Eglises d'Asie

L’Eglise catholique salue l’arrivée d’un ministre de la réforme agraire connu pour son engagement auprès des paysans

Publié le 13/07/2016




« Nous sommes sensibles à ces choix qui pour certains peuvent paraître radicaux. » C’est par ces mots que le P. Dexter Toledo, franciscain à la tête de l’Ecological Justice Interfaith Movement, a commenté la nomination de Rafael Mariano au poste de ministre en charge de la réforme agraire, dans le nouveau gouvernement du président …

… Rodrigo Duterte, élu le 9 mai dernier.

Rafael Mariano, agriculteur issu d’une famille paysanne et militant de longue date pour une réforme agraire, a pris ses fonctions le 4 juillet dernier, en posant un geste symbolique : il a ouvert grandes les portes de son ministère, cadenassées depuis près de vingt ans pour empêcher les manifestants de pénétrer dans les locaux.

Rafael Mariano, un militant engagé et déterminé

Rafael Mariano connaît bien les lieux pour y avoir manifesté à de nombreuses reprises, soit en tant que membre fondateur et ancien président du Mouvement paysan des Philippines (KMP – Kilusang Magbubukid ng Pilipinas), soit en tant que président du mouvement Bagong Alyansang Makabayan (New Patriotic Alliance), connu pour être au premier plan des manifestations organisées contre l’ancien gouvernement philippin.

Membre du parti Anakpawis classé à gauche (1), Rafael Mariano, qui était sur la liste des candidats soumise par le National Democratic Front (Front démocratique national, NDF) pour la formation du gouvernement de coalition (2), n’a pas perdu de temps pour se mettre au travail.

Le premier jour à son nouveau poste, il a déclaré souhaiter organiser une réunion de travail entre les paysans de l’hacienda Luisita et les membres du ministère en charge de la réforme agraire. Située à Tarlac, sur l’île de Luzon, cette propriété de 10 000 hectares de cannes à sucre, appartient à la famille du président Aquino ; au titre de la réforme agraire, votée en 1988 mais jamais véritablement appliquée, et du fait d’un jugement définitif de la Cour suprême en 2012, elle doit être démantelée au profit des paysans qui la cultivent, ce qui à ce jour n’a pas été réalisé – et n’a pas manqué de susciter de vifs remous.

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 Une véritable réforme agraire imminente ?

« Personne ne devrait déposséder ou encourager la dépossession de terres au détriment des paysans qui la cultivent », a déclaré le nouveau ministre, ajoutant que « les terres agricoles doivent rester entre les mains des agriculteurs et qu’aucun paysan ne doit être expulsé des terres qu’il laboure ». Agé de 59 ans, cet ancien paysan a déjà rencontré les parties prenantes de la réforme agraire dans l’archipel, fin juin, lors d’une série de conférences organisées pendant quatre jours.

« Peut-être que mon atout est de venir d’une famille paysanne. Cela fait plus de trente ans que je fais partie des mouvements paysans. Je donnerai donc le meilleur de moi-même pour mener une véritable réforme agraire. C’est mon combat », a-t-il affirmé lors d’une interview. Auteur du projet de loi « Genuine Agrarian Reform », qui, en 2014, n’a jamais dépassé la Chambre des représentants, dominée par de grands propriétaires terriens, il a appelé les membres de son cabinet à retravailler sur ce projet afin qu’il soit de nouveau présenté en juillet à la chambre basse du Congrès.

« Les hommes politiques atypiques nommés au sein du nouveau gouvernement doivent continuer à accomplir des actions pour davantage de justice sociale et de bien commun », a encouragé Mgr Antonio Ledesma, archevêque de Cagayan de Oro, à Mindanao.

