Eglises d'Asie

Menace sur la liberté académique des universitaires à Macao

Publié le 23/07/2014




Les récentes mises à pied et sanctions prononcées contre trois professeurs d’université, dont deux de l’Université Saint-Joseph, important établissement catholique de Macao, posent la question du degré de liberté académique dont jouissent les institutions d’enseignement supérieur. Depuis le …

… retour de Macao sous le drapeau chinois, en 1999, c’est la première fois qu’un professeur d’université est renvoyé pour avoir exprimé un jugement politique jugé inapproprié.

Le 11 juillet dernier, Eric Sautedé, professeur de sciences politiques à l’Université Saint-Joseph, a été renvoyé de cette université où il enseignait depuis sept ans. Emilie Tran, qui avait le titre de doyen du Département d’administration et de leadership de la même Université Saint-Joseph, a été rétrogradée, perdant sa qualité de doyen pour redevenir simple professeur (Emilie Tran est l’épouse d’Eric Sautedé). A l’Université de Macao (University of Macau), université publique, Bill Chou Kwok-ping, professeur de sciences politiques, a été informé qu’à titre de sanction, son traitement serait suspendu pour une période de 24 jours.

Dans les trois cas, pour ces universitaires spécialistes de sciences politiques, ce sont des commentaires critiques envers les autorités gouvernementales locales qui semblent être la cause des sanctions prononcées.

De nationalité française mais doté du statut de résident permanent à Macao, implanté de longue date dans la région (auprès de la publication Perspectives chinoises à Hongkong d’abord, puis auprès de l’Institut Ricci de Macao ensuite), Eric Sautedé est un spécialiste reconnu de la Chine. Chroniqueur régulier du Macau Daily Times, il analyse sans concession la politique du gouvernement. Dans une de ses dernières chroniques, il s’attachait à donner la signification de la veillée commémorative du printemps de Pékin : le 4 juin dernier, si la foule réunie à cette occasion à Hongkong était considérable (180 000 personnes), celle rassemblée pour la même cause à Macao était, même avec seulement 2 000 personnes, sans précédent. Eric Sautedé y voyait l’expression d’une exaspération montante d’une partie de la population de Macao vis-à-vis de l’exécutif local. Le 25 janvier dernier par ailleurs, Eric Sautedé avait souligné sur le site Internet du Macau Business « le manque de charisme » du chef de l’exécutif en place, Chui Sai-on, déclarant à son propos que « même en faisant le minimum, il n’était pas convaincant ».

Emilie Tran, pour sa part, dont les recherches portent principalement sur l’évolution du Parti communiste chinois et dans une moindre mesure sur l’industrie du jeu à Macao, semble devoir être victime de sa proximité avec Eric Sautedé. On lui aurait aussi reproché son franc-parler et son identité métisse de française d’origine sino-cambodgienne. Au South China Morning Post qui l’interrogeait sur sa rétrogradation, elle n’a pas souhaité répondre.

Quant à Bill Chou, professeur de sciences politiques à l’Université de Macao depuis 2002, il est connu pour être engagé dans le mouvement pro-démocratie de Macao. A l’image de ce qui se passe à Hongkong, toute une partie des élites intellectuelles et une portion notable de la population de Macao réclament la mise en place du suffrage universel. Dans les médias locaux, Chou Kwok-ping s’est révélé être l’un des avocats les plus en vue de ce combat. Dernièrement, il a vigoureusement critiqué un projet de loi portant sur la mise en place de retraites très généreuses pour les chefs de l’exécutif sortants ainsi que pour les plus hauts responsables de l’administration locale.

Dans le cas d’Eric Sautedé, le recteur de l’Université Saint-Joseph, le P. Peter Stilwell, a expliqué au journal local en langue portugaise, Ponto Final, que son limogeage avait pour but « de clarifier les choses », la situation devenant « de plus en plus délicate » pour l’université dont il a la charge. « Il y a un principe dans l’Eglise, qui est de ne pas s’ingérer dans les débats politiques locaux. Il est possible d’étudier les différents systèmes politiques et la Loi fondamentale [de Macao] sans intervenir dans les affaires présentes du gouvernement. La ligne est fine, difficile à tracer, entre ce qui relève du commentaire politique et ce qui appartient au commentaire académique », a-t-il déclaré. Dans une lettre ouverte aux membres de son université diffusée le 25 juin, le recteur a précisé : « En dernier ressort, le point fondamental qui a concentré mon attention est celui-ci : comment une université catholique se positionne-t-elle à Macao de manière à être fidèle aux valeurs humanistes défendues par elle depuis 400 ans et que la communauté locale perçoit comme telle – de manière à n’être ni un repère d’intérêts étrangers ni le lieu de luttes politiques intestines ? (…) Eric et l’Université Saint-Joseph se séparent. Cette décision n’appartient qu’à moi et Eric n’est ‘blâmer’ en rien, sinon qu’il demeure fidèle à ses convictions. »

Assurant une autorité de tutelle sur l’université, que ce soit directement ou par le biais de la Fondation catholique pour l’enseignement supérieur, Mgr Jose Lai Hung-seng, évêque de Macao, dément avoir exercé une quelconque pression sur le recteur Stiwell pour obtenir le départ d’Eric Sautedé. Son limogeage suscite cependant des remous au sein de la communauté catholique. Selon nos informations, le vicaire général du diocèse, le P. Pedro Chung, ne cacherait pas son incompréhension face à cette décision.

Pour les observateurs, la question se pose de la signification profonde de cette action envers les cercles académiques. S’agit-il d’un coup de semonce destiné à mettre en garde la communauté académique et à l’encourager à faire montre d’autocensure envers les dirigeants locaux et centraux ? D’aucuns soulignent que ces milieux académiques sont par ailleurs très engagés dans la lutte pour le suffrage universel. A Hongkong, il est de notoriété publique que de nombreux professeurs d’université sont très engagés auprès du mouvement Occupy Central ou au sein du Parti civique. A Macao, au sein du Legco (Legislative Council), les députés pro-démocratie sont tous ou presque de confession catholique (1).

Contacté par Eglises d’Asie, Eric Sautedé estime cependant que son limogeage et les sanctions imposées à Emilie Tran et Bill Chou résultent sans doute plutôt d’« un excès de zèle de personnes qui ont voulu plaire à leurs supérieurs ». Laissant ouverte la possibilité de contester sur un plan juridique son renvoi de manière à faire évoluer la jurisprudence, très peu protectrice de l’autonomie des professions intellectuelles, il souligne toutefois « le précédent dangereux » que constitue ces événements, qui, selon lui, « sont clairement contraires au principe ‘un pays, deux systèmes’ [sensé garantir l’autonomie de Macao vis-à-vis de Pékin] et viennent contredire certains points-clefs de la Loi fondamentale ».

(eda/ra)