Eglises d'Asie

Vers un accord entre la Chine et le Saint-Siège ? Les communiqués se succèdent

Publié le 01/09/2016




Tandis que les négociations entre le Saint-Siège et la Chine populaire au sujet d’un éventuel accord concernant l’Eglise qui est en Chine se poursuivent, les communiqués et déclarations des différentes parties en présence se multiplient sans que rien ne soit dévoilé du contenu des pourparlers. Une nouveauté toutefois : l’accord pourrait concerner … 

 … les relations diplomatiques entre Pékin et Rome – une perspective qui ne manque pas d’inquiéter Taiwan.

Alors que depuis le début de cet été, les supputations de la plupart des analystes au sujet des négociations en cours étaient que celles-ci concernaient le mode de nomination des évêques en Chine, les modalités d’une éventuelle réintégration des huit évêques « officiels » illégitimes dans la communion apostolique ou bien encore le sort des évêques « clandestins », de récentes déclarations du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, et à ce titre responsable des négociations en cours, ont remis la question de Taiwan au premier plan.

Après des propos tenus au quotidien italien catholique L’Avvenire confirmant l’avancée des négociations entre Rome et Pékin, le cardinal Parolin était, le 27 août dernier, à Pordenone, dans le nord de l’Italie, pour prononcer une conférence au sujet du cardinal Celso Constantini, premier délégué apostolique en Chine (de 1922 à 1933) et ardent partisan de l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et le régime alors en place, la République de Chine. Répondant manifestement aux inquiétudes qui se font jour de manière insistante au sein de l’Eglise sur les risques à conclure aujourd’hui un accord avec Pékin, le cardinal s’est voulu rassurant et a prononcé la phrase suivante : « Je pense qu’il est important de souligner avec force l’idée suivante : les nouvelles et bonnes relations que nous souhaitons établir avec la Chine – y compris des relations diplomatiques, si Dieu le veut ! – ne sont pas une fin en soi ou ne répondent pas au désir de réaliser une sorte de succès ‘mondain’, mais elles sont pensées et poursuivies – non sans crainte parce qu’il s’agit ici de l’Eglise, qui appartient à Dieu – uniquement dans la mesure où elles sont ‘utiles’ (…) au bien des catholiques chinois, au bien de tout le peuple chinois et à l’harmonie de la société tout entière, en faveur de la paix mondiale. »

La réaction de Taiwan

A l’évocation d’une éventuelle remise en cause du statu quo actuel (le Saint-Siège a noué des relations diplomatiques avec la République de Chine en 1946 et a poursuivi ses liens après la mise en place du régime communiste en 1949, mais, après l’expulsion du nonce d’alors, Mgr Antonio Riberi, de la République populaire de Chine le 4 septembre 1951, la nonciature a rouvert en 1952 à Taipei, où elle se trouve toujours), les autorités de Taiwan ont été promptes à réagir. Le ministère des Affaires étrangères a qualifié de « bonne chose » toute amélioration à venir des relations entre la Chine (populaire) et le Vatican, non sans ajouter que « cela serait une grande chose si la Chine (populaire) pouvait jouir de la liberté de religion ». Le ministre adjoint, Wu Chih-chung, a ajouté que son gouvernement attendait que les bonnes relations entretenues par Taipei avec le Saint-Siège se poursuivent et a rappelé que le vice-président en personne, Philip Chen Chien-jen, représenterait la République de Chine à la cérémonie de canonisation de Mère Teresa, à Rome, ce 4 septembre ; catholique convaincu, le vice-président sera sur place pour une visite de six jours et mènera des entretiens « à haut niveau » au Saint-Siège, a encore précisé le ministère.

Appelé à commenter la présence du vice-président taïwanais à Rome ce 4 septembre, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Pékin a, quant à lui, rappelé la doxa habituelle, à savoir le respect du « principe de la Chine unique », tout en déclarant : « Nous espérons qu’ils [le Vatican] feront preuve de prudence dans les affaires relatives à Taiwan ». Par cette menace sibylline, le porte-parole signifiait sans doute qu’aux yeux de Pékin, toute avancée sur le front des relations diplomatiques entre Pékin et le Saint-Siège ne pourra que se traduire par une rupture des relations entre Taipei et le Saint-Siège.

Le 29 août, un autre porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Pékin, la diplomate Hua Chunying, a répondu à une question sur les pourparlers entre Rome et Pékin en affichant un certain optimisme. Après avoir réitéré la « sincérité » de la Chine et ses « efforts inlassables » en vue d’améliorer les relations avec le Vatican, la porte-parole a estimé que « l’actuel canal de dialogue et de contact entre les deux parties fonctionne bien et efficacement ». Elle a aussi immédiatement ajouté : « En nous appuyant sur certains principes, nous aimerions travailler ensemble aux côtés du Vatican pour des dialogues constructifs, nous rencontrer à mi-chemin et lutter pour le développement continu des relations bilatérales. »

Un rapprochement qui interroge

Pour les observateurs qui, depuis la Chine ou hors de Chine, lisent ces échanges feutrés par communiqués ou porte-parole interposés, l’utilisation par Pékin de certains termes ne laisse pas d’inquiéter. Lorsque Hua Chunying invoque « certains principes », il faut comprendre l’ensemble des directives du Parti en matière de politique religieuse, une politique fondée non sur la liberté religieuse – bien que celle-ci soit inscrite dans la Constitution – mais sur la notion d’indépendance des religions vis-à-vis de toute puissance étrangère et de contrôle des institutions religieuses par le gouvernement et le Parti. Cette politique, inscrite dans la loi, n’a été « libéralisée » en rien par le président Xi Jinping, qui, au contraire, insiste sur une nécessaire « sinisation » des religions et l’adhésion de celles-ci aux directives de l’Etat.

Une illustration de ce contrôle peut être trouvée dans une conférence qui s’est tenue en juillet dernier à l’initiative de l’Association patriotique des catholiques chinois et de la Conférence des évêques « officiels ». Ces deux instances ont appelé l’ensemble de leurs membres, avec une insistance marquée sur les séminaires où sont formés les prêtres, à appliquer les « recommandations » récemment émises par la toute-puissante Commission centrale pour l’inspection de la discipline du Parti. Outre la lutte anti-corruption, cette instance veille à la rectitude idéologique des membres du Parti et elle a estimé en juin dernier que l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses ne menait pas son travail avec suffisamment d’efficacité. Depuis, tous les séminaires « officiels » de l’Eglise en Chine ont dû apporter la preuve que l’enseignement qui y est dispensé était bien conforme à l’éducation politique et idéologique voulue par le Parti. Selon un catholique chinois cité par l’agence Ucanews, avec de telles mesures, « l’Eglise catholique en Chine passe progressivement sous le contrôle des autorités et la primauté du Saint-Siège est amoindrie par la mise en place d’une Eglise ‘aux caractéristiques chinoises’ ».

Selon le témoignage d’un jeune prêtre de la partie « clandestine » de l’Eglise qui vient d’effectuer un vaste périple à travers différentes communautés catholiques du continent, les avis recueillis au sein de l’Eglise en Chine est que si le Saint-Siège passe aujourd’hui un accord avec Pékin, les catholiques n’y gagneront pas d’espace de liberté supplémentaire. Le Saint-Siège en revanche risque d’y perdre tant le contact avec la partie « clandestine » de l’Eglise qu’avec sa partie « officielle », tout en abandonnant les liens entretenus avec Taiwan.

(eda/ra)