Eglises d'Asie – Chine
Les confessions forcées d’un avocat défenseur des chrétiens de Wenzhou
Publié le 02/03/2016
… a également été condamné à plus de dix ans de prison.
Depuis 2014, Zhang Kai défendait les chrétiens de Wenzhou qui s’opposent aux destructions d’églises et aux démontages de croix qui frappent toute la province du Zhejiang. Jeudi soir, six mois après son arrestation l’été dernier, le journal télévisé local a diffusé un sujet de plus de dix minutes dénonçant l’avocat. A en croire les allégations de ce document de propagande, l’avocat de 36 ans aurait orchestré lui-même la résistance des croyants du Zhejiang contre la campagne de démolition qui a touché 1 700 croix à ce jour.
Zhang Kai apparaît dans une pièce d’interrogatoire capitonnée, le corps entravé par une chaise fermée. Les yeux baissés, il s’accuse lui-même d’avoir menti à ses clients, les poussant à ne pas respecter la loi. « J’ai violé la loi nationale, troublé l’ordre public, mis en danger la sécurité nationale et violé le code professionnel des avocats », récite-t-il. En parallèle, des images de manifestations de faible ampleur sont diffusées, tandis que le commentaire explique que des constructions illégales ont été démolies.
Des « aveux » télévisés
Puis, c’est l’assistant de Zhang, Liu Peng, disparu lui aussi, qui apparaît pour accuser son employeur. Des fidèles triés sur le volet reprochent à l’avocat de les avoir amenés à commettre des actions illégales sans qu’ils fussent au courant d’enfreindre la loi. Zhang exprime ensuite ses « profonds remords ».
Le ton était bien différent de celui utilisé avant son arrestation quand il postait sur le réseau social Wechat un message dans lequel il affichait sa détermination à utiliser la loi chinoise pour tenter de mettre fin à la campagne de la province contre les croix qui surmontent les églises protestantes et catholiques, nombreuses dans cette région située au sud de Shanghai sur la côte est. « J’ai pris ma décision. Au pire, ils peuvent m’emprisonner. Mais si je garde le silence, je le regretterai toute ma vie », affirmait-il alors.
Outre le non-respect de la loi, le reportage qui lui est consacré vise aussi à décrédibiliser l’avocat en le montrant principalement intéressé par l’argent et la célébrité… Des accusations difficiles à valider au regard des risques pris par Zhang. Mais les fidèles interrogés ne manquent pas de hocher la tête face à la somme qu’aurait reçue Zhang Kai de la part des églises.
Liens avec l’étranger
Autre angle d’attaque, les liens avec l’étranger pour faire de l’accusé un mauvais patriote. « Je mets aussi en garde les soi-disant ‘avocats des droits de l’homme’ de me prendre comme une mise en garde, et de ne pas avoir de connivences avec les étrangers, de ne pas accepter d’argent d’organisations étrangères », dit Zhang Kai dans sa confession. Il cite deux noms : Bob Fu et Yang Fenggang. Le premier est directeur de l’organisation non gouvernementale China Aid, basée à Washington D.C., qui dénonce les atteintes à la liberté religieuse des chrétiens en Chine. Le second est le directeur du Centre sur les religions et la société en Chine, de l’université de Purdue (Indiana, Etats-Unis).
« Même si China Aid est mentionné dans la propagande honteuse du Parti communiste comme une ‘force étrangère soutenant le travail de défense légale de Zhang Kai’, nous ne serons jamais intimidés et n’arrêterons pas de promouvoir la liberté religieuse pour tous en Chine », a déclaré Bob Fu dans un communiqué. Lors d’un passage à Washington où il avait parlé de la liberté religieuse en Chine devant des élus américains, Zhang avait été hébergé par Bob Fu.
Contacté par Ucanews, Yang Fenggang s’est lui aussi défendu contre les accusations du reportage télévisé, indiquant simplement que son centre avait accueilli Zhang, comme chercheur invité pendant l’année universitaire 2013-2014. Parlant de Zhang comme d’un « ami », il affirme que l’arrestation de Zhang ne repose sur aucune preuve concrète, et appelle les autorités chinoises à libérer un avocat qui ne faisait que son travail. « Sa prétendue confession a tout l’air d’avoir été écrite, et il semble épuisé physiquement », note le chercheur, cité par Ucanews.
Lors de son arrestation cet été, la veille d’une rencontre prévue avec l’envoyé américain pour la liberté religieuse David Saperstein, le Secrétaire d’Etat américain John Kerry avait dénoncé une atteinte aux droits de l’homme.
De nouvelles arrestations
Mardi, c’est Gu Yuese, un pasteur à la tête de la plus grande communauté de Chine, l’Eglise de Chongyi avec 10 000 fidèles à Hangzhou, la capitale du Zhejiang, qui a été arrêté. Une enquête avait été ouverte contre lui fin janvier pour détournement de fonds. Le célèbre pasteur, qui apparaissait aussi bien lors de cérémonies aux côté des autorités religieuses chinoises, qu’avec des représentants d’Eglises étrangères, s’était opposé publiquement à la campagne de destruction qui a frappé la région.
Deux ans après le début de la campagne de démolition de croix et de certains lieux de cultes, des démolitions sporadiques ont toujours lieu dans la province du Zhejiang. L’agence de presse Ucanews dénombre une vingtaine de lieux de culte, dont une église catholique, touchés depuis le début de l’année 2016. Pour autant, la campagne n’a pas étendue hors des frontières de cette province, qui connaît la plus forte proportion de chrétiens par habitant de tout le pays.
Plus d’un an après le plus fort des troubles, le temps est maintenant aux condamnations. Un pasteur, Bao Guohua, a été condamné à 14 ans de prison et sa femme Xing Wenxiang à 12 ans de prison pour avoir « troublé l’ordre public », et incité leurs fidèles à « pétitionner », c’est-à-dire à aller se plaindre aux autorités supérieures de la province ou du pays, pour un problème local.
Le couple est aussi accusé d’avoir trompé les fidèles, détournant 336 000 dollars de dons à des fins personnelles : voitures et autres achats coûteux, tout en prétendant mener une vie ascétique. Outre les deux leaders, dix autres membres de cette communauté ont été condamnés à des peines de prison, d’après le Quotidien du Zhejiang.
Depuis le lancement de la campagne, fin 2013, les autorités affirment qu’il s’agit de détruire des bâtiments ou des croix qui ne respectent pas les permis de construire. D’après les médias officiels, des temples utilisés dans le cadre de pratiques traditionnelles chinoises non reconnues comme religion, ont aussi été détruits au début de la campagne.
(eda/sl)