Un combat qui dure depuis plus de soixante ans

Aux Philippines, la réforme agraire est l’un des projets politiques qui a suscité les plus grands espoirs et les plus vives déceptions, ces soixante dernières années. Dans un pays où une petite élite de propriétaires fonciers détient le pouvoir économique et politique, les premiers programmes de réforme agraire ont vu le jour dès les années 1950, sans toutefois provoquer beaucoup de changements dans les campagnes. Les différentes lois ont, en effet, soit été vidées de leur substance, soit appliquées aux seules terres publiques, la plupart des propriétaires terriens se gardant bien de distribuer une partie de leurs parcelles aux paysans sans terre, en trouvant des moyens juridiques de contourner l’application de la réforme.

Dans les campagnes, les tensions provoquées par ces impasses sont allées crescendo. Les propriétaires fonciers ont de plus en plus recouru à des moyens licites ou non pour intimider les paysans. Leurs milices ont empêché ces derniers d’accéder aux terres qui leur étaient malgré tout allouées ou les en ont chassés. Les malversations, le recours à l’intimidation et à des procédures plus ou moins légales sont devenues monnaie courante et, sous la présidence Arroyo (2001-2010), la violence à l’égard des paysans et de leurs leaders a considérablement augmenté. Ces derniers ont notamment été les principales victimes d’une vague d’arrestations ou d’assassinats politiques, parmi lesquels, celui de Mgr Alberto Ramento, à Tarlac. Evêque de Tarlac au sein de l’Eglise indépendante des Philippines (Iglesia Filipina Independiente, IFI) aussi appelée Aglipayan Church, connu pour son engagement auprès des pauvres, Mgr Ramento avait été retrouvé mort le 3 octobre 2006, un crime jamais élucidé depuis.

Des paysans majoritairement favorables à Duterte

« Mon père m’a dit de voter [pour Duterte] car il a promis de libérer les prisonniers politiques, c’est pour cela qu’on a tous voté pour lui », explique Wilmalyn Castillano, une jeune de 20 ans, du village de Patungan, dans la province de Cavite. En 2014, son père a été arrêté par des militaires et emprisonné pour s’être opposé à un projet immobilier touristique, sur des terres qu’il cultivait et qui, selon la réforme agraire, devaient lui revenir.

« Nous voulons retrouver notre vie simple d’avant, quand nous pouvions encore faire les récoltes en famille, confie Wylmalyn. Notre communauté attend avec impatience la mise en place de la réforme agraire, pour qu’enfin, le rêve de nos parents et de nos voisins de cultiver librement nos propres terres se réalise. »

Pour Diego Torres, membre du mouvement Bagong Alyansang Makabayan (New Patriotic Alliance), comme le nouveau ministre, les petits paysans « ont bon espoir que le nouveau gouvernement mette rapidement en place cette réforme et redistribue la terre promise aux paysans, terre qui depuis a été cédée à de grands investisseurs immobiliers. Nous avons confiance et croyons en Duterte et en son nouveau gouvernement. Ils sauront rester fermes et garder leur engagement envers le peuple. Les Philippins ont trop longtemps été opprimés et aujourd’hui encore, ils souffrent des politiques contraires aux intérêts du peuple des gouvernements précédents », précise-t-il.

Le 18 juin, douze jours avant l’investiture du nouveau président, Caritas Philippines appelait le futur gouvernement à mettre en place des réformes fondées sur la justice et la dignité humaine. Dans son plaidoyer, la branche caritative de l’Eglise des Philippines a notamment demandé à la nouvelle administration de protéger les droits des petits paysans, en leur attribuant la pleine propriété des terres qu’ils cultivent et l’accès à l’eau, en développant l’agriculture et la pêche durable et équitable grâce au renforcement et à la mise en place effective de la réforme agraire.

Reste à voir si le nouveau gouvernement prendra réellement les moyens nécessaires pour changer les usages qui prévalent depuis des décennies voir des siècles, et qui nécessitent de s’opposer à la puissance des grands propriétaires terriens, toujours très influents dans cet archipel où 20 % de la population détient 80 % de la richesse nationale.

(eda/nfb)