Eglises d'Asie

A Lahore, après les attentats de Pâques, la prière en réponse à la barbarie

Publié le 29/03/2016




Le 28 mars, à Lahore, au Pendjab, des centaines de Pakistanais, bravant l’horreur et la peur, se sont réunis aux portes du parc Gulshan-i-Iqbal, pour une marche silencieuse et un temps de prière en hommage aux victimes de l’attentat-suicide, qui, la veille, a frappé en plein cœur de nombreuses familles venues jouer avec leurs enfants dans ce vaste parc, après la messe de Pâques.Ce soir-là, 78 personnes ont perdu la vie. Selon un responsable des services de secours, 31 enfants, 9 femmes …

… et 38 hommes ont été tués et quelque 300 personnes ont été blessées. Parmi les morts, on dénombre 54 musulmans et 24 chrétiens. C’est l’attentat le plus sanglant depuis celui de Peshawar, en décembre 2014, qui avait tué 132 élèves d’une école publique de l’armée, à la frontière afghane.

Quelques heures après le massacre de Lahore, un porte-parole des talibans du Jamaat-ul-Ahrar, faction rivale de la mouvance talibane pakistanaise du Tehreek-e-Taliban, revendiquait l’attentat-suicide, en précisant qu’il « ciblait les chrétiens ».

La minorité chrétienne visée

Ce n’est pas la première fois que les chrétiens sont visés par des attentats suicides. Le 15 mars 2015, déjà, un double attentat, également revendiqué par Jamaat-ul-Ahrar , avait fait 17 morts près de deux églises de Lahore. Un dimanche de septembre 2013, dans la cour d’une église de Peshawar, deux kamikazes s’étaient fait exploser, tuant plus de 80 personnes.

Les chrétiens, deuxième minorité religieuse après les hindous, représentent près de 2 % des 200 millions de Pakistanais. Issus des basses castes hindoues du XIXème siècle, ils restent encore aujourd’hui déconsidérés et discriminés, et font majoritairement partie des classes sociales les plus basses de la société pakistanaise, exerçant des métiers dévalorisés, comme nettoyeurs de rues ou éboueurs. Beaucoup d’entre eux, souffrent régulièrement de persécutions – lois anti-blasphème, conversions forcées, enlèvements des filles et des femmes – et fuient leur pays.

Les minorités des sikhs, hindous et les ahmadis – ils se réclament d’une branche de l’islam, mais ne sont pas reconnus comme musulman par l’Etat pakistanais – font également les frais des lois anti-blasphèmes ou souffrent de discriminations.

Ces minorités religieuses sont aujourd’hui une cible facile pour les terroristes, car peu d’auteurs d’attentats font l’objet de poursuites judiciaires et se retrouvent condamnés, malgré les condamnations officielles des responsables politiques. Si l’attaque du 27 mars visait principalement les chrétiens, la communauté chiite, qui représente 20 % des Pakistanais dans un pays majoritairement sunnite (75 %), a également été touchée.

Contexte politique

Pour Peter Jacob, directeur du Centre pour la Justice sociale de Lahore, « les talibans cherchent à défier le gouvernement dans sa lutte contre l’extrémisme, et les chrétiens sont les victimes de cette lutte de pouvoir. L’attentat-suicide de Gulshan-i-Iqbal coïncide avec des manifestations pro-blasphème à Islamabad, alors que le gouvernement ne souhaite pas prendre partie sur ce sujet sensible », a-t-il expliqué.

Le dimanche 27 mars, en effet, des milliers de manifestants continuaient de défiler dans les rues de la capitale pakistanaise, pour protester contre la pendaison, le 29 févier dernier, de Mumtaz Qadri, l’un des prisonniers les plus admirés par les islamistes radicaux du Pakistan. Ce dernier avait assassiné, en 2011, Salman Taseer, gouverneur du Pendjab, pour avoir osé critiquer la loi anti-blasphème et soutenu publiquement la chrétienne Asia Bibi, condamnée à la pendaison pour blasphème.

Le porte-parole des talibans du Jamaat-ul-Ahrar a défié le chef du gouvernement pakistanais en lui envoyant un avertissement politique lors de la revendication de l’attentat. « Nous envoyons ce message au Premier ministre, Nawaz Sharif, pour lui dire que nous sommes entrés dans Lahore. Il peut faire ce qu’il veut, mais il ne nous arrêtera pas. Nos kamikazes vont continuer ces attaques. » Lahore est en effet la ville d’origine de l’actuel Premier ministre et son frère, Shahbaz Sharif, est à la tête de la capitale de la province du Pendjab.

Dans un rapport publié ce 29 mars 2016, la Commission nationale ‘Justice et Paix’ des évêques catholiques pakistanais a tenu à rappeler que « tuer des victimes innocentes, en particulier des femmes et des enfants au nom d’une religion est inacceptable. Alors que la cible était de tuer des chrétiens, de nombreux frères et sœurs musulmans qui se trouvaient dans ce même parc ont également été tués. Nous prions pour toutes les victimes de cette attaque, car tous étaient pakistanais. Bien que le Premier ministre et le chef d’état-major des armées aient fortement condamnés cette attaque, la Commission ‘Justice et Paix’ appelle le gouvernement à conduire les auteurs de cet attentat devant la justice et à resserrer les mesures de sécurité pour protéger tous les citoyens, y compris les minorités et les communautés les plus vulnérables. La vie au Pakistan est de plus en plus incertaine. Nous prions pour notre Seigneur, Jésus-Christ, apporte la sagesse, la tolérance et la paix à notre nation. Que Dieu donne la force d’endurer la perte d’êtres chers, aux familles des victimes. »

(eda/nfb)