Eglises d'Asie – Malaisie
La Haute Cour de Sarawak accorde à un musulman le droit d’être reconnu comme chrétien
Publié le 31/03/2016
… malaisien, après quinze ans de batailles judiciaires.
Les chrétiens saluent ce jugement exceptionnel
Pour les chrétiens, assez nombreux dans cette région (1), la décision de la Haute Cour de Kuching est exceptionnelle et encourageante, car elle valide le principe constitutionnel de liberté religieuse, qui a souvent été malmené ces dernières années.
« Nous sommes très reconnaissants à la Haute Cour de Kuching d’avoir rendu un jugement équitable et juste, en conformité avec la loi malaisienne. Nous appelons à présent le gouvernement fédéral à honorer et à appliquer le principe de liberté religieuse garanti par le Malaysia Agreement et à confirmer les droits constitutionnels et les libertés fondamentales garanties à tous les citoyens de Malaisie par la Constitution fédérale », a déclaré dans un communiqué, l’ACS (Association of Churches in Sarawak), un groupe chrétien œcuménique qui regroupe, entre autres, les Eglises anglicane, catholique, méthodiste et adventiste.
L’ACS fait ici allusion à la fondation, en 1963, de la Fédération de Malaisie, avec l’union de la Malaya (la Malaisie péninsulaire), de Bornéo Nord (Sabah), de Sarawak et de Singapour (lequel sera expulsé de la Fédération en 1965), et du compromis constitutionnel trouvé à l’époque sur la liberté religieuse, dans l’article 3 de la Constitution (« L’islam est la religion de la Fédération mais d’autres religions peuvent être pratiquées dans la paix et l’harmonie partout sur le territoire de la Fédération ») et l’article 11 alinéa 1 qui garantit la liberté de religion en Malaisie.
Un cas qui fera jurisprudence ?
La juge Yew Jen Kie qui a statué sur cette affaire s’est en effet appuyée sur cet article 11 de la Constitution pour rendre son verdict. Elle a considéré que Roneey Rebit, né chrétien et converti à l’islam par ses parents, à l’âge de 10 ans, rebaptisé alors Azmi Mohamad Azam Shah, avait suivi la volonté de ses parents et qu’il ne pouvait donc être considéré comme une personne professant sa foi en l’islam, d’autant plus qu’à l’âge adulte, en 1999, il avait été baptisé dans la religion chrétienne et avait donc librement choisi sa religion. De ce fait, son cas ne dépendait pas d’une juridiction de la Cour de la charia puisqu’on ne pouvait le considérer comme musulman, mais bien d’un tribunal civil.
Par conséquent, la juge a demandé que, dans le cas de Roneey Rebit, une lettre de renonciation à la foi musulmane lui soit remise par le Bureau des Affaires islamiques de l’Etat de Sarawak et que son nom et son appartenance religieuse soient modifiés auprès de l’état civil malaisien.
Cela faisait des années que Roneey Rebit attendait cette décision. Peu après son baptême, il avait déposé une demande auprès du Bureau national de l’état civil, afin que son nom et son appartenance religieuse soient modifiés sur ses papiers d’identité, mais les pouvoirs publics avaient toujours refusé, considérant qu’ils ne pouvaient modifier son état civil sans l’accord d’un tribunal islamique.
Obtenir une lettre de renonciation à la religion musulmane d’un tribunal de la charia rendait quasiment impossible l’issue de l’affaire, car la Cour fédérale de la charia avait elle-même statué qu’elle ne disposait pas des compétences requises pour délivrer un telle lettre. De plus, en pratique, la renonciation à l’islam est punie de prison et les apostats, lorsqu’ils sont repérés, sont envoyés dans des « centres de rééducation ». Rooney avait alors déposé sa requête devant les juridictions civiles, afin de contourner cette impasse.
D’après le Borneopost, le Bureau des Affaires islamiques de l’Etat de Sarawak aurait donné son accord pour délivrer la « Lettre de non-objection à sortir de l’islam » avant l’avis de la Haute Cour, mais ce serait le directeur général du Bureau national de l’état civil qui aurait fait pression pour que la lettre soit émise par une Cour de la charia, ce qui montre à quel point les pouvoirs publics sont impliqués dans ce type d’affaires.
Le 30 décembre dernier, la Cour d’appel de Putrajaya, dans l’Etat de Perak, avait également rendu un jugement sur une affaire de couple divorcé, dans laquelle le mari avait converti les trois enfants à l’islam, l’ex-épouse étant quant à elle hindoue. La Cour d’appel avait alors statué que, pour une enfant, désormais, majeure, il appartenait à la jeune fille de décider par elle-même de son appartenance religieuse, mais que pour les deux autres enfants mineurs, convertis à l’islam par leur père, leur cas relevait de la juridiction islamique.
La Cour fédérale malaisienne – tribunal de dernière instance dans le système judiciaire civil – a d’ailleurs elle-même déclaré légal le fait qu’un père puisse convertir ses enfants à une religion, sans le consentement de son épouse.
Le gouvernement fédéral a pour sa part annoncé qu’un projet de loi sur les conversions unilatérales de mineurs allait être présenté devant le Parlement malaisien, bien qu’aucune date n’ait pour l’instant été fixée.
(eda/nfb)