« J’ai fait tout mon possible pour aider mon frère Sajjad, emprisonné après être tombé sous le couperet de la loi anti-blasphème », soupire Sarfraz Masih, chrétien pakistanais vivant dans la province du Pendjab. En juillet 2013, son frère a été condamné à mort pour l’envoi d’un message jugé blasphématoire à des imams, accusation qu’il a toujours récusée. « Tous mes efforts pour prouver son innocence ont été vains et à présent, je suis devenu moi-même une cible pour les extrémistes », précise-t-il à l’agence Ucanews. Une demande d’appel a été déposée auprès de la Cour suprême, mais les familles peuvent attendre des années avant d’obtenir une audience. « Durant quatre ans, j’ai résisté aux intimidations ; j’ai reçu des menaces de mort parce que je cherchais à défendre mon frère, mais, à présent, je suis à bout… Avec ma famille, nous avons décidé de fuir au Sri Lanka », confie-t-il encore.
A Karachi, d’après le pasteur Rafaqat Sadiq, de l’United Presbyterian Church, la majorité des chrétiens des districts de Dastagir, Essa Nagri, Azam Basti et Mahmoodabad – y compris des responsables de communautés chrétiennes – ont fui en Thaïlande, où ils vivent désormais dans des conditions misérables, car sans visa de travail. « Des jeunes filles sont même contraintes de se prostituer pour survivre… Néanmoins, ces chrétiens s’accrochent à l’espoir d’obtenir, un jour, le statut de réfugiés », a-t-il précisé.
Ces derniers mois, au Pakistan, le contexte interreligieux s’est encore dégradé, avec notamment le double attentat perpétré contre deux églises catholiques, à Lahore, en mars dernier, et le meurtre de deux jeunes musulmans, lynchés et brûlés vifs en représailles, car soupçonnés d’être complices des poseurs de bombe. Toutes ces violences interreligieuses, bien que condamnées par les autorités chrétiennes, « ont contribué à développer un climat antichrétien et beaucoup de musulmans pratiquent un boycott social officieux. Ainsi, de nombreux chrétiens se sont vus refuser l’achat de nourriture dans les magasins appartenant à des musulmans, et ces discriminations contribuent à les faire fuir », explique Saleem Khokkar, ancien président de All Pakistan Minorities Alliance, dans la province du Sind, actuellement réfugié aux Etats-Unis, après avoir été victime d’une tentative d’assassinat, en 2013.
Pourtant, d’après Kashif A. Javed, coordinateur de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques au Pakistan, « l’Eglise n’encourage pas les fidèles à l’émigration hâtive et risquée ». « Nous élargissons notre assistance juridique et financière aux victimes des persécutions, plutôt que de les aider à fuir à l’étranger », déclare-t-il.
Si beaucoup de chrétiens fuient le Pakistan en espérant une vie meilleure ailleurs, force est de constater qu’une fois arrivés dans un pays d’accueil, de multiples obstacles financiers et bureaucratiques restent à franchir. En Thaïlande, par exemple, les chrétiens doivent déposer une demande auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, puis attendre plusieurs années avant d’être auditionnés.
Les conditions de détention des réfugiés dont les visas ont expiré sont également terribles. D’après la BPCA (British Pakistani Christian Association), qui a recueilli le témoignage de David Alton, membre du Groupe parlementaire britannique pour la liberté religieuse et de croyance, en visite à Bangkok, le 4 septembre dernier, ces centres sont surpeuplés. Certains réfugiés partagent une cellule avec 95 autres hommes et enfants ; ils sont séparés de leur femme et de leurs filles, et ne peuvent se voir qu’une heure par semaine. Cette année, au moins huit demandeurs d’asile y ont trouvé la mort, faute de traitement médical.
Pour être libérés et bénéficier de deux années d’immunité, les réfugiés doivent s’acquitter d’une amende de 1 416 dollars US. Du fait de la surpopulation des centres de rétention, certains réfugiés ont été placés à la prison centrale de Bangkok, maison d’arrêt qui détient les plus grands criminels du pays. Les réfugiés s’y retrouvent enchaînés et soumis à une amende journalière de 5,38 dollars US par journée d’expiration de leur visa, sans garantie de pouvoir, un jour, être autorisé à demeurer sur le territoire thaïlandais.
Nadeem John, 38 ans, a fui Karachi avec sa femme et ses deux enfants pour arriver en Thaïlande en mars 2014, où ils ont dû faire face à des conditions de vie très difficiles. Son audition, auprès du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés est prévue pour 2019. « Depuis que nous sommes en Thaïlande, je suis sans travail et nous avons dépensé tout l’argent que nous avions épargné au Pakistan. Nous avons donc décidé de repartir à Karachi, de rouvrir un magasin et de recommencer une nouvelle vie », a-t-il précisé, emboitant le pas à des centaines de réfugiés qui retournent volontairement au Pakistan, faute d’issue viable à leur situation de réfugiés à l’étranger.
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