Eglises d'Asie

Le geste du cardinal-archevêque de Prague en faveur de la liberté religieuse en Chine

Publié le 11/04/2016




Du 28 au 30 mars dernier, le président Xi Jinping a été reçu en visite d’Etat par son homologue tchèque Milos Zeman. Le 29 mars, les deux dirigeants ont signé un accord de partenariat stratégique, établissant le rôle de la République tchèque comme « point d’entrée » vers les pays d’Europe de l’Est …

… en centrale du programme chinois « Une ceinture, une route », ces investissements chinois colossaux visant à établir de « nouvelles routes de la soie » entre la Chine et l’Europe.

Si la visite du président chinois en Tchéquie a consacré le rapprochement opéré depuis quelques années entre Prague et Pékin, elle a aussi soulevé de vives protestations au sein des milieux soucieux de la défense des droits de l’homme, un thème important dans un pays où la figure de Vaclav Havel reste très prégnante. Dans la nuit du 29 au 30 mars, alors que Xi Jinping était reçu pour un dîner d’Etat au château de Prague, des activistes ont réussi à projeter en lettres géantes sur la façade du château de Prague la célèbre devise de Vaclav Havel « Pravda a láska » (‘Vérité et amour’).

Parmi les invités au dîner d’Etat figurait le cardinal Dominik Duka, 69 ans, archevêque catholique de Prague. Dominicain, interdit d’exercer son ministère sacerdotal en 1975 par les communistes alors au pouvoir, il a connu les prisons en 1981 et 1982, avant de sortir de la clandestinité après la Révolution de velours en 1989. C’est donc un homme averti des réalités communistes qui a côtoyé le président chinois le temps d’un repas officiel et qui a saisi l’occasion pour lui remettre une lettre demandant le retour à la liberté religieuse en Chine populaire. Le cardinal nous a fait parvenir le texte ci-dessous, dans lequel il explique le sens de sa démarche.

 

Déclaration à l’occasion de la remise d’une lettre au président de la Chine populaire

En tant que représentant de l’Eglise catholique romaine, je ne puis ignorer le destin des frères et des sœurs de notre Eglise dans cette partie du monde. La persécution des croyants chinois a été beaucoup plus cruelle et beaucoup plus douloureuse qu’elle ne le fut, chez nous, pendant le régime communiste. Comme je n’ai jamais été indifférent au destin du cardinal Beran (1), je ne puis être indifférent à celui du cardinal Kung et d’autres évêques qui sont aujourd’hui privés de liberté. La signification et le pouvoir du groupement des pays BRICS (dans lesquels la Chine populaire, avec son système politique, joue un rôle déterminant), avec lequel l’Union européenne et les pays de l’OTAN concluent de nombreux accords commerciaux, suscitent d’importantes questions.

De même que, dans notre pays depuis les années 1950, le régime communiste ne respectait et ne traitait qu’avec le mouvement du clergé catholique Pacem in terris, de même, en Chine, a été institué une « Association patriotique des catholiques chinois », avec, à l’origine, l’assistance de membres du mouvement tchécoslovaque que je viens d’évoquer. Dans le tourbillon de la Révolution culturelle, des prêtres et des croyants ordinaires se sont retrouvés en prison ou dans des camps de concentration. Dans ce tourbillon s’est trouvé aussi le père du président actuel de la Chine, et le président lui-même.

Je considère ma présence au repas avec le président comme une manifestation pour la liberté religieuse. Je voulais que notre hôte chinois se rende compte que, dans un pays démocratique, l’Eglise et les croyants font partie inséparablement de la société. Ceci mis à part, ma présence fut aussi l’occasion de remettre au président chinois un livre représentant l’œuvre du poète tchèque Bohuslav Reynek (1892-1971), qui fut édité à l’occasion d’une exposition sur la République tchèque à Pékin. L’exposition des dessins de Reynek avait été refusée par le ministre de la Culture de la Chine au motif qu’ils attiraient l’attention sur une thématique religieuse qui le gênait. Après de longues et persévérantes négociations, il a cédé, et l’exposition a été réalisée comme il avait été prévu.

Avec ce livre, j’ai remis au président chinois une lettre, dans laquelle j’explique les raisons de ce cadeau, et dans laquelle je formule le souhait du retour de la liberté religieuse non seulement pour les chrétiens catholiques, mais pour tout croyant, ce qui ne serait possible qu’en respectant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, conforme à la résolution de l’ONU de 1948. Les changements politiques et la détente dans le domaine de l’économie et de la culture font espérer que ce souhait pourra en partie être respecté.

Dans cette lettre au président chinois, j’évoque aussi mon propre passé : « Puisque la devise de mon ordre religieux est Veritas, c’est-à-dire Vérité, je me permets avec insistance d’exprimer ce souhait, qui tient son origine non seulement du fait que je suis dominicain et cardinal de l’Eglise catholique, mais aussi de ma propre expérience du régime communiste sous lequel j’ai été emprisonné : l’ordination en Chine, l’an dernier, d’un évêque choisi en collaboration avec l’administration d’Etat et le Saint-Siège fut pour moi un signe d’espoir. »

En République populaire de Chine, selon les sources officielles, plus d’un tiers des habitants affirme avoir une vie spirituelle et de prière. A côté des bouddhistes et des taoïstes se trouvent à peu près cent millions de chrétiens. Parmi eux, on dénombre douze millions (voire vingt, selon les estimations) de chrétiens catholiques romains avec soixante-dix évêques, qui exercent leur ministère avec des entraves, et quarante évêques qui demeurent dans la clandestinité.

Dans cette lettre au président, j’écris encore : « Les premiers missionnaires chrétiens sur le territoire de la Chine étaient des religieux franciscains et dominicains, ordre auquel j’appartiens. On ne peut en outre oublier la mission des jésuites et l’œuvre du jésuite Matteo Ricci, ni la présence à la cour impériale d’un jésuite tchèque, mathématicien et astronome, le Père Karel Slaviček, sur la tombe duquel le président Miloš Zeman a déposé un gerbe lors de sa visite, l’an dernier, en République populaire de Chine. »

Je ne souhaite pas aborder cette problématique comme un commentateur indifférent, qui prend facilement une attitude critique. J’essaie d’aider autant qu’il est possible. Je ne puis rien faire d’autre que d’agir en faveur des chrétiens, en particulier des membres de mon Eglise. Mon attitude est en conformité avec la politique du pape Benoît XVI et celle du pape actuel, François.

Cardinal Dominik Jaroslav Duka, OP
Archevêque de Prague et président de la Conférence des évêques catholiques de Tchéquie
à Prague, le 29 mars 2016

(eda/ra)