Eglises d'Asie – Chine
« Tu cherches Marie ou Joseph ? Compose ce numéro… » Annoncer l’Evangile aux jeunes dans la Chine d’aujourd’hui
Publié le 26/02/2016
… supérieur entraînent tout autant de difficultés que de nouvelles opportunités pour annoncer Jésus-Christ. L’enjeu est primordial pour l’Eglise, ne serait-ce que pour faire face à la crise des vocations.
L’auteur de cette étude, le P. Bruno Lepeu, est missionnaire de la Société des Missions Etrangères de Paris (MEP). Basé à Hongkong depuis 1994 et chercheur au Holy Spirit Study Centre, il exerce particulièrement son ministère, depuis 1996, auprès de la pastorale des jeunes.
Publiée le 15 février 2016 par Religions & Christianity in Today’s China, le journal de China-Zentrum*, cette étude a été présentée en anglais lors du 9ème Colloque catholique européen consacré à la Chine, organisé en Pologne en septembre 2015, sur le thème : « Les défis de l’évangélisation – Chine et Europe ». La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
« Œuvrant auprès de l’Eglise catholique de Chine depuis une vingtaine d’années, j’ai souvent été frappé par l’acuité des difficultés auxquelles doit faire face cette Eglise, aussi bien sur un plan interne qu’externe. Toutefois, ces dix dernières années, à chaque fois que j’ai eu à travailler auprès des jeunes ou de la pastorale des jeunes, j’ai toujours eu le sentiment de prendre part à une expérience certes ardue, mais très encourageante à bien des égards.
C’est en me fondant sur ma propre expérience ainsi que sur le témoignage d’autres personnes engagées en Chine, auprès de la pastorale des jeunes, que je partagerai ici certains aspects que j’ai perçus de la mission d’évangélisation auprès des jeunes dans la Chine d’aujourd’hui (1).
Dans les années 1990, la pastorale des jeunes se résumait aux classes de catéchisme, principalement pendant des camps d’été ou d’hiver. Les enfants et les adolescents étaient réunis pour assister à des classes d’enseignement du catéchisme (les dix commandements, le catéchisme sous forme de questions-réponses), dispensées par des religieuses et des séminaristes.
L’objectif était de préparer les jeunes catholiques à recevoir les sacrements. Je me souviens, que lorsque je me rendais dans les séminaires, les séminaristes me demandaient conseil sur l’organisation et les enseignements à dispenser dans ces camps, car ils n’étaient pas formés pour s’occuper de jeunes. Au début des années 2000, lorsque je visitais les communautés locales, l’une de leurs principales préoccupations était l’organisation des activités pour ces jeunes.
Des groupes de jeunes… pas si jeunes
Comme j’étais très impliqué dans l’apostolat des jeunes à Hongkong, on attendait de moi des recettes toutes faites, miraculeuses en quelque sorte, pour faire en sorte que les jeunes restent en contact avec l’Eglise et pour qu’ils puissent grandir dans la foi. Pour répondre à leur soif de formation sur la place et sur le rôle des jeunes dans l’Eglise, je leur ai présenté des programmes de formation pour adolescents.
Mais plusieurs fois, j’ai été surpris de voir les groupes locaux, soi-disant des « groupes de jeunes », constitués d’adultes de 30 ou 40 ans. Pendant des décennies, les responsables de communauté avaient été des personnes âgées ; par conséquent, les pasteurs locaux considéraient que ces jeunes adultes étaient, comparativement parlant, des « jeunes » ! J’ai donc appris à demander au préalable, l’âge des jeunes auxquels j’aurai affaire…
En même temps, certains diocèses ont commencé à dispenser à leur clergé des cours certes basiques mais véritablement adaptés à une pastorale de la jeunesse. Au milieu des années 2000, plusieurs jeunes prêtres et religieuses ont été envoyés à l’étranger pour poursuivre des études sur la pastorale des jeunes. A la même époque, des programmes destinés aux étudiants des universités ont vu le jour un peu partout dans le pays ; ils se sont développés très rapidement tout au long de ces dix dernières années. On peut donc dire que la pastorale des jeunes, a véritablement pris son essor en Chine vers 2005.
Les défis posés à la pastorale des jeunes variant en fonction de l’âge des jeunes, des générations et de l’environnement géographique et politique, je ne ferai ici qu’esquisser certaines pistes de réflexions.
