Eglises d'Asie – Chine
« Ne pas faire du pape François le porte-voix du gouvernement chinois »
Publié le 04/03/2016
… que les réactions à l’interview du pape étaient rares en provenance de Chine continentale. Les propos du pape François, s’ils étaient adressés à la Chine et aux Chinois, ont été lus attentivement au-delà des frontières de la Chine populaire et nous vous proposons ci-dessous les commentaires d’un observateur vietnamien avisé.
Cet observateur vietnamien, Nguyên Huu Tan-Duc, est connu des lecteurs d’Eglises d’Asie. En mai 2012, alors que d’importantes manifestations rassemblaient dans les rues de Hanoi et de Saigon des centaines et des milliers de personnes protestant contre les empiétements de la Chine sur la souveraineté vietnamienne, Nguyên Huu Tan-Duc avait rédigé une « Lettre ouverte d’un Vietnamien aux Chinois de bonne volonté », que nous avions publiée.
Vietnamien, Nguyên Huu Tan-Duc vit en France depuis plusieurs décennies. Après quelques années à enseigner l’histoire et la géographie, il a longtemps occupé un poste de rédacteur à l’Agence spatiale européenne. Depuis sa retraite, il consacre son temps à l’étude de l’histoire contemporaine du Vietnam et à la production littéraire. Outre certaines études concernant l’histoire et l’actualité, il a traduit en français plusieurs romans de grands auteurs vietnamiens contemporains tels que Nguyên Tuan, Thạch Lam, Sơn Nam.
Ce que je pense des propos du P. Zhang Shijiang
« Eglises d’Asie fait justement observer qu’« un mois après la publication d’une interview inédite du pape François au sujet de la Chine (…), de l’intérieur de l’Eglise de Chine, rares ont été les voix à s’exprimer pour commenter les propos du pape » et que celle dont la revue fait écho ici « n’en a que plus de poids ».
J’apprends en effet que le P. Jean-Baptiste Zhang Shijiang « est une personnalité importante de l’Eglise en Chine » et que, « très actif, [il agit] au sein des structures «officielles» de l’Eglise ».
En attendant d’avoir un écho de la masse des fidèles ‘sans voix’ de l’Eglise « clandestine », je souhaite faire deux observations :
1.) Sur la forme : avec un grand respect, le P. Zhang exprime son appréciation pour « l’ouverture et la sincérité du pape François » et le « remercie sincèrement » pour « son amour et son attachement aux dirigeants et aux fidèles de l’Eglise en Chine. C’est vraiment extraordinaire ! (…) C’est le plus beau cadeau que le pape François en 2016 ait offert à notre patrie, à notre Eglise et au milliard trois cent millions de nos concitoyens. »
A en juger par la déférence du ton, conjuguée à la sûreté du propos, on ne peut s’empêcher de penser à une déclaration savamment dosée d’un diplomate investi d’une mission précise. A n’en pas douter, le P. Zhang dépasse ici le point de vue d’une simple communauté – « l’Eglise officielle de Chine » – pour se faire le porte-voix des autorités chinoises inquiètes devant la défiance du monde vis- à-vis de leur volonté d’hégémonie.
2.) D’autant plus que, sur le fond, il s’agit de faire passer un message essentiel « à l’Eglise universelle, y compris l’Eglise de France » et à travers elles, au monde entier, à savoir : « Face à l’émergence actuelle de la Chine, face à l’inquiétude internationale que celle-ci soulève, [le pape] appelle à grand cri et avec un souffle prophétique la communauté internationale à ne pas avoir peur de la Chine. »
A mon avis, le P. Zhang va un peu vite en besogne en voulant faire du pape François le porte-voix du gouvernement chinois !
Pour que la communauté internationale – en particulier les pays riverains de la mer de l’Asie du Sud-Est – cesse d’« avoir peur de la Chine », rien de plus simple : que la Chine cesse elle-même de faire peur en menaçant et en brimant sans relâche ses voisins, qu’elle accorde ses actes à ses paroles en politique extérieure ; en un mot, qu’elle cesse de se conduire en prédateur ne croyant qu’à sa force et à la loi de la jungle !
Au risque d’étonner le P. Zhang, je lui rappelle que « faire peur » est précisément l’une des armes favorites, à user à bon escient, de L’Art de la guerre de Sun Tzu, dont on sait qu’il fut le livre de chevet de Mao Zedong et qu’il est encore lu par les disciples de ce dernier. »
Nguyên Huu Tan-Duc, 4 mars 2016
(eda/ra)