Eglises d'Asie

Quelle liberté religieuse pour les musulmans au Xinjiang ?

Publié le 13/07/2016




Le 28 juin dernier, une délégation du ministère des Affaires religieuses pakistanais a quitté Islamabad pour la Chine. Dans quel but ? Vérifier si les autorités chinoises ont interdit le jeûne du Ramadan au Xinjiang, province des Ouïghours, ethnie musulmane turcophone. Des accusations dont se défend Pékin, qui rappelle que …

 … la Constitution chinoise garantit la liberté de culte.

La démarche est inédite. Habituellement, la Chine refuse toute enquête indépendante sur la répression religieuse au Xinjiang. Un moyen pour Pékin de soigner son image auprès d’Islamabad ?, s’interroge le site d’information Asialyst. En effet, les deux Etats sont engagés dans le développement du corridor de Gwadar, sur lequel les autorités chinoises comptent énormément, notamment pour faciliter les importations de pétrole pour la Chine.

Pour tenter d’améliorer son image internationale, le gouvernement de Pékin a donc officiellement invité le Pakistan à effectuer une « expertise indépendante », rapporte le quotidien pakistanais The Express Tribune. La délégation pakistanaise devait passer quatre jours au Xinjiang et ses membres rencontrer la population ainsi que certains religieux de différentes mosquées, afin de vérifier si les autorités chinoises ont interdit la pratique du Ramadan aux fonctionnaires, étudiants et enfants de la région.

La Chine compte 20 millions de musulmans, et la province de Xinjiang abrite près de dix millions de Ouïghours de confession musulmane. Le Parti communiste chinois a interdit la pratique du Ramadan depuis des années, s’attirant les foudres des groupes de défense des droits de l’homme, rappelle The Express Tribune. Pour le quotidien, l’interdiction s’est répétée encore en 2016. « Les établissements de restauration ouvriront aux horaires habituels pendant le Ramadan », disait une note postée en juin sur le site internet du service Food and Drug Administration du district de Jinghe.

D’après les associations de défense des droits des Ouïghours, les restrictions imposées par les autorités chinoises ne font qu’aggraver les tensions ethniques dans la région, où des affrontements ont déjà entraîné des centaines de victimes depuis les émeutes interethniques de juillet 2009.

Pour tenter de contrer cette image négative donnée de sa politique au Xinjiang, Pékin a publié le 6 juin dernier un « Livre blanc » sur « la liberté de croyance religieuse au Xinjiang ». On lira ci-dessous une analyse de ce document officiel du gouvernement chinois. Publié le 6 juillet 2016 par l’agence Ucanews, il a été co-écrit par un universitaire taïwanais et un médecin ouïghour. Shih Chien-yu est secrétaire général de l’Association d’études sur l’Asie centrale à Taiwan et maître de conférences au département de journalisme et communication à l’école supérieur Chu Hai à Hongkong. Enver Tohti Bughda est chirurgien retraité de l’Hôpital central d’Urumqi, capitale de la « Région autonome ouïghoure du Xinjiang », au nord-ouest de la République populaire de Chine. La traduction française est de Marguerite Jacquelin.

« Quelques jours avant le début du Ramadan le 6 juin dernier, le gouvernement chinois a publié un Livre blanc intitulé Liberté de croyance religieuse au Xinjiang, destiné à réaffirmer « la séparation de la religion et de l’Etat », ou plus exactement comment « l’Etat prime sur la religion ».

Le Livre blanc s’attache également à définir les limites du libre exercice du culte au Xinjiang. Cependant, face aux critiques récurrentes des conservateurs au sein du Parti communiste et du gouvernement, gardiens sourcilleux d’un athéisme officiel, la portée effective d’un tel document reste à prouver.

Ces dernières années, un grand nombre de Ouïghours ont fui la « Région autonome ouïghoure du Xinjiang » pour rejoindre clandestinement différents pays d’Asie du Sud-Est. De là, grâce à leur statut de réfugié ou à de faux papiers, ils se sont rendus en Turquie. Certains, mécontents de l’absence de réelle liberté religieuse au Xinjiang, sont même partis se battre en Syrie ou en Irak.

