Eglises d'Asie

Tin Myo Win, le nouveau négociateur de paix choisi par Aung San Suu Kyi

Publié le 28/06/2016




Choisi par Aung San Suu Kyi pour mener les pourparlers de paix avec les groupes ethniques rebelles de Birmanie, Tin Myo Win, chirurgien de profession, fervent bouddhiste, n’a aucune expérience en matière de résolution des conflits. Pour cette mission délicate, la conseillère d’Etat fait confiance à celui …

… qui est son médecin personnel depuis près de trente ans.

La voix haut perchée, les yeux rieurs, âgé de 64 ans, Tin Myo Win est un personnage affable qui n’a pas l’habitude de s’exposer sur le devant de la scène politique. Il y a été propulsé ces dernières semaines, comme de nombreux proches de la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi ou de membres des minorités ethniques promus à des postes à responsabilité au sein du nouveau gouvernement. Arrivé aux affaires le 1er avril dernier, le cabinet dominé par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, a mis fin à un demi-siècle de domination militaire sur la scène politique.

Un temps pressenti, selon la presse birmane, pour accéder à la présidence du pays, notamment après avoir assisté à plusieurs réunions avec le chef de l’armée, Tin Myo Win a finalement été choisi pour diriger, côté gouvernemental, les négociations de paix avec les groupes rebelles ethniques. « C’est un homme bon et sincère, mais il va devoir étudier davantage le processus de paix », critique ouvertement Sui Khar, secrétaire général du Front national chin, un groupe ethnique chrétien originaire de l’ouest de la Birmanie. Aux côtés d’autres dirigeants ethniques, Sui Khar participe depuis plusieurs semaines à des réunions préparatoires présidées par Tin Myo Win, en vue de relancer les discussions de paix en juillet ou août prochain. Aung San Suu Kyi a souhaité la tenue d’une seconde « Conférence de Panglong », en référence à celle de 1947, menée alors par son père. Ce sommet avait scellé l’union des peuples et des ethnies de Birmanie juste avant l’indépendance du pays en janvier 1948.

« Tin Myo Win ne sait pas vraiment qui est qui et il ne connaît pas les organisations armées, explique Sui Khar à Eglises d’Asie. Je pense qu’il aurait besoin d’une équipe pour l’assister sur les questions techniques. Lors de la première réunion que j’ai eue avec lui, il s’est comporté comme un messager d’Aung San Suu Kyi. Il a souvent dit qu’il lui transmettrait nos messages. Il devra être plus autonome pour être un négociateur efficace ».

Tin Myo Win revient tout juste d’une mission dans les territoires autonomes wa et mongla, au nord-est du pays. Les rébellions armées de cette région avaient refusé de parapher l’accord partiel de paix du 15 octobre dernier préparé par le précédent gouvernement, celui des anciens militaires. Tin Myo Win essaie de convaincre ces deux groupes ethniques armés non signataires de rejoindre le processus de paix qu’il va diriger. Le 21 juin dernier, un de ses collaborateurs assurait dans la presse locale que leur mission dans les contrées wa et mongla avait été prometteuse et que les deux insurrections souhaitaient poursuivre les discussions. De leur côté, les intéressés n’ont pas confirmé.

Ces derniers mois, Tin Myo Win a par ailleurs approché neuf autres rébellions exclues du processus de paix l’an dernier, espérant les intégrer aux pourparlers. Son équipe les a invitées à rencontrer la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi. Mais aucune date n’a encore été fixée pour cette éventuelle réunion.

La tâche de Tin Myo Win, qui cherche à rassembler tous les acteurs autour d’une même table, est rendue particulièrement délicate par les déclarations récentes de l’armée birmane. Cité par le quotidien The Global New Light of Myanmar, le commandant en chef des forces armées, le général Min Aung Haing, a conditionné la participation aux négociations de paix de trois groupes ethniques non signataires au dépôt de leurs armes. « C’est un obstacle majeur qui nous empêche de participer aux négociations de paix. C’est totalement impossible », a réagi dans la presse birmane le brigadier-général Tun Myat Naing, dirigeant de l’Armée arakanaise, un groupe rebelle.

Bien qu’il occupe un poste à responsabilité depuis peu dans un secteur qu’il méconnaît, Tin Myo Win s’est engagé en politique il y a longtemps, en 1988 précisément, lorsqu’un soulèvement pro-démocratique a été réprimé dans le sang en Birmanie. « J’étais chef du service des urgences à l’Hôpital général de Rangoun, déclarait Tin Myo Win en octobre 2014 à l’auteur de ces lignes. J’ai participé à des manifestations pacifiques. Les militaires nous ont tiré dessus. Le 10 août, une de mes infirmières est décédée. Fin septembre, Aung San Suu Kyi m’a proposé de rejoindre son parti. Et je suis devenu son médecin personnel. »

Tin Myo Win a ensuite été arrêté. Le pouvoir militaire exigeait de lui qu’il avoue sa participation au mouvement pro-démocratique et qu’il renonce à soigner Aung San Suu Kyi. Il a refusé. Il a été emprisonné pendant trois ans. A sa sortie, il a commencé à consulter à l’Hôpital gratuit musulman, une institution située dans un bâtiment gris du centre-ville de Rangoun où les malades, de toutes les ethnies et de toutes les religions, peuvent se faire soigner gratuitement ou pour une somme modique. L’hôpital est financé par les contributions de la communauté musulmane de Birmanie. Le personnel est musulman, bouddhiste, hindou et chrétien. Tin Myo Win y a travaillé pendant plus de vingt ans. Il était le seul chirurgien bouddhiste de l’équipe médicale.

Ces dernières années, l’Hôpital gratuit musulman a été épargné des conflits ethniques et religieux qui ont secoué presque tout le pays. « Les bonzes qui sont opérés des yeux le sont par un chirurgien musulman. Moi-même, j’opère de nombreux patients musulmans. Ici, il n’y a pas de barrière en ce qui concerne les religions. Je crois que cela vient de la déontologie médicale, précisait alors Tin Myo Win. Nous travaillons sous le serment d’Hippocrate. Nous devons soigner tout le monde ». L’homme se dit animé par une « forte foi bouddhique ». « Plus j’étudie la science, et plus je réalise la signification des enseignements du Bouddha », confiait-t-il.

Avant de prendre la tête de l’équipe de négociations de paix, Tin Myo Win opérait bénévolement jusqu’à dix patients par jour. « Je gagne ma vie dans les cliniques privées, indiquait-t-il. Une intervention me rapporte deux cents dollars. Je n’ai pas beaucoup de besoins. Je n’ai pas d’enfants ». Sollicité à de nombreuses reprises, Tin Myo Win n’a pas répondu aux questions d’Eglises d’Asie pour cette dépêche, invoquant de nombreux voyages et réunions. 

(eda/rf)