conseil suprême du CNF. Et pour cela, il faut donner des droits aux ethnies. Le gouvernement et l’armée commencent à le comprendre et à accepter nos revendications après soixante années de lutte. »

Cet espoir n’est pas partagé par tous. L’insurrection wa, établie au nord-est du pays, a refusé de participer à la Conférence sur la paix. Même chose pour la KIA, l’Armée pour l’indépendance kachin, qui contrôle des portions de territoire de l’Etat kachin. Ces deux rébellions sont les plus puissantes de Birmanie. Elles n’ont pas signé l’accord de cessez-le-feu du 15 octobre dernier et elles ne souhaitent pas s’impliquer dans un processus de paix et de négociations politiques alors que le pouvoir refuse de parlementer avec trois autres groupes insurgés, particulièrement actifs en ce moment : les insurrections kokang et palaung au nord-est du pays, où plus de dix mille personnes ont été déplacées depuis octobre, ainsi que l’Armée arakanaise, un groupe constitué il y a un peu plus de cinq ans et dont les accrochages avec l’armée birmane ont obligé plus de deux cents personnes à fuir leurs villages depuis fin décembre. L’armée birmane a promis d’« éliminer » l’Armée arakanaise.

« Les groupes ethniques de moindre importance combattent pour exister et avoir les mêmes droits que des rébellions déjà reconnues. Ils veulent avoir des représentants à la Conférence sur la paix, estime le P. Thomas Htang Shan Mong, directeur de la Commission ‘Justice et Paix’ de Conférence des évêques catholiques de Birmanie. De son côté, l’armée souhaite rapidement prendre des positions stratégiques puisqu’il n’y a pas encore de ligne de démarcation précise entre les territoires gouvernementaux et rebelles. »

Mais la question ethnique s’est encore obscurcie ces dernières semaines quand des combats ont éclaté entre un groupe qui a signé l’accord de paix et un autre qui se tient en retrait du processus. Il ne s’agit donc plus uniquement de conflits qui opposent le pouvoir central à des insurrections locales.

Ce regain de tension et cette confusion risquent de mettre en danger les travaux de la Conférence sur la paix. Cent vingt-six organisations non gouvernementales ont d’ailleurs appelé à son report. Le gouvernement birman, actuellement dirigé par le parti des anciens militaires, s’est pressé de convoquer la Conférence avant de quitter le pouvoir en mars suite à sa lourde défaite aux législatives de novembre. Il a sans doute souhaité montrer que, malgré ses imperfections, il avait initié le processus de dialogue. La Ligue nationale pour la démocratie, qui a triomphé aux élections, n’a pas indiqué, quant à elle, ses projets au sujet de la Conférence sur la paix. Sa dirigeante Aung San Suu Kyi a affirmé début janvier que le processus de paix serait la priorité du nouveau gouvernement.

(eda/rf)