Eglises d'Asie – Birmanie
Après l’arrivée au pouvoir de la LND, l’Eglise catholique reste mobilisée auprès des déplacés kachin
Publié le 31/03/2016
… ce changement suscite de grands espoirs. Mais la résolution du conflit sera complexe, prévient l’Eglise catholique.
Ils ont des attentes immenses. Ils trépignent d’impatience. Cent mille déplacés du conflit kachin veulent rentrer chez eux. « J’en ai assez de vivre ici », explique Teresa Lubu, une enseignante de 22 ans. Il y a un peu plus de quatre ans, elle a fui les combats dans son bourg pour se réfugier dans l’enceinte de l’église Saint-Paul à Myitkyina, capitale de l’Etat kachin. Les abords du lieu de culte sont devenus un camp de déplacés qui, aujourd’hui, abrite près de 500 personnes.
©nytimes
En juin 2011, les combats ont repris entre l’armée birmane et l’Organisation pour l’indépendance kachin (KIO) après dix-sept années de cessez-le-feu. La KIO se bat pour une large autonomie. La rébellion n’a pas signé l’accord de paix partiel, négocié en octobre dernier par le gouvernement sortant des anciens militaires. Depuis, les pourparlers de paix sont au point mort. Le changement de majorité en cours en Birmanie relance les espoirs des déplacés. D’autant que la dirigeante de la LND, Aung San Suu Kyi a promis de reprendre les discussions de paix. « Les militaires obéissent à leur chef. Ils vont maintenant devoir écouter les instructions d’Aung San Suu Kyi », croit savoir Teresa Lubu, optimiste.
L’opposition birmane a remporté haut la main les élections législatives de novembre dernier. La Ligue nationale pour la démocratie (LND) a formé un gouvernement composé de 18 ministres. Le nouveau président U Htin Kyaw a prêté serment mercredi 30 mars. Dans son discours d’investiture, il a mentionné le processus de paix dans la liste de ses priorités. Dans ce nouvel exécutif, Aung San Suu Kyi dirigera quatre ministères : ceux des Affaires étrangères, du Bureau du président, de l’Education et de l’Énergie.
Mais la résolution du conflit et le retour des déplacés sont des objectifs difficiles à atteindre dans l’Etat kachin. Les dirigeants de la LND n’ont d’ailleurs pas expliqué comment ils comptaient s’y prendre pour bâtir la paix. « La LND est restée silencieuse, regrette le P. Vincent Shan Lum, qui dirige la Commission ‘Justice et Paix’ dans le diocèse de Myitkyina. Elle n’a rien proposé pour favoriser le retour des déplacés. Aung San Suu Kyi n’a jamais parlé des victimes du conflit. Elle n’a jamais visité un camp, même lorsqu’elle est venue à Myitkyina. » La nouvelle ministre essaie d’entretenir de bonnes relations avec les militaires pour les amener à accepter de nouvelles réformes pro démocratiques. Elle ménage donc ses critiques à leur encontre, quitte à maintenir une certaine distance avec ceux qui souffrent des conflits ethniques.
La majorité des villages d’origine des déplacés sont aujourd’hui contrôlés par l’armée gouvernementale. « Tant que ces soldats sont installés dans ces localités, nous ne pourrons pas convaincre les gens de rentrer chez eux », indique à Eglises d’Asie Mgr Francis Daw Tang, l’évêque de Myitkyina. Dans les camps, beaucoup de déplacés affirment qu’ils ne plieront bagage que lorsque l’Eglise leur donnera le feu vert. Et pour le moment, l’Eglise est très réservée. Le P. Noël Naw Lat, directeur de Karuna à Myitkyina, la branche locale de Caritas, estime qu’il faudra au moins « trois ans » avant de pouvoir organiser un retour des déplacés dans des conditions de sécurité acceptables. « Il y a des milliers de mines antipersonnel dans leurs villages et ceux qui les ont installées n’enregistrent pas les positions de leurs engins, relate-t-il. Beaucoup de soldats sautent sur leurs propres mines. »
Karuna, qui gère une cinquantaine de camps dans la région, ne prévoit donc pas de réduire son assistance aux déplacés. Dans les diocèses du nord du pays de Myitkyina, Bhamo et Lashio, l’association dispose d’un budget annuel d’environ 10 millions de dollars pour l’assistance aux victimes du conflit. Les distributions de rations et de couvertures sont de moins en moins nombreuses. Désormais, Karuna concentre ses efforts sur le développement d’activités génératrices de revenus, afin de responsabiliser les déplacés et de les préparer à un éventuel retour. Les femmes apprennent à tisser ou à gérer une petite épicerie. Les hommes travaillent dans des champs de maïs et de sésame. Karuna commence à réintégrer quelques familles dans des villages tiers. « Nous avons acquis des parcelles et nous installons les déplacés sur ces terrains, reprend le P. Noël. Le projet commence à peine, les maisons ne sont pas encore construites. »
Au plan politique, l’Eglise de Birmanie plaide pour la formation d’un Etat fédéral et l’octroi d’une large autonomie à la région kachin. Des prêtres catholiques participent régulièrement à des réunions avec des représentants de la KIO. Début mars, certains se sont rendus à Laiza, le siège de l’insurrection. « Nous avons dit à la KIO d’arrêter la guerre et de signer un accord de cessez-le-feu. Ils veulent le faire », assure le P. Joseph Yung Wa, qui a fait le déplacement. « Nous souhaitons que la LND nous approche avec un nouveau projet d’accord », confirme à Eglises d’Asie Dau Hka, un porte-parole de la KIO. Il affirme que son organisation se rendra à la table des négociations si tous les groupes ethniques armés du pays y sont également invités. La KIO avait justifié son refus de signer l’accord partiel de paix d’octobre dernier par le fait que le pouvoir avait exclu trois autres insurrections du processus.
Les revendications politiques de la KIO restent encore floues. La rébellion dit souhaiter la formation d’un Etat fédéral et démocratique. Mais le porte-parole Dau Hka n’a pas été en mesure d’expliquer plus en détails les contours de la nouvelle organisation politique qu’il appelle de ses vœux. Il a cité l’exemple du fédéralisme « suisse » avant de se raviser, préférant que son pays développe son « propre » modèle.
De nombreux prêtres catholiques regrettent que la KIO se laisse influencer par l’Eglise baptiste, majoritaire dans l’Etat kachin, et qui aurait des revendications plus indépendantistes qu’autonomistes. Ils estiment que ces requêtes ne seront jamais acceptées par le pouvoir et qu’elles n’ont pas contribué à promouvoir la paix. « Il faut rassembler les groupes chrétiens afin que nous parlions d’une seule voix, une voix plus forte, différente de celle de la KIO », estime le P. Paul Lum Dau, chancelier à l’évêché de Myitkyina. L’Eglise catholique en pays kachin n’entretient pas de lien particulier avec la LND et elle n’a pas relancé ses relations avec la branche locale du parti, à l’occasion du changement de gouvernement. « C’est une faiblesse, admet le P. Paul. Nous devons nous engager davantage. »
(eda/rf)