En réaction, le gouvernement a décidé d’adopter de nouvelles mesures. En février dernier, un tribunal au Xinjiang a révisé à la baisse les peines de prison prononcées contre « certains des délinquants qui avaient mis en danger la sécurité nationale ». Plusieurs d’entre eux faisaient partie d’« organisations religieuses extrémistes », telles que le Mouvement islamique du Turkestan-Oriental, rattaché à feu Oussama ben Laden et au réseau Al-Qaida.

En mars, le gouvernement provincial du Xinjiang a annoncé 27 nouvelles mesures, telles que la suppression de la carte utilisée pour le contrôle des migrations, ou la création d’une formation de fonctionnaires destinés à soutenir les minorités ethniques et à favoriser la préservation du patrimoine architectural de la province. Des mesures mûrement réfléchies et destinées à indiquer que le contrôle politique étroit exercé par les autorités sur les habitants de la province se relâchait quelque peu.

Lors du Sommet sur les religions tenu par le gouvernement chinois à Pékin en avril dernier, il avait été clairement énoncé que les religions devaient être contrôlées de manière à « maximiser l’unité entre croyants et non-croyants » et à « faire en sorte que les religions s’adaptent à la société socialiste ».

L’importance du bon respect des lois et de la culture chinoise par les religions, ou leur « sinisation » (c’est-à-dire leur capacité à intégrer certaines particularités chinoises), pour parer l’influence des pratiques religieuses d’autres pays, avait aussi été soulignée.

Ces mesures reflètent le désir des autorités d’élargir l’espace de liberté concédé aux religions, tout en insistant fermement sur le principe communiste de « l’Etat qui contrôle les religions ».

« Des imams formés par les communistes »

L’Institut islamique du Xinjiang a ouvert ses portes de manière officielle en 1987 à Urumqi, la capitale provinciale, pour former une nouvelle génération de croyants patriotes contrôlés par le gouvernement. Le but ultime du gouvernement étant que tous les desservants des mosquées du Xinjiang soient issus de cette génération de « patriotes ». Pour beaucoup de musulmans ouïghours cependant, ce ne sont là que des « imams formés par les communistes ».

De plus en plus de musulmans ouïghours se rendent en pèlerinage à La Mecque ou en visite au Proche-Orient et en Turquie. En voyageant, ils s’aperçoivent qu’il existe différentes manières de pratiquer la religion musulmane, et d’autres modes de vie pour les musulmans. Ils se rendent compte que le patriotisme impacte considérablement leur manière de vivre l’islam. Beaucoup de Ouïghours rentrent chez eux en rapportant avec eux les pratiques religieuses d’autres pays.

Les personnes ayant une quelconque formation religieuse ne sont pourtant pas admises au sein des équipes gouvernementales à la tête des affaires religieuses. Les prédicateurs qui ne sont pas enregistrés comme tels auprès des autorités ou qui ne sont pas reconnus par l’Etat sont considérés comme étant des « imams irréguliers ». C’est bien le système administratif religieux chinois, injuste et fermé, et qui n’autorise pas les croyants à parler librement de leur religion, qui est à l’origine de ce phénomène.

De plus, les responsables religieux interprètent et comprennent souvent de manières différentes la doctrine islamique et les lois qui y sont rattachées. Ce qui crée des disputes.

Les imams reconnus par le gouvernement n’ont pas toujours autant d’influence que les « imams irréguliers », car ceux-là ont étudié à l’étranger, au Proche-Orient ou en Turquie.

Cependant, la propagande du gouvernement les décrit souvent comme « des extrémistes, et les accuse d’être les principaux instigateurs d’activités religieuses illégales ».

