Eglises d'Asie – Chine
Venue de Taiwan, la « danse-gymnastique chrétienne » connaît un vif succès en Chine continentale
Publié le 30/06/2016
… jardin disponible : vers 20 h en été, 18 h en hiver, les gens se retrouvent par groupe de cinq, dix, vingt ou même cent personnes, pour s’adonner à des exercices physiques en tout genre. Certains groupes se spécialisent dans la gymnastique rythmique, d’autres dans la valse, d’autres dans une forme ou l’autre de taïchi. Certains adeptes apportent un accessoire, tel l’éventail ou le sabre pour des danses avec instrument. Chaque groupe a ses leaders, souvent des femmes âgées d’une cinquantaine d’années qui emportent avec elles une sono bruyante et montrent aux autres les pas et mouvements à effectuer.
Le phénomène n’est pas réservé aux grandes villes ; on le constate jusque dans les petits bourgs de Chine. Certes, ces groupes de gymnastique-danse attirent majoritairement des femmes de 35 à 65 ans, mais les hommes ne sont pas totalement en reste, notamment pour participer aux groupes de valse ou pour organiser leurs propres groupes de karaoké. On y voit aussi parfois des jeunes, surtout des jeunes hommes, pour des groupes de break-danse et autres exercices corporels propres à la jeunesse occidentale. Enfin, les matins, dès potron-minet, on voit des groupes de retraités se rassembler de manière similaire dans les parcs et jardins publics pour une heure d’exercices généralement plus orientés sur le maintien en forme.
Conquérir un espace de liberté dans le champ public
Les sociologues et anthropologues n’ont pas manqué d’étudier cet engouement populaire, montrant comment se mêlaient là une quête de loisir et de détente à coût zéro, une recherche de pratiques bonnes pour la santé et un désir d’être ensemble en groupe. D’autres ont montré que derrière ces gymnastes-danseurs se cachaient des résistants plus ou moins gracieux luttant pour accaparer un peu d’espace public, refusant le diktat de la marchandisation à outrance (tout est à vendre, tout se paye) ou se moquant du devoir des apparences. Des millions et des millions de Chinois, chaque soir, descendent ainsi sur les trottoirs et espaces libres pour s’adonner, une ou deux heures durant, à des enchaînements et postures qui, dans l’ordinaire, feraient rire chacun. Au rythme de ces musiques et exercices insolites, chacun peut s’inventer leader ou inventeur de nouveaux pas et techniques, se trouvant un coin de trottoir vide pour poser là son haut-parleur et lancer le mouvement. Plus aucune hiérarchie sociale n’est apparente et de parfaits inconnus doués dans telle ou telle pratique peuvent petit à petit se construire une réputation et jouir de l’admiration des foules.
L’importance et le côté invasif du phénomène n’a pas été sans créer des tensions. La compétition et la cacophonie des sonos tonitruantes qui parfois se succèdent tous les 20 mètres font que les habitants alentours se plaignent. Les nouveaux quartiers chics, avec leur plus grand nombre de jardins et allées, attirent une population nombreuse de danseurs-gymnastes qui ne se préoccupent guère de la quiétude des riverains. A la nuit tombante se balader ou faire du vélo le long de certaines allées devient un vrai parcours d’obstacle. Ainsi, dans beaucoup de lieux, la police a défini des horaires précis à partir desquels les haut-parleurs doivent s’éteindre. Elle a aussi délimité des espaces au sol afin que les groupes n’envahissent pas totalement les lieux et laissent circuler les passants. Au fil de ces dix dernières années, le phénomène est devenu progressivement plus encadré – au grand bonheur des jeunes trentenaires qui souvent regardent ces pratiques d’un œil moqueur et critique.
Mais en quoi ce phénomène concerne-t-il les chrétiens chinois d’aujourd’hui ?
Pour comprendre la version chrétienne du phénomène, il faut remonter de quelques années en arrière et passer par Taiwan. En 2010, la plus importante Eglise protestante de Fuzhou, capitale de la province du Fujian, invita une célèbre danseuse-gymnaste de Taipei, Mme Wu Meiyun, pour présenter sa technique et philosophie. Cette dame, relativement âgée mais à l’apparence tonique, suscita l’admiration de ceux qui la rencontrèrent.
De la gymnastique à l’évangélisation, il n’y a qu’un pas
Madame Wu a en fait étudié dans sa jeunesse à l’école presbytérienne de théologie de Taipei, avant de passer une grande partie de sa vie aux Etats-Unis, travaillant dans le monde civil. Ce n’est qu’une fois retraitée et de retour à Taiwan qu’elle décida de s’adonner aux exercices physiques, d’abord pour sa propre santé puis par souci de son Eglise. En effet, elle aimait se joindre à des groupes de gymnastes à Taiwan, mais souvent ses consœurs faisaient suivre la séance matinale par une visite au temple « païen » pour y bruler des offrandes. S’inspirant du pasteur presbytérien américain D. James Kennedy, Madame Wu décida de créer son propre groupe de gymnastes chrétiennes et d’en faire un outil d’évangélisation.
