Eglises d'Asie

De la difficulté à organiser le gouvernement de l’Eglise catholique en Chine

Publié le 14/04/2016




Le Code de droit canon le dit : dans l’Eglise latine, « l’évêque diocésain qui a atteint soixante-quinze ans accomplis est prié de présenter la renonciation à son office au Pontife Suprême qui y pourvoira après examen de toutes les circonstances » (Can. 401 – § 1). Dans l’Eglise catholique en Chine, les choses se passent …

… toutefois habituellement de manière différente et cette différence témoigne de la difficulté à organiser le gouvernement de l’Eglise dans un pays où les autorités civiles s’immiscent profondément dans le fonctionnement de cette dernière.

Dans le diocèse de Wenzhou, important diocèse de la province de Zhejiang, au sud de Shanghai, l’évêque « officiel » du lieu, Mgr Vincent Zhu Weifang, a saisi l’occasion de la messe chrismale, célébrée à Wenzhou le 23 mars dernier, pour annoncer sa retraite. Pour tout diocèse « normal » situé dans un pays « normal », la nouvelle aurait été publiée au bulletin quotidien d’information du Saint-Siège, sous cette forme : « Cité du Vatican, le 23 mars 2016 : Le Saint-Père a accepté, pour limite d’âge, la renonciation de Mgr Zhu Weifang, à la charge pastorale du diocèse de Wenzhou (Chine). »

Il n’en a pourtant rien été. A Wenzhou, dans sa cathédrale, entouré de 800 fidèles et des prêtres de la partie « officielle » du diocèse, Mgr Zhu a prononcé les mots suivants : « A l’âge de 90 ans, il m’est de plus en plus difficile de mener le diocèse, tant pour ce qui regarde l’évangélisation que l’administration. » Et de poursuivre en ces termes : « Pour faciliter une transition en douceur et œuvrer au progrès effectif des affaires de l’Eglise, j’ai donc décidé de me retirer et de nommer comme administrateur [du diocèse] le P. Ma Xianshi. »

A ce stade, deux questions peuvent être posées : pourquoi Mgr Zhu était-il toujours en charge à un âge aussi avancé ? et pourquoi a-t-il décidé de désigner un administrateur, sachant que le diocèse compte un évêque coadjuteur, en droit donc de prendre sa succession, en la personne de Mgr Shao Zhumin, 53 ans ?

Favoriser l’unité des communautés catholiques

La réponse à ces questions se cache dans le contexte particulier qui est celui de l’Eglise en Chine, une Eglise divisée en communautés « officielles » et « clandestines » du fait de l’immixtion du pouvoir civil chinois dans sa vie interne. En 2007, l’évêque « clandestin » de Wenzhou, Mgr James Lin Xili, qui avait été ordonné dans la plus grande discrétion en 1992, était très âgé et affaibli par la maladie (il mourra deux plus tard, le 4 octobre 2009). En vue de favoriser l’unité entre les deux communautés de ce diocèse très dynamique, Rome décide de nommer comme ordinaire de Wenzhou, le P. Vincent Zhu Weifang, membre du clergé « officiel », avec comme coadjuteur le P. Shao Zhumin, membre du clergé « clandestin ». Le P. Zhu étant alors âgé de 81 ans et le P. Shao ayant 44 ans, il était entendu qu’à la mort de Mgr Zhu, Mgr Shao prendrait la direction du diocèse tout entier.

Dans la pratique, le souhait d’unité du Saint-Siège s’est toutefois heurté aux méfiances des uns et des autres. Au sein de la partie « clandestine », des questions ont été posées, par exemple au sujet de savoir si Mgr Shao, en tant que coadjuteur, allait devoir obéir à Mgr Zhu, l’évêque en titre. Mgr Shao allait-il être obligé d’agir contre sa conscience ? en étant obligé, par exemple, d’adhérer à l’Association patriotique des catholiques chinois, cette instance par laquelle le gouvernement chinois cherche à imposer son contrôle sur l’Eglise.

