Eglises d'Asie

L’Eglise catholique appelle à mettre fin aux exécutions extrajudiciaires encouragées par le nouveau président

Publié le 22/06/2016




« Nous sommes préoccupés par le nombre croissant d’assassinats de personnes suspectées d’être impliquées dans des trafics de drogue, sous prétexte qu’elles se sont opposées à leur arrestation par les forces de police. (…) Il est très inquiétant que le nombre de ces exécutions extrajudiciaires aille en …

augmentant », peut-on lire dans le communiqué des évêques catholiques philippins « Appel à la raison et à l’humanité », publié le 20 juin dernier.

Les évêques s’inquiètent des exactions commises récemment par les forces de police, ces dernières paraissant avoir la gâchette facile depuis l’élection à la présidence de la République, le 9 mai dernier, de Rodrigo Duterte. Le week-end dernier, selon des sources policières philippines, les forces de l’ordre, lors d’opérations spéciales, ont tué onze personnes suspectées d’être en lien avec le trafic de stupéfiants. D’après les médias philippins, ces opérations commandos ont eu lieu à Manille, Laguna, Bulacan, Rizal, Bohol et Cebu.

 

Selon le porte-parole de la police nationale philippine, Wilben Mayor, ces six dernières semaines, plus de 40 personnes suspectées d’être impliquées dans des trafics de drogues ont été tuées par la police, contre 39 morts sur les quatre derniers mois précédents.

« Tirer pour tuer »

Elu le 9 mai 2016 sur un programme populiste, Rodrigo Duterte, 71 ans, doit prêter serment ce 30 juin pour un mandat de six ans à la tête des Philippines. Lors de la campagne électorale, il a promis d’éliminer des dizaines de milliers de criminels ; connu pour sa propension à tenir des propos outranciers, il est allé jusqu’à dire que 100 000 personne mourraient et que leurs corps seraient jetés dans la baie de Manille pour y engraisser les poissons. Il a aussi annoncé qu’il donnerait à la police le droit de « tirer pour tuer » lors d’opérations contre les criminels et ceux qui résisteraient par la violence aux arrestations. « Si vous résistez, si vous faites preuve de résistance violente, mes ordres à la police seront de tirer pour tuer », a-t-il averti, non sans mettre en avant son bilan de maire de Davao, la ville qu’il a dirigée durant plus de vingt à Mindanao où il a abondamment usé de méthodes expéditives et extrajudiciaires.

Depuis son élection, le nouveau président philippin a, à plusieurs reprises, assuré les forces de police que si elles venaient à tuer les criminels qui leur résistaient violemment, il leur apporterait son plein et entier soutien. Rodrigo Duterte a également averti la police que les forces de l’ordre impliquées dans le trafic de drogue recevraient elles-aussi le même sort que celui appliqué aux revendeurs de drogue, à savoir la peine de mort. Pour cela, il a prévu de demander au Congrès de rétablir la peine de mort, abolie aux Philippines en 2006 ; il veut la voir rétablie pour des crimes comme le trafic de drogue, les viols, les meurtres et les vols.

La police élimine-t-elle des témoins gênants ?

A Manille, les spéculations sur ces assassinats vont bon train. Pour certains, ces homicides ont été commis juste avant la prise de fonction de Rodrigo Duterte, par des membres de la police impliqués eux-mêmes dans le trafic de stupéfiants, afin « d’éliminer des témoins gênants qui auraient pu les dénoncer et leur faire craindre le même sort». Pour le chef de la police nationale, Ronald dela Rosa, il n’en est rien, « les trafiquants de drogue ont été tués lors d’opérations légitimes. Si ces personnes avaient été tuées de manière irrégulière lors de descentes policières, je l’aurais su », a-t-il affirmé lors d’une interview radio.

Face à ce contexte tendu évoquant les escadrons de la mort mis en place par Rodrigo Duterte, à Davao, le président de la Conférence épiscopale (CBCP), Mgr Socrates Villegas, a tenu à rappeler les principes éthiques qui doivent éclairer la conscience des forces de l’ordre, tout en leur assurant le soutien de l’Eglise catholique : « Bien que nous comprenons les difficultés que peuvent rencontrer les forces de l’ordre, l’Eglise compte sur vous pour que la société puisse bénéficier d’un régime dont les lois sont justes et les institutions honnêtes et équitables. »

Appel des évêques à ne pas rester silencieux

Puis de rappeler que « les forces de l’ordre ne peuvent tirer sur une personne qu’en cas de légitime défense pour elles-mêmes ou d’autres personnes menacées », et que « tirer directement sur un suspect n’est moralement pas justifiable », comme « il n’est pas non plus possible de recevoir une rétribution financière après avoir tué quelqu’un ». Les évêques philippins ont également fait savoir qu’« il est du devoir de chaque citoyen de signaler tout acte d’auto-justice (1) dont il aurait connaissance ».

« Nous devons lutter contre la criminalité, a ajouté Mgr Villegas, car le contexte d’impunité actuel dans lequel nous vivons encourage à la fois la multiplication de ces activités illégales et souligne les failles de notre système judiciaire. Le silence et l’indifférence qui prévalent contribuent également à l’essor de ces crimes », a-t-il souligné. « C’est pour cela que nous appelons vivement les magistrats et les procureurs à rester fermes dans leur engagement à servir la justice. Il n’y a pas pire insulte au Créateur que d’utiliser ses dons d’intelligence, de discernement et ses fonctions judiciaires à des fins malfaisantes, contraires à l’enseignement de l’Eglise », a encore déclaré le président de la CBCP.

Dimanche 19 juin, le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, a appelé tous les Philippins à estimer la vie humaine et à rejeter la « culture de la mort ». Il a également publié l’Oratio Imperata (‘prière obligatoire’) à l’intention du nouveau gouvernement – neuvaine qui sera récitée lors de chaque messe du 21 au 29 juin 2016, veille de la prise de fonction du nouveau président philippin.

(eda/nfb)