Eglises d'Asie – Chine
Vers un accord entre le Saint-Siège et Pékin au sujet de la nomination des évêques en Chine ?
Publié le 01/02/2016
« L’annonce est prête et probablement déjà sur le bureau du pape [François] », assure le quotidien milanais, qui ne cite pas ses sources, ni ne précise la teneur exacte de l’accord qui serait sur le point d’être conclu entre le Vatican et Pékin. Le journal précise toutefois que les nominations épiscopales à venir sont « une première depuis la rupture des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine » (1) et qu’elles sont le résultat « d’une activité diplomatique aussi intense que discrète » mise en œuvre sous le pontificat de Benoît XVI et poursuivie avec « plus d’allant » depuis l’élection de François.
Face à une telle annonce, il semble cependant que, plutôt que l’indicatif, le conditionnel doive être utilisé. En effet, à Pékin, aucune déclaration officielle ne laisse entrevoir un tel accord. A Rome, précise l’agence I-Media, le Saint-Siège « se refuse, pour l’heure, à tout commentaire ». En l’absence de confirmation officielle, on ne peut donc que rappeler les quelques éléments factuels qui sont avérés.
Même si Pékin et Rome se sont gardés de toute déclaration officielle, les deux parties négocient. En juin 2014, une délégation chinoise était présente à Rome pour rencontrer de hauts responsables de l’Eglise catholique. En octobre 2015, c’était au tour d’une délégation vaticane d’aller dans la capitale chinoise et le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, avait évoqué une rencontre « très positive » faisant partie d’« un processus devant aboutir à un accord, comme espéré ». Enfin, la semaine dernière – et le Corriere della Sera confirme cette information déjà évoquée dans Eglises d’Asie –, une délégation chinoise a passé « deux jours » à Rome pour négocier. Juin 2014, octobre 2015, janvier 2016 : les visites se suivent et le rythme s’accélère.
Quelle peut être la teneur des négociations ? En la matière, faute de déclarations officielles de l’une ou l’autre partie, on ne peut que s’en remettre à des tiers, bons connaisseurs de la scène catholique chinoise et de la complexité des rapports entre la Chine et l’Eglise universelle. Après les négociations d’octobre 2015, le P. Jeroom Heyndrickx, missionnaire belge et ardent avocat de la formalisation d’un accord entre Rome et Pékin, a déclaré que les deux parties avaient laissé de côté « certains problèmes sensibles » (comme celui de l’évêque de Baoding, Mgr Su Zhemin, détenu au secret depuis plus de dix-huit ans, ou celui de Mgr Ma Daquin, évêque de Shanghai, assigné à résidence depuis plus de trois ans) pour « se concentrer sur celui de la nomination des évêques ».
Concernant ce dernier point, on peut rappeler qu’en août dernier, une ordination épiscopale a eu lieu en Chine populaire et que celle-ci, en la personne de Mgr Zhang Yinlin pour le diocèse d’Anyang (province du Henan), a concerné un candidat à l’épiscopat approuvé par Pékin et accepté par Rome. Cette ordination était la première depuis trois ans et aussi la première du pontificat de François. Du côté des responsables « officiels » de l’Eglise catholique de Chine, elle avait été présentée comme résultant d’une « élection démocratique » et entérinée par un « décret de nomination de la part de la Conférence des évêques catholiques chinois ». Du côté, du Saint-Siège, on faisait simplement savoir que le pape avait approuvé la désignation de Mgr Zhang comme évêque d’Anyang ; mais, comme c’est le cas pour l’Eglise en Chine, sa nomination n’a pas fait l’objet d’une communication officielle du Vatican.
Le journaliste du Corriere della Sera croit savoir que l’accord en gestation entre le Saint-Siège et la Chine prévoit que « Pékin soumet[tra] au Vatican une liste de ‘candidats acceptables’ [à l’épiscopat] et que le pape choisi[ra] et annonce[ra] le candidat de son choix au sein de cette liste ».
A l’évidence, une telle formulation pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Qui se cache derrière le mot ‘Pékin’ ? On peut penser qu’il s’agit de la Conférence des évêques « officiels ». Mais celle-ci n’a aucune réalité tangible : elle est entièrement contrôlée par le régime chinois et ne dispose d’aucune autonomie de fonctionnement. Comment seront choisis ‘les candidats acceptables’ ? Par élection ? Mais les élections en Chine sont tout sauf démocratiques et libres. Comment le pape annoncera-t-il son choix ? Le régime chinois devra-t-il donner son accord préalable à cette annonce ? Le pape pourra-t-il choisir un candidat en-dehors de la liste des ‘candidats acceptables’ ?
Au-delà de ces questions immédiates, au cas où un accord soit effectivement en passe d’être conclu, rien n’est dit du statut à venir des évêques que l’on dit aujourd’hui « clandestins », au sens où ils n’exercent pas leur ministère au sein des structures « officielles » de l’Eglise. Rien n’est dit non plus du statut des évêques « officiels » qui se trouvent en situation d’excommunication pour avoir accepté l’épiscopat sans l’accord du pape. Ces différents évêques seront-ils amenés à siéger ensemble au sein d’une seule et même Conférence épiscopale ? Qu’en est-il des trois évêques toujours en prison ou en résidence surveillée ? Quelle sera par ailleurs la carte des diocèses (depuis de nombreuses années, les structures « officielles » ont redécoupé la carte des diocèses sans en référer au Saint-Siège) ? Quel sera enfin le sort de l’« Association patriotique des catholiques chinois », instance mise en place en 1957 pour appliquer la politique religieuse du Parti communiste sur l’Eglise catholique et dont le pape Benoît XVI, dans sa Lettre aux catholiques chinois de 2007, rappelait « l’incompatibilité » avec la doctrine catholique ?
De nombreuses questions qui devront trouver une réponse avant, comme se prend à le rêver le journaliste du Corriere della Sera, d’envisager, « peut-être en 2017 », une visite du pape François en Chine. Une Chine où, par ailleurs, les dirigeants multiplient ces derniers temps les mesures répressives envers la société civile – dont font partie les religions.
Le 31 décembre dernier, le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong, a longuement exprimé ses doutes et ses inquiétudes sur son blog. Ne cachant pas le peu de crédit qu’il portait à la parole de Pékin, il demandait au Saint-Siège de « ne pas conclure d’accord à tout prix », sans « réelles garanties quant à la liberté de fonctionnement et d’organisation de l’Eglise en Chine ».
(eda/ra)