Au fil des années, la méfiance réciproque s’est atténuée mais à l’heure-clé où la succession de Mgr Zhu doit concrètement envisagée, on ne peut que constater que ce dernier n’a pas pu – ou pas voulu – agir autrement qu’en désignant un administrateur, en la personne du P. Ma Xianshi (1). Selon un catholique du lieu, témoignant sous le sceau de l’anonymat auprès de l’agence Ucanews, « le mieux aurait été que Mgr Shao ‘fasse surface’ et prenne la tête des deux communautés, « officielle » et « clandestine », mais, dans les circonstances présentes, une telle unité est improbable, même si les interactions sont plus nombreuses qu’il y a dix ans et les anathèmes réciproques ont quasi disparu ».

‘Faire surface’ au risque d’agir contre sa conscience

Pour que Mgr Shao ‘fasse surface’, c’est-à-dire puisse agir au grand jour, au sein des structures « officielles » du diocèse, il faudrait en effet qu’il soit installé comme évêque « officiel », et cela signifie une acceptation de son épiscopat par les autorités civiles. Or, pour que le gouvernement chinois l’accepte comme évêque, Mgr Shao devrait très certainement devenir membre de l’Association patriotique et, un jour prochain sans doute, concélébrer une messe avec l’un ou l’autre des sept évêques « officiels » qui sont illégitimes car ordonnés sans l’accord du pape. En agissant ainsi, Mgr Shao prendrait le risque d’agir contre sa conscience et de se couper d’une grande partie de la communauté « clandestine » qui ne lui reconnaîtrait plus alors d’autorité. A Wenzhou, on estime que les « clandestins » représentent environ 80 000 fidèles, les « officiels » étant moitié moins.

Le diocèse de Wenzhou n’est pas un cas unique en Chine. Dans d’autres diocèses, le Saint-Siège a cherché à favoriser l’unité du corps épiscopal à la faveur de la disparition de cette génération d’évêques nommés dans les années 1980 et 1990 et qui sont aujourd’hui très âgés. Ainsi à Tianshui, diocèse de la province du Gansu (nord-ouest de la Chine), à la suite de la retraite de Mgr Wang Milu, le Saint-Siège avait nommé évêque en titre le P. John-Baptist Wang Ruowang, de la communauté « clandestine », avec pour coadjuteur le P. Bosco Zhao Jianzhang, de la partie « officielle ». L’ordination épiscopale de Mgr Wang s’est déroulé dans la clandestinité, c’est-à-dire sans que les autorités chinoises n’en aient connaissance. Prises de court, ces dernières ont semble-t-il très mal pris le fait que ce ne soit pas Mgr Zhao qui soit nommé évêque en titre ; elles multiplient depuis les pressions pour que Mgr Zhao devienne l’ordinaire du diocèse. En attendant, elles empêchent l’ordination épiscopale de ce dernier, qui a cependant été placé en 2013 à la tête de l’Association patriotique pour la province du Gansu. L’unité tant recherchée semble donc encore lointaine et des sources catholiques locales indiquent que Mgr Zhao aura du mal à se faire accepter comme évêque dans un diocèse où la composante « clandestine » est majoritaire.

Ainsi que le résume l’agence Ucanews dans une récente dépêche, l’organisation de la succession des évêques en Chine n’est qu’un exemple de la complexité que revêt la situation de l’Eglise dans ce pays. Alors qu’il est de notoriété publique que Pékin et Rome négocient un accord mais que rien n’a filtré de la teneur de ces négociations, cette complexité n’augure peut-être pas d’une issue rapide à ces dernières. « Le simple fait de nommer l’Eglise qui est en Chine pose problème et les mots qui seront choisis ont une signification politique forte, selon que l’on parle de ‘l’Eglise catholique en Chine’ ou de ‘l’Eglise catholique de Chine’, voire de ‘l’Eglise catholique chinoise’ », analyse un observateur anonyme.

(eda/ra)