Cibler les étudiants dans les universités
Les différences entre générations se creusent de plus en plus vite. Après celle des années 1980, puis celle des années 1990, une nouvelle génération avec des caractéristiques nouvelles apparait en moyenne tous les cinq ans : il y a ainsi la génération post-1995, celle du début des années 2000, etc. Et il est important de comprendre quelles sont les caractéristiques de chacune afin de répondre à leurs besoins spécifiques (2).
Il est très difficile de toucher les jeunes au collège ou au lycée, car ils passent la majorité de leur temps à l’école, accaparés par leurs études. Les paroisses, même en milieu rural, doivent trouver de nouvelles méthodes pastorales pour attirer les enfants et les adolescents à l’Eglise.
La combinaison de classes de soutien scolaire et d’approfondissement de la foi donne habituellement de très bons résultats. Je connais un prêtre qui invite des jeunes étrangers pour donner des cours d’anglais et il attire ainsi avec succès les adolescents, même des non-catholiques, pour participer aux activités d’été de la paroisse.
Dans les régions rurales, il est très difficile de contacter les jeunes qui ont dépassé l’âge de l’école primaire. Quand ils sont dans les internats, puis à l’université ou lorsqu’ils travaillent dans les zones industrielles, ils perdent contact avec leur paroisse et ont du mal à s’insérer dans de nouvelles communautés.
Les étudiants constituent la cible la plus importante numériquement et la plus facile à atteindre pour la pastorale des jeunes en Chine. Ils constituent un groupe en très forte croissance (7,27 millions d’étudiants diplômés en 2014, comparés à moins d’un million en 2002 !). Ils ont davantage de temps libre, de vacances et moins de devoirs que les élèves des établissements secondaires.
A l’image de tous les jeunes, ils sont pleins d’espoir et de générosité. Nombre d’entre eux sont prêts à s’engager et ils rêvent de changer le monde. Ils sont à la recherche de la vérité et d’un sens à donner à leur vie. Néanmoins, ils restent très influencés par la culture athéiste et scientifique.
En tant que catholiques, ils luttent quotidiennement pour rester fidèles à la foi transmise par leur famille, alors que leur environnement est relativement hostile. Quand ils arrivent à l’université, on peut considérer que leur foi n’est ni mature, ni forte, elle peut facilement s’évaporer. Ils ont à faire face aux nombreux défis de l’entrée dans la vie adulte. Ils peuvent être tentés par les affaires du monde qui les détournent de leur quête spirituelle, et dans cette période de changements rapides, ils ne savent pas comment vivre leur foi catholique.
Par exemple, ils ne savent pas comment faire face aux avances des cadres pour rejoindre le Parti communiste. Leur désir fort d’appartenir à un groupe d’amis, caractéristique de leur âge, est renforcé par la solitude qu’ils ressentent en entrant à l’université, généralement très éloignée de leur ville natale.
Se montrer astucieux et créatifs
Pour toutes ces raisons, les années d’études supérieures sont assurément le moment clé où l’Eglise peut rejoindre les jeunes. Mais en pratique, l’Eglise n’est pas autorisée à évangéliser sur les campus, même par l’intermédiaire de jeunes qui s’adresseraient à d’autres jeunes. Ces deux dernières années, le gouvernement a renforcé les contrôles pour maintenir la religion à l’extérieur des campus.
Une publicité ouverte pour des activités religieuses n’est pas envisageable. Une invitation de la part de camarades étudiants est la meilleure façon pour attirer les nouveaux-venus vers des lieux à l’extérieur du campus où les étudiants se rassemblent pour nourrir leur foi. Par exemple, une petite annonce avec le message suivant : « Tu cherches Marie ou Joseph ? Compose ce numéro… », est une des petites astuces utilisées par les étudiants catholiques pour contacter les nouveaux catholiques venus sur les campus.
A travers toute la Chine, sans distinction entre communautés « officielles » ou « non officielles », de belles expériences de pastorale des jeunes ont vu le jour depuis 2005. Dans certaines villes, l’Eglise locale propose un programme très large pour les étudiants, incluant des temps communautaires, des pèlerinages, des moments intégrant formation, service et prière. Des étudiants non catholiques suivent leurs amis catholiques, rejoignent tel ou tel groupe et deviennent très fervents.
Je me souviens d’un étudiant d’université qui a été baptisé après avoir fréquenté un groupe dirigé par des séminaristes. Après quelques années d’engagement dans le groupe, il est finalement entré au séminaire et actuellement, il se prépare à l’ordination sacerdotale. Il est l’un des nombreux exemples des jeunes gens qui viennent d’une famille urbaine non catholique, le plus souvent enfant unique, qui entrent dans la vie consacrée et changent le visage du clergé (qui jusqu’ici provenait essentiellement du milieu rural, traditionnellement catholique et moins éduqué).
