Eglises d'Asie

Après l’assassinat d’un leader politique sikh, les évêques chrétiens du Pakistan doutent de la capacité des autorités à protéger les minorités

Publié le 26/04/2016




« L’inefficacité et l’incapacité du gouvernement à agir sont en cause. En dépit d’années de « guerre contre le terrorisme », les dirigeants [du Pakistan] ne prennent pas au sérieux la protection des minorités religieuses. » C’est en ces termes que l’évêque anglican de Peshawar, Mgr Humphrey …

… S. Peters, a réagi à l’annonce de l’assassinat, le 22 avril dernier, de Sardar Soran Singh, un homme politique issue de la minorité sikh, tué à bout portant par deux hommes circulant à moto.

Agé de 46 ans, Sardar Soran Singh était membre du Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI – Mouvement du Pakistan pour la Justice), le parti politique fondé par l’ancien joueur de cricket devenu homme politique, Imran Khan, qui a pris le contrôle de la province de Khyber Pakhtunkhwa, lors des élections de 2013. Il était aussi le conseiller spécial chargé des minorités auprès du ministre-président de cette province, autrefois appelée Province de la frontière du Nord-Ouest, où l’influence des factions talibanes pakistanaises est très forte. Il siégeait enfin à l’Assemblée législative provinciale, où il avait été élu au titre des « sièges réservés » aux minorités religieuses du pays. Il était devenu une figure emblématique de la petite minorité sikh du pays, estimée à environ 20 000 personnes, et une personnalité engagée dans la défense des droits de l’ensemble des minorités religieuses du Pakistan.

Dans la nuit du 22 au 23 mars, le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), regroupement de factions islamistes armées, actif dans la région, a revendiqué l’assassinat. « Ces activités vont se poursuivre tant qu’un système islamique ne sera pas implanté au Pakistan », a prévenu le porte-parole du TTP, Muhammad Khurasani, dans un communiqué transmis par courriel.

Coup de théâtre : le commanditaire est un rival politique sikh

Lundi 25 avril toutefois, coup de théâtre, la police de Khyber Pakhtunkhwa a annoncé avoir procédé à l’arrestation de six hommes, dont le commanditaire de l’assassinat de Sardar Soran Singh. Selon les policiers, c’est un rival politique sikh de Sardar Soran Singh qui a commandité l’action criminelle. Elu conseiller de district de la vallée de Swat, une vallée qui a été un temps conquise par les islamistes avant que l’armée gouvernementale n’en reprenne le contrôle en 2009, ce responsable sikh, du nom de Buldev Kumar, était lui aussi membre du PTI mais aurait voulu être désigné comme candidat aux élections législatives provinciales, mais, en 2013, ce fut Sardar Soran Singh qui fut choisi. Désireux d’éliminer ce rival politique, Buldev Kumar a, toujours selon la police, payé l’équivalent de 10 000 dollars à des hommes de main pour tuer Sardar Soran Singh. « Lors de la phase initiale de l’enquête, Kumar et les autres personnes arrêtées ont avoué leur implication dans le meurtre de Soran Singh », a déclaré en conférence de presse le chef des enquêteurs à Peshawar, ce 25 avril.

Toujours selon ce responsable policier, la revendication du TTP « n’est donc pas fondée », et il a rappelé que le mouvement taliban avait, dans un passé récent, revendiqué des actions criminelles qui se sont avérées devoir être imputées à d’autres que lui. Ce rebondissement n’a cependant pas empêché le TTP d’insister pour réaffirmer qu’il était bien le responsable de la mort de Soran Singh.

Avant que ne soient connus ces nouveaux développements, les responsables de la communauté chrétienne de Peshawar avaient pris position. Pour Mgr Humphrey S. Peters, l’assassinat de Soran Singh est le signe que « la police de la province [de Khyber Pakhtunkhwa] n’est pas en mesure d’assurer notre protection ; ils sont dépassés en nombre par les terroristes ». La mort du leader sikh « soulève des questions sur la portée effective du plan d’action nationale contre le terrorisme », a insisté l’évêque anglican, en référence aux actions armées déclenchées dans la province par l’armée gouvernementale après le sanglant attentat de 2015 qui avait causé la mort de plus de 130 enfants d’une école tenue par l’armée. Le responsable religieux a également rappelé le sanglant attentat qui a visé la communauté chrétienne de Lahore, au Pendjab, le dimanche de Pâques, ce 27 mars.

Les minorités religieuses, des « cibles faciles »

Du côté catholique, Mgr Joseph Arshad, évêque de Faisalabad (au Pendjab) et président de la Commission ‘Justice et Paix’ de l’épiscopat pakistanais, a rappelé le précédent qu’est l’assassinat, en 2011, du catholique Shahbaz Bhatti, tué par son garde du corps alors qu’il était ministre fédéral des Minorités. En dépit des actions militaires menées contre les talibans pakistanais et d’autres groupes extrémistes, les minorités continuent d’être perçues comme « des cibles molles », faciles à atteindre. « L’assassinat ciblé de représentants politiques est inacceptable. Il est essentiel que le gouvernement prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des minorités religieuses », a insisté Mgr Arshad.

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Soran Singh a été abattu à la nuit tombée, le 22 au soir, alors qu’il rentrait à son domicile du district de Buner, au nord-est de Peshawar. En dehors des milieux chrétiens, nombreux ont été les hommages qui ont salué sa mémoire et son œuvre. Pour le Conseil des oulémas du Pakistan, « Sardar Soran Singh a sacrifié sa famille pour la cause du Pakistan », référence au fait que, marié à une sikh et père de deux enfants, il avait refusé de quitter le Pakistan pour l’Inde ; lasse des menaces auxquelles sa famille était exposée, son épouse vit en Inde et le couple avait divorcé. D’autres ont rappelé son engagement à promouvoir l’harmonie entre les Pakistanais, quelle que soit leur appartenance religieuse ; dans un pays où les lois anti-blasphème sont comme une épée de Damoclès au-dessus de chacun – des lois qui, notamment, punissent de la prison à vie toute profanation du Coran –, Soran Singh avait contribué à mettre en place dans les rues de Peshawar des boîtes spéciales pour recevoir les exemplaires usés ou abimés des Ecritures saintes, quelles qu’elles soient.

(eda/ra)