Eglises d'Asie

Les hindous protestent contre la destruction d’un temple par les autorités locales

Publié le 06/12/2012




Une foule en colère de plus de 2 000 hindous a manifesté lundi 3 décembre devant le Club de la presse de Karachi, dans la province du Sind, deux jours après la destruction, sur ordre des autorités locales, du temple Shri Rama Pir et des maisons attenantes. 

« Nous n’avons plus de toit, nos enfants ont passé la nuit à grelotter de froid dehors, lançait l’une des victimes. Nous sommes devenus des sans-abris en quelques secondes. Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? » Réclamant des billets pour quitter le pays, les organisateurs du rassemblement ont interpellé le gouvernement du Pakistan « Nos temples sont aussi sacrés à nos yeux que vos mosquées le sont aux vôtres. Si vous ne voulez pas de nous ici, nous irons en Inde ! »

Samedi 1er décembre, le temple Shri Rama Pir avait été démoli à coup de bulldozers, ainsi que les maisons jouxtant le lieu de culte, tandis que les familles hindoues qui y résidaient étaient expulsées de force par la police. Les ordres émanaient des autorités militaires, propriétaires des lieux, sur plainte d’un promoteur immobilier, en litige depuis des années avec la communauté hindoue au sujet du terrain sur lequel s’élève le temple, édifié il y a près de 80 ans, soit avant même la Partition.

Selon l’India Times du 3 décembre, un premier ordre d’expulsion concernant le temple et la quarantaine de personnes résidant dans les maisons alentours avait été émis par l’armée en 2008 afin de permettre l’acquisition du terrain par ledit promoteur. Des sections du temple avaient été endommagées à la suite de l’intervention d’hommes armés. Mais l’éviction forcée et la destruction des bâtiments de samedi dernier semblent, cette fois, s’être appuyées sur le motif d’un « empiètement » des constructions du temple et des maisons alentours sur le propre terrain du promoteur.

C’est ce qu’affirment en tous cas les autorités militaires qui ont procédé à l’expulsion. « Il ne s’agissait que de déplacer d’une zone militaire des occupants clandestins », soutient ainsi Zeenat Ahmed, directeur du département d’Etat pour la gestion des terrains et des bases militaires. Les autorités ont aussi assuré que la destruction des bâtiments n’avait aucun rapport avec la religion, affirmant qu’il ne s’agissait pas d’un lieu de culte. « Il n’y avait aucun temple, a déclaré le responsable du commissariat de Nabi Buksh, seulement quelques statues de dieux hindous dans les habitations et nous nous sommes assurés qu’elles avaient été mises en lieu sûr », ajoutant que « les habitants avaient eu tout le temps nécessaire pour déménager leurs effets personnels ».

Des affirmations qui provoquent la colère des victimes, lesquelles accusent les responsables des démolitions d’avoir en toute connaissance de cause « détruit leur mandir (temple hindou) et profané leurs dieux ». Plusieurs statues « de grande valeur », dont celle du dieu Shankar (l’un des noms de Shiva), ont disparu, et les images des divinités épargnées ont été dépouillées de tous leurs joyaux et ornements en or.

La version des victimes concernant les conditions de leur expulsion diffère également de façon marquée de celle des autorités : « Tout d’abord, un groupe de quelques personnes est venu au temple, disant qu’ils voulaient le visiter, a témoigné mercredi 5 décembre à la BBC, Mukesh Kumar Jaidia, un habitant du quartier. Puis d’autres homme sont arrivés, suivis par la police et enfin les bulldozers. Ils ont mis une barrière de sécurité autour du temple et de quatre maisons et, avant que nous comprenions ce qui arrivait, les bulldozers commençaient à abattre les murs. »

Mais l’une des principales raisons de la colère des manifestants est la non-reconnaissance du statut discriminatoire de leur expulsion qu’ils dénoncent comme une action antireligieuse déguisée en décision de justice. Le long combat juridique entre le promoteur et la communauté hindoue devait en effet prendre fin ces jours-ci et, dans l’attente du jugement, le tribunal avait ordonné la suspension de toute action à l’encontre du temple par l’administration locale ou le promoteur avant le 7 décembre. « Il n’y avait pas encore de jugement définitif dans ce litige foncier », a confirmé mercredi 5 décembre Abdul Hai, un responsable de la Commission nationale des droits de l’homme.

Les habitants du quartier continuent de célébrer le culte sur le site dévasté où ils ont placé des statues et des images de divinités hindoues parmi les décombres. « Nos temples sont en train de disparaître de ce pays, tout comme notre communauté [hindoue] », a dénoncé Ramesh Kumar Vankwani, à la tête du Pakistan Hindu Council, avant d’annoncer que les manifestations dureraient jusqu’à ce que le gouvernement fasse justice aux victimes.

Mais les autorités n’ont pour le moment que peu réagi aux événements. Le ministre provincial des Minorités, Mohan Lal, n’a pas visité les lieux du drame ni publié de déclaration, et le président pakistanais Asif Ali Zardari s’est contenté, lundi 3 décembre, de demander aux responsables locaux de lui soumettre un rapport sur l’incident.

Bien qu’ils représentent la minorité la plus importante du pays (estimée selon les sources entre 3 et 7 millions de personnes pour une population de 174 millions), les hindous, à l’instar des autres minorités religieuses (chrétiens, sikhs, ahmadis), font face, particulièrement dans la région du Sind où vivent plus de 90 % d’entre eux, à des discriminations et attaques croissantes de la part de la majorité musulmane. Environ 1 600 familles hindoues auraient quitté le Pakistan ces deux dernières années, suite à des violences perpétrées à leur encontre (accusations de blasphème, mariages et conversions forcées à l’islam de jeunes femmes hindoues, destruction de temples et d’habitations).

« Les islamistes pensent qu’en attaquant les hindous, ils gagneront une place au paradis », explique Amarnath Motumal, vice-président de la Commission nationale des droits de l’homme pour la province du Sind, ajoutant qu’aujourd’hui les hindous du Pakistan « sont effrayés et ne peuvent obtenir l’aide de personne ».

Depuis la première vague de destruction de temples hindous (et d’églises chrétiennes) en représailles à la démolition en Inde de la mosquée Babri d’Ayodhya en 1992, les attaques envers les minorités religieuses ont considérablement augmenté, affirment les militants des droits de l’homme au Pakistan. Nombre d’entre eux critiquent le fait que l’Etat assure très mal la protection des lieux de culte et préfère, plutôt que d’investir dans l’entretien des sites religieux, y compris ceux répertoriés comme des monuments historiques, fermer les temples et les églises. Une attitude qui, selon eux, tient autant à la peur qu’il éprouve vis-à-vis des extrémistes qu’à un réel manque de volonté de sauver ces lieux de culte.