Eglises d'Asie – Chine
Shanghai : Mgr Ma Daqin crée la surprise en affirmant regretter sa démission de l’Association patriotique des catholiques chinois
Publié le 15/06/2016
… au sein de l’Association patriotique des catholiques chinois. En l’absence de commentaires plus détaillés de la part de l’intéressé, cet apparent retournement pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses.
On se souvient que, le 7 juillet 2012, Mgr Ma Daqin était ordonné évêque auxiliaire de Shanghai. Rome et Pékin avaient, chacun de leur côté, donné leur assentiment à cette ordination et il était entendu, pour le Saint-Siège, que la nomination de Mgr Ma était une manière de parvenir, à terme, à ce qu’un seul et même évêque, à Shanghai, dirige les communautés dites « officielle » et « clandestine ». On se souvient aussi qu’à l’issue de la messe d’ordination, Mgr Ma avait pris la parole pour, devant des représentants stupéfaits du gouvernement, annoncer qu’il se consacrerait désormais entièrement à son ministère épiscopal et qu’il démissionnait par conséquent de ses fonctions au sein de l’Association patriotique, cette instance imposée par le régime communiste pour exercer de l’intérieur un contrôle sur l’Eglise. Le soir même, Mgr Ma était soustrait à l’attention de ses fidèles et rapidement placé en résidence surveillée dans une chambre du petit séminaire, situé au pied de la colline au sommet de laquelle se trouve la basilique mariale de Sheshan, à une heure du centre de Shanghai.
Un évêque en résidence surveillée mais laissé libre de s’exprimer sur son blog
Depuis cette date, Mgr Ma, âgé de 47 ans, était empêché d’exercer son ministère d’évêque. Le fonctionnement du diocèse de Shanghai, l’un des plus importants du pays, était par conséquent profondément entravé : petit et grand séminaires fermés, noviciat des religieuses fermé, maison d’édition fermée, ordinations diaconales et sacerdotales repoussées sine die, pas de messe chrismale le Jeudi saint, pas d’installation de portes saintes pour l’année de la Miséricorde, etc. Sans parler de rumeurs insistantes faisant état de la disparition de sommes importantes sur les comptes bancaires du diocèse.
Ces derniers temps, la relative liberté de mouvement et d’expression dont jouissait encore Mgr Ma avait été restreinte. En mars, son compte Weibo, l’équivalent local de Twitter, suivi par plus de 50 000 abonnés, avait été soudainement fermé. Il semble que cette fermeture ait été motivée par le fait que Mgr Ma avait célébré la messe en privé, pour un groupe de fidèles, revêtu de ses ornements épiscopaux – un geste immédiatement sanctionné par les autorités chinoises pour qui Mgr Ma ne peut prétendre agir en tant qu’évêque de Shanghai. Le blog sur lequel Mgr Ma postait régulièrement des textes à portée spirituelle était en revanche resté consultable sur Internet.
Ce 12 juin, c’est sur ce blog que Mgr Ma a posté des propos inédits. A l’approche de la date du 20 juin, qui marquera cette année le centième anniversaire de la naissance de Mgr Jin Luxian (mort le 27 avril 2013 après avoir été durant vingt-cinq ans l’évêque « officiel » de Shanghai), Mgr Ma a publié une série d’articles en mémoire de Mgr Jin. Dans le cinquième article de cette série, Mgr Ma revient sur sa démission de l’Association patriotique. Il la qualifie de « rétrospectivement très peu avisée », et poursuit en se disant « ébranlé dans [sa] conscience ». Il note que le geste posé lors de son ordination épiscopale « a sapé le développement remarquable de l’Eglise catholique de Shanghai, un développement qui doit tant à Mgr Jin [Luxian] », et il poursuit en écrivant : « Pendant un certain temps, j’ai été trompé par certains, et j’ai prononcé certaines paroles et posé certains actes vis-à-vis de l’Association patriotique qui ne sont pas corrects. » « J’espère pouvoir agir de telle manière à corriger ces erreurs », écrit enfin Mgr Ma Daqin.
Capture d’écran du blog de Mgr Ma Daqin, portant un article consacré à la mémoire de Mgr Jin Luxian.
Une surprise totale
A Shanghai, au sein de la communauté catholique, comme dans le reste du pays, la surprise est totale. A supposer que Mgr Ma est bien l’auteur des lignes publiées sur son blog (ce que rien ne prouve à ce stade, Mgr Ma étant injoignable), le changement d’attitude de l’évêque « officiel » de Shanghai soulève des questions.
Pour les autorités chinoises, la distance prise le 7 juillet 2012 par Mgr Ma vis-à-vis de l’Association patriotique était un désaveu cinglant de leurs agissements et, depuis, leur objectif était à l’évidence de faire plier cet évêque avant que son exemple ne fasse tache d’huile dans les rangs des évêques « officiels ». L’Association patriotique au plan national comme au niveau local, à Shanghai, était tenue par Pékin pour responsable de l’acte d’insoumission de Mgr Ma et elle était sous pression pour que Mgr Ma « rentre dans le rang ». La question se pose donc du degré de liberté qui a été celui de Mgr Ma dans la rédaction de ce post de blog. Sa défense du principe d’indépendance de l’Eglise de Chine et les louanges qu’il tresse à l’Association patriotique ne lui ressemblent pas, note les observateurs extérieurs.
Parmi les catholiques chinois, à Shanghai notamment, les commentaires vont bon train sur les réseaux sociaux. Certains mettent en avant le fait que le blocage quasi-total du fonctionnement du diocèse ne pouvait durer éternellement et que la « repentance » de Mgr Ma est la seule issue pour sortir de l’impasse. D’autres écrivent que le retournement de leur évêque les met dans une situation intenable. « Il est difficile pour nous catholiques de choisir [si nous devons ou non suivre notre évêque] étant donné que ce qu’il a écrit n’est pas conforme aux préconisations du pape Benoît XVI dans sa Lettre aux catholiques chinois », écrit ainsi un certain Martin, cité par l’agence Ucanews. En 2007, Benoît XVI avait, dans sa lettre aux catholiques chinois, dit que les constitutions de l’Association patriotique des catholiques chinois n’étaient pas compatibles avec la doctrine catholique.
Des négociations entre Rome et Pékin
Depuis Hongkong, Anthony Lam Sui-ki, chercheur de longue date au Centre d’études du Saint-Esprit, le centre de recherches et d’études sur la Chine du diocèse de Hongkong, estime que Mgr Ma n’a pu que peser attentivement le pour et le contre de son geste. Selon lui, il n’a pas obéi, ce faisant, à une éventuelle instruction du Saint-Siège lui demandant de se repentir de sa démission de l’Association patriotique. Le chercheur ajoute seulement qu’il sait que le Vatican a, à un moment donné, proposé à Mgr Ma de quitter la Chine en arguant d’une raison médicale mais que Mgr Ma avait rejeté l’offre, préférant rester auprès de ses diocésains même en étant privé de liberté.
Le retournement de Mgr Ma intervient enfin alors que, de notoriété publique, les négociations entre Rome et Pékin ont repris. En juin 2014, en octobre 2015, en janvier puis avril de cette année, des délégations de l’une et l’autre partie se sont rencontrées. Rien ne filtre du contenu de ces négociations, sinon qu’on peut aisément deviner que le mode de désignation des évêques en Chine est en jeu, ainsi que la place et le rôle de l’Association patriotique des catholiques chinois.
(eda/ra)