Eglises d'Asie

L’ONU demande à la Birmanie de condamner les propos injurieux d’un moine bouddhiste envers son envoyée spéciale

Publié le 29/01/2015




Depuis New York, le 21 janvier dernier, Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a appelé les autorités birmanes à condamner les insultes proférées par un moine bouddhiste à l’encontre de la Coréenne Lee Yanghee, rapporteur spécial de l’ONU pour …

… les droits de l’homme en Birmanie.

Le 16 janvier à Rangoun, Lee Yanghee donnait une conférence de presse pour rendre compte du voyage de dix jours – le deuxième effectué ès qualité dans le pays – qu’elle venait de faire en Birmanie. Des camps de Rohingyas dans l’Etat de l’Arakan aux camps de personnes déplacées dans l’Etat Shan, elle avait rencontré de nombreux acteurs de la société civile ainsi que des responsables politiques et religieux du pays. Devant les journalistes, l’envoyée spéciale de l’ONU a plaidé pour le respect des droits de l’homme, précisant que le vote d’un ensemble de projets de lois, actuellement en discussion au Parlement, discriminant les non-bouddhistes, serait le signe que la Birmanie « recule » sur la voie des réformes démocratiques.

Au même moment, dans un parc public de la ville, le moine extrémiste Wirathu a tenu un discours d’une rare violence devant un public composé de plusieurs centaines de moines et laïcs bouddhistes. Wirathu a traité Lee Yanghee de « pute » vendue à la minorité musulmane rohingya. « Nous avons rendu public notre loi sur la protection de la race et de la religion, mais, sans même l’étudier, cette salope [kaungma en birman, terme particulièrement injurieux] continue à se plaindre du fait qu’elle [la loi] serait contraire aux droits de l’homme », a-t-il asséné, encourageant le public à conspuer le nom du rapporteur spécial des Nations Unies, avant de continuer en usant à son égard de termes encore plus crus et insultants.

En décembre dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies avait approuvé une résolution non contraignante, présentée par l’Union européenne, qui appelait Naypyidaw à accorder la citoyenneté aux Rohingyas et à supprimer les restrictions à la mobilité qui leur étaient imposées. La résolution demandait également une enquête sur les violations des droits de l’homme dans l’Etat de l’Arakan ainsi que l’égalité dans l’accès aux services de base, et la réconciliation entre les communautés bouddhistes et musulmanes dans la région.

Selon Zeid Ra’ad Al Hussein, « le vocabulaire sexiste et insultant utilisé contre une experte des droits de l’homme travaillant pour l’ONU (…) est parfaitement inacceptable. Il est intolérable qu’un rapporteur spécial des Nations Unies soit traité de la sorte et j’appelle les responsables politiques et religieux du Myanmar à condamner de la manière la plus claire toute forme d’incitation à la haine (…) ».

En Birmanie, les réactions à cet incident ont été plutôt précautionneuses. Depuis Mandalay, le Vénérable Ashin Seinnita, moine bouddhiste, a estimé qu’en usant d’un tel langage, le moine Wirathu nuisait à la réputation de la communauté des moines ainsi qu’à celle du bouddhisme et de la Birmanie. « C’est au Conseil des grands maîtres de la Sangha de Birmanie de prendre des mesures étant donné que le gouvernement ne peut enquêter au sein de la communauté des moines. Mais si le Conseil reste silencieux, les gens ne manqueront pas de se poser des questions », précise le moine, par ailleurs engagé dans de nombreuses activités sociales et caritatives ainsi que dans le dialogue interreligieux.

A Rangoun, Thet Swe Win qui dirige un Centre pour la jeunesse et l’harmonie sociale, s’inquiète : « Les gens, dans la foule, ont applaudi quand Wirathu a recouru à ce langage grossier ». En tant que bouddhiste et militant engagé dans le dialogue interreligieux, il s’alarme du fait que « dans la société [birmane], les discours de haine semblent [aujourd’hui] profondément enracinés ».

Pour Julia Marip, secrétaire générale adjointe de la Ligue des femmes de Birmanie, les remarques de Wirathu témoignent de l’absence de reconnaissance des droits des femmes au Myanmar. « Si même une envoyée de l’ONU pour les droits de l’homme peut être insultée de la sorte, vous pouvez imaginer les risques auxquels s’exposent les militantes qui, dans ce pays, s’opposent à ces lois sur la race et la religion », explique-t-elle à l’agence Ucanews.

En revanche, à la Ligue nationale pour la démocratie, le parti de l’opposante Aung Sang Suu Kyi, Han Thar Mying, membre du comité central du parti, ne semble pas s’étonner des propos du moine Wirathu, familier de ce type de rhétorique incendiaire. Il précise seulement que son parti n’a pas encore pris position sur cet incident.

Le 7 janvier dernier, Mgr Charles Bo avait saisi l’annonce de son élévation au cardinalat – qui sera effective lors du consistoire organisé à Rome le 14 février prochain – pour déclarer au micro de Radio Free Asia qu’« aucun responsable religieux ne devait se faire le promoteur de discours de haine » et qu’il était « du devoir du gouvernement d’agir contre tout responsable qui agirait ainsi, quelle que soit son appartenance religieuse ». « Si nous, les responsables religieux, pouvions discuter et travailler ensemble de manière amicale, nous pourrions parvenir à la paix », avait-il ajouté.

Promu par une coalition de moines radicaux, dont font partie Wirathu et le « mouvement 969 », groupe identitaire de défense du bouddhisme, l’ensemble des lois sur la protection de la race et de la religion actuellement à l’étude au Parlement est activement soutenu par le gouvernement en place. Le 3 décembre dernier, le président Thein Sein a apposé sa signature à ces textes, ouvrant la voie à leur examen parlementaire. Un calendrier indissociable, selon les observateurs, du contexte pré-électoral actuel, les élections présidentielles étant prévues pour décembre 2015.

(eda/ra)