Eglises d'Asie

Levée de bouclier des partis islamistes contre une loi de protection des femmes victimes de violences

Publié le 17/03/2016




Le 15 mars dernier, à Lahore, capitale de la province du Pendjab, 35 formations islamiques, y compris les principaux partis politiques islamistes, ont exigé le retrait d’une loi de protection des femmes victimes de violences. Votée ce 24 février par l’assemblée législative du Pendjab, la loi a été qualifiée par eux de …

« non islamique ». Ces responsables musulmans ont promis des manifestations nationales et des violences graves si le texte n’était pas retiré d’ici le 27 mars prochain.

C’est le Jamaat-e-Islami, le principal parti islamiste du pays, qui a réussi à fédérer l’ensemble de ces organisations islamiques dans cette démarche commune, une rareté étant donné les divisions qui traversent ces milieux radicaux. Selon Fazal-ur-Rehman, leader du Jamiat Ulema-e-Islam, le cinquième plus important parti politique du pays, « le gouvernement [du Pendjab] agit contre la Constitution du pays et contre la charia sous la pression du colonialisme occidental ». La loi en question « obéit à un ordre du jour dicté de l’étranger qui vise à détruire la famille au Pakistan », a-t-il ajouté, stigmatisant une législation « présentée sous un beau titre conçu pour tromper l’opinion ».

Des partis islamistes menaçants

Qaiser Sharif, un haut responsable du Jamaat-e-Islami, n’a pas hésité à se montrer menaçant au cas où les autorités du Pendjab n’obéissaient pas à l’injonction de retrait du texte. « Pour sûr, des émeutes se produiront et les rues seront investies », a affirmé ce dirigeant politique, qui a agité le spectre des émeutes de 1977 qui avaient vu le renversement du gouvernement de Zulfikar Ali Bhutto par le général Zia ul-Haq. Il a aussi rappelé que le Conseil de l’idéologie islamique, l’instance officielle chargée de veiller au respect du caractère islamique des lois votées dans le pays, avait, lui aussi, estimé que la loi était non islamique.

A l’autre opposé du spectre politique national, les organisations de défense des droits de l’homme, les organisations de femmes ainsi que les associations chrétiennes ont défendu la loi votée au Pendjab. Pour le P. Abid Habib, de la Commission ‘Justice et Paix’ de l’Association des supérieurs majeurs du Pakistan, l’opposition de « ces gens » à la loi est « regrettable ». « Là où ils veulent maintenir les femmes dans un statut d’infériorité, nous nous sommes toujours battus pour la défense de leurs droits », a-t-il souligné à l’agence Ucanews.

Mise en place de « Comités de protection des femmes »

La Punjab Protection of Women against Violence Act a été portée par le PML-N, le parti du Premier ministre Nawaz Sharif, qui est majoritaire à l’assemblée législative du Pendjab, la province la plus peuplée du pays. Elle s’inscrit à la suite de plusieurs autres textes votés ces dernières années, qui eux aussi visaient à protéger les femmes dans une société fortement patriarcale mais qui n’ont jamais produit beaucoup d’effets parce qu’appliqués par une administration dominée par les hommes et une police qui considère le plus souvent que les violences contre les femmes sont « une affaire interne aux familles ».

Cette fois-ci, la loi votée le 24 février vise à mettre en place tout un appareil administratif au niveau de chaque district où ce seront des femmes qui recevront et traiteront les plaintes déposées par les femmes victimes de violence. Des « Comités de protection des femmes » seront habilités à recevoir les plaintes pour violences domestiques, sexuelles ou psychologiques ainsi que les actions de harcèlement, de cybercriminalité ou bien encore d’abus en matière économique et financière. La loi prévoit également la mise en place d’un numéro d’appel national gratuit pour les femmes qui veulent rapporter une atteinte à leurs droits ou un acte de violence. Enfin, si la loi met l’accent sur la réconciliation entre les parties prenantes, elle met en place des peines de prison qui vont jusqu’à deux ans de prison, ainsi que des mesures de surveillance par bracelet électronique ou d’éloignement du domicile conjugal des maris violents.

Une remise en cause d’un ordre social patriarcal

Selon un rapport de 2014 d’Aurat Foundation, fondation pakistanaise (‘aurat’ signifie ‘femme’ en ourdou), chaque jour au Pakistan six femmes sont assassinées, six sont kidnappées, quatre sont violées et trois se suicident – et ces chiffres ne comptabilisent pas les violences, notamment les attaques à l’acide, liées à des affaires de dot, ni les enlèvements suivis d’un mariage forcé, une forme de violence dont sont notamment victimes les filles et les jeunes femmes des minorités religieuses.

Naeem Mirza, de la Fondation Aurat, estime que si les groupes islamiques s’opposent de manière si virulente à cette nouvelle loi, ce n’est pas tant parce que ce texte serait contraire à l’islam ou parce qu’il augmenterait le taux de divorce dans le pays, mais bien plus par que les dispositions prévues par le texte mettent les Pakistanaises en capacité d’agir pour défendre leur dignité. « Une femme pourra appeler le numéro vert pour demander de l’aide, des fonctionnaires chargées de la protection des femmes pourront pénétrer sous n’importe quel toit pour se porter à son secours, et son mari sera dans l’impossibilité légale de la jeter à la rue. S’il continue à se montrer violent, il pourra être chassé de chez lui et forcé de porter un bracelet électronique équipé d’un GPS qui garantira qu’il ne s’approche en aucune façon de sa victime tant qu’un accord n’a pas été conclu », explique Naeem Mirza, qui poursuit en ces termes : « Si ces mesures sont vraiment appliquées, elles changeront fondamentalement l’équation traditionnelle des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. C’est bien cela que le lobby des « religieux » trouve difficile à accepter. »

Reste à voir si la loi sera effectivement appliquée. Votée par le législateur au Pendjab, elle a été signée par le gouverneur de la province, ouvrant la voie à son approbation définitive par le gouvernement provincial. Sur place, certains disent que le gouvernement pourrait être tenté de gagner du temps en la renvoyant devant les députés. D’autres soulignent que rien ne changera si les militaires ne le veulent pas ; or, ces derniers sont derrière une bonne partie des agissements des partis islamistes. Mais, pour d’autres encore, les femmes du Pendjab soutiennent ce texte et refuseront qu’il reste lettre morte.

(eda/ra)