Eglises d'Asie

L’Eglise catholique s’engage auprès de la jeunesse kachin meurtrie par les ravages de la drogue

Publié le 08/04/2016




Fatiguée de voir la jeunesse kachin tomber dans la dépendance, l’Eglise catholique a ouvert un centre de réhabilitation pour traiter un groupe de toxicomanes à Myitkyina, à l’extrême nord du pays. La direction de l’institution reconnaît que même si son personnel n’est pas encore suffisamment formé, elle souhaite agir, …

… à sa mesure, pour contrer l’inaction des pouvoirs publics.

Ils se sont tournés vers ce centre en désespoir de cause. Et ils espèrent se débarrasser de leur addiction. Trente-deux résidents, tous des hommes, vivent au centre de réhabilitation géré par l’Eglise catholique en périphérie de Myitkyina, la capitale de l’Etat kachin, à grande majorité chrétienne. « J’ai décidé de venir de moi-même après avoir essayé d’arrêter de me droguer plusieurs fois, sans succès », explique un de ces toxicomanes, Sut Awng, âgé de 20 ans.

Le jeune homme vient d’arriver dans ce complexe de plusieurs bâtiments comprenant un grand terrain de football et une salle de réunion qui sert également pour les célébrations religieuses. « Je suis allé à l’hôpital public mais il fallait produire un document de la police pour y être admis. C’est la règle pour toutes les affaires de drogue : il faut d’abord informer la police », reprend Sut Awng. Le jeune héroïnomane n’a pas souhaité se rendre au commissariat, estimant qu’il n’avait aucune chance d’obtenir le document requis, faute d’« amis ou parents dans la police ». Les médecins l’ont donc refoulé.

Ouvert il y a neuf mois, le centre de réhabilitation géré par l’Eglise catholique ne demande aucun document pour l’admission. Les toxicomanes doivent simplement démontrer leur souhait de participer au programme et s’entretenir préalablement avec le curé de leur paroisse.

Une thérapie uniquement spirituelle et sportive

Sut Awng et trois autres toxicomanes nouvellement arrivés ont d’abord été enfermés dans la cellule de désintoxication. Les planches sont suffisamment espacées pour permettre aux quatre ‘’détenus’’ de voir ce qui se passe à l’extérieur. Ils sont nourris. On leur donne des journaux et la Bible. Ils y restent une à deux semaines, le temps que la sensation de manque s’estompe un peu. Sut Awng reconnaît qu’il s’agit d’une épreuve très difficile pour lui. Il se plaint de douleurs au dos, de sensations de froid intense et d’une agressivité constante. Le personnel du centre administre des médicaments à ces nouveaux arrivants, les trois premiers jours. « Après les avoir pris, ils se calment et ils dorment », explique John, le directeur adjoint du centre.

La thérapie est uniquement spirituelle et sportive. Les résidents participent à des activités qui les amènent à réfléchir sur leur dépendance et sur les dommages qu’ils s’infligent. Ils prient. Ils chantent. Ils se dépensent sur le terrain de sport voisin. Les règles sont strictes : pas de drogue, pas d’alcool, pas de tabac, pas de téléphone portable. Les résidents ne peuvent pas sortir de l’enceinte du centre. Ils sont coupés du monde. Les deux premiers mois, ils n’ont pas le droit de recevoir de visite.

Les infractions au règlement sont sévèrement punies. « La première fois, on coupe les cheveux de la personne, précise John. La deuxième fois, on l’oblige à lire la Bible toute la journée, assise sur une chaise. La troisième fois, on la remmène à la cellule de désintoxication et on lui entrave les deux pieds. La quatrième fois, on décide que la personne n’est pas prête à arrêter la drogue et on la laisse rentrer chez elle. » La palissade bleue qui entoure le complexe est rafistolée à de nombreux endroits. « Certains résidents se sont enfuis, remarque John. Ils ne se sentaient pas bien. D’autres ont fait des trous dans le mur pour attraper des paquets de cigarettes que leur apportent, la nuit, des gens de l’extérieur. D’autres encore ont creusé des tunnels. »

La direction du centre de réhabilitation a conscience des limites de sa méthode pour sevrer ces résidents. Après six mois de traitement, « la plupart d’entre eux rechutent », admet John, qui précise que son centre n’a pas de formation professionnelle ni d’emploi à offrir à ceux qui en sortent. « Ce n’est pas un échec mais une étape sur le long chemin de la désintoxication », relativise Peter Hkun Awng, le directeur de l’établissement, également à la tête de la commission pour l’éradication de la drogue au sein du diocèse de Myitkyina. Il admet volontiers les faiblesses de sa démarche. « Nous aurions besoin d’un véritable médecin et d’un psychiatre, précise-t-il. Certains employés de notre centre n’ont pas de formation spécifique sur l’addiction. Nous avons du mal à comprendre les émotions des résidents et à nous mettre à leur place. Nous ne savons pas ce qu’ils ressentent lorsqu’ils sont en manque. »

La Birmanie, 2ème producteur mondiale d’opium

Pourtant, face au fléau de la drogue dans l’Etat kachin, l’Eglise s’est sentie obligée d’agir. L’opium est cultivé localement et l’héroïne y est synthétisée dans des laboratoires clandestins. La Birmanie est le second producteur mondial d’opium. Beaucoup de mineurs qui travaillent dans les mines de jade de Hpakant, à une centaine de kilomètres de Myitkyina, consomment de la drogue. « Le gouvernement sortant a négligé le problème car ce problème est lié à la politique, analyse Peter Hkun Awng. Tant qu’il y a la guerre, des milices et des groupes ethniques font ce qu’ils veulent sur les territoires qu’ils contrôlent, y compris le trafic de drogues. Si la paix était négociée, il n’y aurait plus de culture de pavot. » Peter Hkun Awng estime que si les autorités ne combattent pas efficacement le trafic de stupéfiants, c’est pour laisser la jeunesse kachin se détruire, et ainsi anéantir les velléités autonomistes de ce peuple.

Le nouveau gouvernement pro-démocratique de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) n’a pas expliqué comment il comptait relever ce défi. Conformément à la Constitution birmane, le ministre de l’Intérieur est nommé par l’armée, et pas par le président. Les arrestations de trafiquants et de cultivateurs ne dépendent donc pas des forces pro-démocratiques arrivées aux affaires le 1er avril dernier, mais de la bonne volonté des militaires. Pourtant, cela ne signifie pas que le nouveau gouvernement ne dispose d’aucune marge de manœuvre. « La plupart des cultivateurs de pavot nous demandent de leur fournir des cultures alternatives et d’organiser des formations en agriculture, explique à Eglises d’Asie Tu Raw, un dirigeant de Pat Jasan, un groupe de faucheurs bénévoles qui détruit des plantations de pavot. Le nouveau gouvernement peut soutenir financièrement de telles initiatives. »

(eda/rf)