Une grande soif spirituelle
De petites résidences permettent aux jeunes d’expérimenter la vie communautaire et la prière, ce qui est très important pour nourrir leur vocation. Nombreux sont les jeunes qui sont prêts à consacrer quelques années de leur vie au service de l’Eglise et des jeunes (3), même si en Chine, il est difficile de gagner sa vie en servant l’Eglise comme laïc.
Certains ont des difficultés avec leurs familles qui attendent qu’ils se lancent dans une carrière prometteuse une fois le diplôme en poche, et encore plus une fois qu’ils sont mariés. Cela ne les aide pas à réfléchir sur leur vie, sur leur relation à Dieu et sur ce qu’ils peuvent faire pour Dieu et les autres. Il y a un grand besoin de fournir à ces jeunes un accompagnement spirituel personnel, pour les aider sur leur route personnelle vers la sainteté. Plusieurs jeunes catholiques sont d’ailleurs très courageux et prêts à souffrir pour leur foi (4).
Les groupes sur les réseaux sociaux comme Weixin & WeChat (les Twitter & Facebook chinois) ou sur la messagerie instantanée QQ sont des moyens de soutien pour les jeunes chrétiens. Certains diocèses ruraux, qui mettent en œuvre des activités pour les jeunes pendant les vacances d’été et d’hiver, gardent ainsi le contact avec les étudiants à travers la Chine, pendant le reste de l’année.
Ce sont en majorité les jeunes leaders qui entretiennent ces contacts. Mais certains prêtres et religieuses sont très engagés, parfois même jusqu’à aller rendre visite à ces jeunes dans les villes où ils poursuivent leurs études. Certains groupes de jeunes proposent également un suivi pour les étudiants diplômés, y compris en assurant des liens sur leur nouveau lieu de travail, une formation dispensée avant et après le mariage, etc.
Certains groupes plus expérimentés se mettent au service d’autres groupes à travers la Chine. Le réseau de la pastorale des jeunes s’étoffe, mais ces jeunes agents pastoraux ont besoin de matériel, de soutien et de formation.
Après avoir participé aux rassemblements internationaux de jeunes (comme les JMJ, les rassemblements de Taizé, les Journées asiatiques de la jeunesse, etc.), certains diocèses organisent maintenant de grands rassemblements pour les jeunes. Quelques diocèses possèdent désormais leur propre Commission pour la jeunesse et/ou des centres pour jeunes et leur proposent des programmes intensifs, telle une formation sur 100 jours à plein temps (qui comprend l’épanouissement personnel, la formation des leaders, l’approfondissement de la foi, etc.), l’objectif étant d’armer les jeunes catholiques à entrer dans le monde des adultes. Certains groupes se concentrent davantage sur la vie de prière.
Assurer un suivi après l’université
Un groupe particulier cible les jeunes professionnels nouvellement arrivés en milieu urbain, en leur proposant un soutien très élargi, incluant logement, recherche d’emploi, club de rencontres catholiques, etc… Un des soucis primordial de la pastorale des jeunes est la famille : comment armer les jeunes catholiques pour qu’ils vivent une vie familiale heureuse et stable dans une société qui change si rapidement ? Beaucoup de jeunes gens, y compris des couples non catholiques, s’adressent d’ailleurs à l’Eglise pour leur mariage : la formation et la célébration du mariage sont donc des opportunités importantes pour l’évangélisation.
Malgré tout, dans de nombreux endroits, l’Eglise locale n’est pas très bien préparée pour affronter ces différents défis. Les jeunes travailleurs migrants en milieu urbain constituent également un groupe particulier pour l’évangélisation, le plus souvent oublié par l’Eglise locale. Les étudiants faisant leurs études à l’étranger, dans un environnement libre, sont très ouverts aux nouvelles idées, y compris la religion. Mais, le plus souvent, ce sont des groupes de chrétiens évangéliques qui s’occupent des étudiants chinois à l’étranger. Les catholiques ne sont pas très présents.
En conclusion, afin de répondre aux besoins des jeunes et de renouveler ainsi la vie de l’Eglise catholique, il est crucial de développer une pastorale des jeunes ouverte et élargie. De nouvelles vocations à la vie consacrée, à la vie conjugale et au service de l’Eglise pourront ainsi s’épanouir grâce à ce beau et exigeant ministère. »
(eda/ra)