Techniquement, il s’agit de faire des pas et enchaînements rythmés sur des chants chrétiens, en groupe, tel une sorte de louange collective. Initialement, l’exercice se pratiquait le matin dans les parcs publics de Taipei et laissait venir à lui les personnes appréciant la manière de faire. Ce n’est qu’après un certain temps, quand la familiarité et l’amitié se furent instaurées entre les nouveaux venus et la leader, que cette dernière commença à parler de Jésus Christ et de la Bonne Nouvelle. Cette gymnastique chrétienne est aujourd’hui assez répandue à Taiwan, elle se reconnaît via une tenue vestimentaire emblématique qu’on retrouve jusqu’au sein des communautés catholiques.
Ainsi, à la fin de l’année 2010, c’est une centaine de chrétiens de Fuzhou qui vinrent rencontrer Madame Wu Meiyun et apprendre sa technique taïwanaise des « Exercices de louange » (zanmei cao). S’ils furent immédiatement séduits par l’idée et le dynamisme de la fondatrice, ils décidèrent de procéder à quelques ajustements importants, dans les chorégraphies, le rythme et le choix musical. Il s’agissait de rajeunir la formule et de l’adapter aux goûts de la Chine continentale, très créative en termes de gymnastiques, pratiques corporelles et danses populaires.
Des « Exercices de louange » désormais bien implantés
Depuis, les « Exercices de Louange » prospèrent en Chine continentale. Aujourd’hui, il existe 70 lieux de rencontre dans la seule ville de Fuzhou et plus de 3 000 gymnastes-danseurs se retrouvent chaque jour par petits groupes d’affinité matin ou soir. Loin d’être le phénomène d’une seule Eglise (on dénombre 32 communautés protestantes différentes à Fuzhou), les « Exercices de Louange » sont devenus un mouvement chrétien relativement autonome et visent principalement à évangéliser via le corps.
Les passants qui se joignent au mouvement apprécient cette combinaison de chants chrétiens et de pratiques corporelles, le tout se vivant de manière décomplexée en plein jour et en pleine rue. Il n’empêche que, comme tout autre groupe, les participants doivent respecter les règles relatives au volume sonore et à l’occupation de l’espace. Dès lors si un groupe commence à excéder les 25 ou 30 pratiquants réguliers, il se divise en deux groupes pour éviter toute tension. Il y a aujourd’hui plus de 200 coordinateurs de groupes à Fuzhou qui animent les 70 lieux de rencontre. Ceux-ci reconnaissent que sans l’audace de Madame Wu, ils n’auraient jamais osé sortir dans les rues de la sorte pour ouvertement pratiquer une gymnastique chrétienne et évangéliser. Si les responsables sont tous chrétiens et se retrouvent régulièrement pour prier, la majorité des pratiquants réguliers sont eux des non-chrétiens. Ces exercices corporels sur musique chrétienne deviennent ainsi l’occasion d’un réel temps et lieu de rencontre physique de l’Evangile, bien au-delà des seuls prêches et appels à la conversion.
A partir de Fuzhou, les « Exercices de louange » se sont répandus dans les neuf préfectures de la province du Fujian, et une association provinciale des « Exercice de louange » a été mise en place au niveau provincial pour capitaliser les savoirs et encourager à l’évangélisation. Au-delà du Fujian, d’autres lieux comme Shanghai, Pékin, les provinces du Henan, du Guangdong, du Zhejiang, du Shandong, etc. – soit une dizaine de provinces – s’approprient ces pratiques. Ce relatif succès n’empêche pas que l’introduction et l’adaptation de ces exercices est toujours un défi pour les chrétiens locaux. La tentation d’en faire une pratique entre amis délaissant l’aspect missionnaire menace toujours de prendre le dessus, tel que cela fut le cas dans l’une des neuf préfectures du Fujian. Les 150 pratiquants réguliers de cette ville se retrouvent en effet par petits groupes d’affinités dans les différents locaux de l’église locale et ne vont que rarement à l’extérieur. Une fois par mois seulement, les groupes se retrouvent un samedi matin sur l’une des deux places publiques de la ville pour faire leurs exercices en public, tel un spectacle. Du fait de l’horaire (en milieu de matinée) mais aussi de l’âge relativement élevé des membres et du côté spectacle, les exercices de louange perdent fortement leur capacité d’attraction et d’intégration des passants. Les membres de Fuzhou ont donc essayé d’interpeller les chrétiens de cette ville pour qu’ils osent sortir plus et bousculer leurs habitudes. Depuis plusieurs mois, un petit groupe se retrouve ainsi chaque soir le long de la rivière, dans l’un des lieux les plus populaires pour la gymnastique-danse, et pratique là des « Exercices de louange » pendant une heure.
Quoiqu’il en soit, l’importation, l’adaptation et le développement des « Exercices de louange » en Chine continentale est un véritable succès. Les protestants de Chine font preuve d’une grande flexibilité et créativité pour utiliser ce concept comme pratique de santé, encouragement à l’amitié et stratégie d’évangélisation. Le paradoxe est qu’aujourd’hui ces exercices se développent mieux en Chine continentale qu’à Taiwan, leur pays d’origine. Ils offrent surtout aux chrétiens chinois une nouvelle manière de se rendre présents, visibles et audibles dans l’espace public, bien au-delà des seuls discours et prédications des pasteurs et responsables traditionnels de communauté.
(eda/mc)