Eglises d'Asie

Une législation contre les vêtements « extrémistes » cible les Ouïghours musulmans

Publié le 04/11/2015




Ce 1er novembre, la Chine a renforcé son arsenal législatif national contre « le terrorisme », par une série d’amendements au Code pénal criminalisant notamment le port de « vêtements et symboles extrémistes ». Alors que la Région autonome ouïghoure du Xinjiang a fêté ses 60 ans en septembre …

… dernier, le cycle violences – répressions se poursuit dans cette province du nord-ouest chinois ; le 18 septembre, l’attaque d’une mine par un groupe armé y aurait fait une cinquantaine de morts.

La Chine s’est dotée d’un texte criminalisant les « vêtements et symboles extrémistes », dans un amendement au Code pénal qui vise clairement les Ouighours musulmans du Xinjiang, la province du nord-ouest chinois en proie à des violences interethniques de plus en plus exacerbées.

Le texte, dévoilé par la Cour suprême du peuple, la plus haute juridiction chinoise, inclut notamment les attaques, l’incitation au terrorisme, le transport de marchandises à des fins terroristes, et le fait de porter des vêtements ou logos en rapport avec l’extrémisme religieux. « Quiconque use de violence pour forcer autrui à porter de tels vêtements sera mis sous surveillance, détenu, ou emprisonné pour une durée pouvant aller jusqu’à trois ans », rapporte le Global Times, quotidien d’Etat et titre nationaliste publié en anglais et en chinois.

Le communiqué commun de la Cour suprême du peuple et du Parquet suprême du peuple ne précise cependant pas ce qui définit des vêtements ou symboles extrémistes, mais les médias d’Etat assurent que les amendements visent particulièrement l’extrémisme musulman au Xinjiang, où vivent un peu plus de 12 millions de Ouïghours, une minorité de musulmans dont la langue est proche du turc.

Contrôlée de près par les autorités chinoises, la province du Xinjiang est en proie à de vives tensions entre les Ouïghours qui s’estiment discriminés et empêchés de pratiquer leur religion librement, et les chinois Han, l’ethnie majoritaire, de plus en plus nombreux au Xinjiang.

De fait, la pratique du jeûne du Ramadan est largement entravée par les autorités. Tous les fonctionnaires ont strictement interdiction de l’observer, de même que les élèves des écoles et les étudiants d’université. Il leur est également interdit de se rendre à la mosquée et de prendre part à toute activité religieuse. Des témoignages d’étudiants ouïghours invités à déjeuner par leur professeur en plein Ramadan sont nombreux. Les citoyens ordinaires subissent aussi des pressions et une intense propagande des médias d’Etat pour ne pas observer le Ramadan.

Le port de signes religieux comme la burqa mais aussi la barbe, ou des tee-shirts ou drapeaux marqués du croissant islamique (considéré comme un symbole de l’indépendance du Turkestan oriental, le nom par lequel les indépendantistes ouïghours désignent le Xinjiang (‘nouvelle frontière’ en chinois)) est quant à lui déjà condamné au Xinjiang depuis janvier 2015. L’amendement au Code pénal officialise donc au plan national ces restrictions, l’absence de précision laissant toute latitude aux autorités pour appliquer la loi.

Sur le plan sécuritaire, Pékin a considérablement renforcé le contrôle de la région ces dernières années alors que des attentats se sont multipliés, parfois hors de la province. Les attentats de la place Tiananmen en 2013, où une famille de Ouïghours avait foncé sur la foule, ou le massacre perpétré au sabre à la gare de Kunming en 2014, ont créé un sentiment de défiance chez les Hans.

Quand les attaques se produisent au Xinjiang en revanche, Pékin préfère garder le secret. Le 18 septembre dernier, plus de cinquante personnes ont été assassinées dans le district de Baicheng, préfecture d’Aksou, lors de l’attaque d’une mine en pleine nuit par un groupe d’hommes armés de couteaux, qui ont pris la fuite avant l’arrivée de la police. L’information a été rapportée quatre jours après les faits par Radio Free Asia, site d’information financé par le Congrès américain. Mais l’attaque, qui s’est produite pendant des célébrations pour le 60e anniversaire de la création de la Région autonome du Xinjiang, n’a jamais été confirmée par Pékin. Un journaliste du New York Times, qui s’est rendu sur place, décrit une ville en état de siège, et des avis de recherche visant des Ouïghours.

Face à ces attaques à répétition, Pékin répond d’une part par la propagande, présentant le bon peuple ouïghour uni contre de méchants terroristes. C’est le message que veulent faire passer les autorités, qui accusent toujours des extrémistes religieux séparatistes. La réalité est évidemment plus compliquée. « L’élément déclencheur des attaques est souvent local, il peut s’agir de représailles parce qu’une femme a été dévoilée publiquement et sa famille couverte de honte, ou parce qu’un proche a été arrêté par la police », estime James Leibold, professeur d’études asiatiques à l’université de La Trobe, à Melbourne, spécialiste du Xinjiang, cité par le New York Times.

Les autorités réagissent également en instituant un ordre militaire dans certaines localités avec check-points, soldats lourdement armés, et blindés. Cette atmosphère de guerre civile s’accompagne d’arrestations arbitraires et d’un simulacre de justice. Ce fut le cas après un attentat qui avait fait 39 morts dans un marché à Urumqi, la capitale de la province, en mai 2014. Une semaine plus tard, 55 personnes avaient été jugées dans un stade, devant 7 000 spectateurs ; trois d’entre elles avaient été condamnées à la peine de mort.

Pour les autorités, il n’est pas question de contester cette politique. Après Ilham Tohti, intellectuel ouïghour modéré condamné à la prison à perpétuité en 2014 (1), le rédacteur en chef du Quotidien du Xinjiang, un journal local, vient d’être démis de ses fonctions et exclu du Parti communiste pour avoir « discuté de manière inappropriée » la politique du gouvernement au Xinjiang, rapporte l’agence Xinhua (Chine Nouvelle) le 2 novembre.

(eda/sp)