Eglises d'Asie

Blessés lors d’affrontements, les faucheurs de pavot de Pat Jasan battent en retraite

Publié le 01/03/2016




Jeudi 25 février, dans l’Etat kachin, au nord de la Birmanie, les faucheurs de pavot du groupe chrétien Pat Jasan ont été attaqués. Craignant pour leur sécurité, ils ont dû suspendre leur mission. Ces violences illustrent la montée en puissance de ce mouvement, nourri de l’exaspération des …

… populations locales, face au trafic d’opium et d’héroïne.

Ils ont décidé de faire demi-tour. Pour un temps. Mais ils ne considèrent pas ce retrait comme une défaite. « Maintenant, les gens du monde entier connaissent la situation concernant la production d’opium dans notre pays », confie à Eglises d’Asie un pasteur de la ville de Waingmaw, où a lieu l’attaque, jeudi dernier.

Une trentaine de faucheurs bénévoles du mouvement Pat Jasan ont été blessés lorsque leur groupe a été attaqué par des inconnus. Armés des serpes qui leur servent à couper les plants de pavot (la plante qui sert à produire l’opium, puis l’héroïne), ils n’ont rien pu faire face à leurs assaillants qui leur jetaient des grenades et des pierres. Ils sont aujourd’hui hospitalisés à Myitkyina, chef-lieu de l’Etat kachin, le plus septentrional de la Birmanie.

Pat Jasan accuse les cultivateurs d’opium ainsi que les trafiquants de drogue d’avoir organisé cette embuscade. « Les policiers se sont enfuis lorsque les planteurs de pavot sont passés à l’attaque. Ils ne nous ont pas protégés. Ils sont payés par les cultivateurs », accuse le même pasteur qui ne souhaite pas révéler son nom. Pat Jasan a ensuite demandé au gouvernement de l’Etat kachin de fournir à ses membres une protection afin qu’ils puissent poursuivre leurs actions. Les autorités locales ont refusé, expliquant que la police n’était pas suffisamment bien équipée pour mener à bien cette mission, dans des régions contrôlées par des milices locales. Le Parlement national a accepté de débattre en urgence d’une proposition visant à apporter une aide aux associations qui luttent contre le trafic de stupéfiants.

Pat Jasan est un « mouvement de masse initié d’abord par des femmes qui ont vu leurs maris et leurs fils mourir de la consommation de drogues », explique Zau Lat, professeur de théologie, et membre de la Convention baptiste kachin. Dans la langue kachin majoritaire, ‘Pat’ signifie fermer, au sens économique (fermer une affaire, une entreprise). ‘Jasan’ veut dire nettoyer. Pat Jasan n’est pas une organisation structurée et officiellement enregistrée en Birmanie. C’est un mouvement chrétien qui regroupe des personnes animées par la même cause, l’éradication de la production et du trafic de drogues.

Les membres de Pat Jasan se déplacent en cortège, à pied. Dans le township (1) de Waingmaw, ils étaient plus d’un millier, la semaine dernière, pour faucher des parcelles de pavot, lorsque des groupes d’inconnus les ont attaqués. Les prêtres et les pasteurs qui participent à ces campagnes affichent leur appartenance religieuse, revêtant leur chasuble dans les processions. Leur mouvement s’est enraciné au fur et à mesure que les ravages de la drogue ont décimé la jeunesse kachin. Dans certains villages de la région, une dose d’héroïne s’achète aussi facilement qu’un paquet de cigarettes.

En décembre dernier, le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime estimait qu’il y avait 55 000 hectares de plantations de pavot en Birmanie. Après une forte augmentation du nombre de parcelles entre 2006 et 2012, depuis trois ans, les surfaces cultivées sont stables. Après l’Afghanistan, la Birmanie est le deuxième producteur mondial d’opium (650 tonnes annuelles). Près de 130 000 foyers vivent de la culture du pavot. L’agence onusienne établit un lien entre cette activité économique illicite, les conditions de vie difficiles et l’absence alternatives de revenus. « Le pavot est cultivé parce que c’est un moyen de subsistance face à la pauvreté », résumait en décembre le Bureau dans son rapport annuel.

Mais Pat Jasan refuse de croire à cette explication. Le groupe estime que l’arrachage forcé des plants de pavot ne met pas en difficulté les petits paysans. « Les planteurs ne sont pas seulement des locaux. Il y a des hommes d’affaires de Rangoun et de Mandalay, des amis de personnalités au pouvoir, ainsi que des Chinois. Les propriétaires des champs que le mouvement fauchait, quand les heurts ont éclaté, ont été identifiés. Ils utilisent l’opium pour anéantir les minorités ethniques », croit savoir un dignitaire de l’Eglise baptiste de Birmanie, qui refuse également de révéler son identité. Et cette source d’expliquer que l’Etat kachin recèle de nombreuses richesses, notamment les premières réserves mondiales de jade, qui permettraient aux locaux de vivre décemment si cette manne était exploitée de manière équitable.

Frustré par le manque d’implication des pouvoirs publics dans la lutte contre la drogue, Pat Jasan a décidé de faire justice lui-même. Le groupe emploie des méthodes musclées, comme les châtiments corporels destinés à punir les consommateurs de stupéfiants. « C’est comparable à la correction qu’un père donnerait à son fils pour qu’il change de comportement, à savoir quelques coups de bambou, confirme un chrétien baptiste de l’ethnie kachin, qui officiait dans les services secrets militaires pour la lutte antidrogue au début des années 2000. « C’est moins sévère que ce que prévoit la loi pour la consommation et le trafic de drogues. » L’utilisation de la force est-elle efficace ? « Nous n’avons pas d’autre solution, se lamente Zau Lat, le professeur de théologie. Nous avons tout essayé depuis les années 1960. »

Après les violents affrontements de jeudi, certains membres de Pat Jasan hésitaient quant à la stratégie à adopter alors que la saison de la récolte d’opium a commencé. Dans la presse birmane, Tuu Naw, présenté comme un membre influent de Pat Jasan, espérait armer les membres de son groupe pour en faire des justiciers plus efficaces. Une idée qui ne séduit pas les hommes d’Eglise, ni l’ancien membre des services secrets militaires birmans. « S’ils s’arment, ils seront considérés comme un groupe rebelle, estime-t-il. Le gouvernement cherche à les pousser dans l’illégalité pour démanteler leur groupe. Il ne faut pas qu’ils tombent dans ce piège. Pat Jasan s’est constitué très rapidement mais il faut maintenant que le mouvement se développe de manière contrôlée, et plus seulement de manière spontanée. »

(eda/rf)