A cela s’ajoute le fait qu’un certain nombre de partisans de l’athéisme travaillent au service des affaires religieuses du gouvernement chinois. Ils maintiennent un système marxiste pour justifier la justesse politique du Parti communiste et, pour eux, la religion n’est qu’un outil de gouvernance.

Ainsi, lorsque des propositions sont faites pour « relâcher légèrement » l’emprise du gouvernement sur les religions, elles rencontrent inévitablement une certaine résistance. Prenons l’exemple des séances plénières à l’Assemblée nationale du peuple chinois et à la Conférence politique consultative du peuple chinois, en mars dernier. Certains membres du Parti s’étaient opposés à l’adoption de mesures législatives concernant la nourriture halal. En avril le gouvernement a abandonné son projet d’introduire une loi nationale pour réglementer les pratiques liées à la certification de la nourriture halal.

De même, certains groupes ayant des intérêts privés au Xinjiang ont vigoureusement réagi aux critiques qui contestaient le relâchement du contrôle des religions par l’Etat. Car, selon eux, celui-ci empêcherait à « la charia (loi islamique) de s’ingérer dans les lois de l’Etat », et à des « puissances étrangères » du Moyen-Orient musulman de s’infiltrer en Chine. Ils craignent que l’assouplissement des réglementations mette en danger la « séparation de la religion et de l’Etat » prônée par le gouvernement, et mette en danger le régime communiste.

Renvoi de Wang Zhengwei

En avril dernier, au moment du Sommet sur les religions, Wang Zhengwei, directeur de la Commission d’Etat pour les Affaires ethniques et membre de la minorité musulmane Hui, a été « relevé de ses fonctions ».

Wang est un dirigeant qui s’est toujours montré désireux d’introduire une politique plus ouverte envers l’islam. Membre du Parti communiste, il soutenait l’adoption des réglementations sur la nourriture halal.

Wang s’est fait attaquer par des athées lorsqu’il était à la tête de la Région autonome Hui du Ningxia, pour s’être montré trop tolérant vis-à-vis du développement de l’islam.

Le renvoi de Wang est certainement le reflet du désir du gouvernement chinois de trouver un équilibre entre les conservateurs athées et les dirigeants qui seraient en faveur d’une politique plus souple du contrôle des religions.

Cependant, le gouvernement central ne peut pas laisser l’un des deux camps dominer l’autre pour établir sa politique religieuse.

Contradictions au sommet

Le Livre blanc s’inscrit donc certainement au cœur d’une manipulation politique. En apparence, il semble donner plus de liberté aux pratiques religieuses, mais des contradictions dans le texte même empêchent l’élaboration des lois et leur mise en place.

Selon le Livre blanc, les pratiques religieuses d’autrui ne peuvent pas, par exemple, faire l’objet de discrimination. Et pourtant, les musulmans ne sont pas autorisés à jeûner pendant le Ramadan.

Autre exemple : le Livre blanc indique que les restaurants halal ont le droit de choisir d’ouvrir ou non pendant le Ramadan. Pourtant, lors du Ramadan cette année, le gouvernement a demandé à ce que tous les restaurants du Xinjiang restent ouverts.

Il existe clairement un décalage entre ce qui est écrit dans le Livre blanc et ce qui se passe dans la réalité. Le Livre blanc ne définit pas non plus de manière claire « les sphères publiques et privées » où les gens peuvent professer leur foi.

Le problème est en grande partie lié à certains groupes politiques qui interprètent l’islam de manière à provoquer des « désaccords entre amis et ennemis ». En agissant de la sorte, ils cherchent à renforcer leur propre poids au sein du Parti. En conséquence, au-delà de ce qui est porté au niveau politique, les véritables discernements et les discussions au sujet de la doctrine Islamique et des concepts religieux n’ont jamais lieu.

Il est donc difficile d’envisager avec optimisme l’ouverture d’un dialogue sérieux sur l’autonomie des religions en Chine. Un dialogue que la communauté musulmane ouïghour hors de Chine appelle pourtant de ses vœux depuis un moment maintenant. »

(eda/ra)