Eglises d'Asie

Au Sichuan, la destruction du plus grand lieu de formation bouddhique de Chine se poursuit

Publié le 23/09/2016




Après plus d’un mois et demi de destruction, la campagne ciblant l’académie religieuse bouddhique de Larung Gar se poursuit, visant à éloigner plus de la moitié de ses étudiants. Les autorités ont commencé fin juillet à détruire des habitations entourant ce lieu de formation religieuse jugé trop …

… peuplé. Les autorités chinoises ont prévu de réduire le nombre de moines et nonnes présents, d’environ 10 000 récemment à 5 000 au maximum. Les photos envoyées par des habitants montrent un vaste champ de ruine sur une bonne partie de la ville.

D’après Radio Free Asia (RFA), radio financée par le Congrès américain, les autorités éloignent tous les étudiants qui ne sont pas originaires du Sichuan, province où se situe Larung Gar. Après avoir chassé les Tibétains habitants la Région autonome du Tibet, voisine du Sichuan à l’ouest, les autorités éloignent maintenant les habitants du Yunnan, du Gansu et du Qinghai, provinces voisines du Tibet où vivent d’importantes communautés tibétaines.

Les opérations ont commencé le 20 juillet dernier, à huit heures du matin. Les premières équipes d’ouvriers sont arrivés sous escorte policière. Depuis, des forces armées surveillent en permanence le chantier pour éviter toute tentative de protestation. Depuis le début des opérations, trois nonnes se sont suicidées en juillet et en août pour protester contre les destructions. Plusieurs autres ont été stoppées dans leurs tentatives, rapporte le site RFA, bien informé car disposant d’un service en tibétain.

Photo envoyée à Radio Free Asia par un auditeur :

habitations détruites par les autorités chinoises à Larung Gar. (DR)

Situé à flanc de colline, dans le district de Sertar, au nord-ouest du Sichuan, sur le plateau tibétain, le lieu-dit de Larung Gar est devenu un centre d’études bouddhique à partir de 1980, seulement quatre ans après la mort de Mao Zedong et la fin de la Révolution culturelle, période durant laquelle toute pratique religieuse fut violemment combattue. Cette année-là, un maître, reconnu comme étant un Bouddha vivant par les Tibétains, Khenpo Jikphun (Khenpo Jigme Phuntsok), commence à enseigner à des disciples. Sa réputation attire rapidement de nombreux Tibétains, mais pas seulement. D’après un reportage du New York Times de 1999, Larung Gar accueillait déjà presque 8 000 moines et nonnes, dont 800 Han, l’ethnie dominante en Chine.

chine - carte larung gar.jpg

Depuis leur nombre a continué à augmenter, jusqu’à provoquer une première intervention des autorités en 2001. A l’époque un périmètre avait été défini, au-delà duquel les constructions étaient interdites. Mais en 2016, les autorités sont allées plus loin : détruisant d’abord à l’extérieur puis à l’intérieur de ce périmètre.

Officiellement, le projet des autorités est de « rénover » Larung Gar, pour transformer le village en une vraie ville, expliquait en juin le site d’information de la préfecture de Garze, dont dépend l’académie. « Le but est de construire un lieu de pratique du bouddhisme qui soit plus ordonné, plus beau, plus sûr et paisible, afin que les pratiquants du bouddhisme soient plus à l’aise, que les étudiants soient plus concentrés, et que les retraités vivant ici jouissent de plus de confort », développait Hua Ke, un haut responsable local.

En filigrane, il citait une des obsessions chinoises actuelles : l’urbanisation. « En même temps, il s’agit aussi d’accélérer l’urbanisation et la construction à Larung Gar. » Avant de mettre en avant des enjeux de sécurité. A cause de sa construction au jour le jour, souvent par les fidèles eux-mêmes, les habitations seraient « gravement menacés en cas de pluies torrentielles ou de désastres comme des glissements de terrain ou des coulées de boues ». De fait, en 2008, après un tremblement de terre meurtrier dans le Sichuan, la responsabilité des officiels locaux avait été pointée du doigt pour avoir laissé construire des bâtiments, notamment des écoles, ne respectant pas les normes de sécurité. En 2014, un incendie qui avait frappé le village de Larung Gar, avait détruit une centaine d’habitations et blessé des dizaines de personnes, causant 2,3 millions de yuans de dommages (300 000 euros).

Pour les autorités locales, l’hygiène pose aussi problème. « Les zones de vies et les toilettes sont parsemées d’ordures et sentent mauvais, posant des problèmes d’hygiène l’été, et un réel danger en cas d’épidémie », poursuit l’article de la préfecture de Garze, cité par le New York Times.

Selon les ONG qui défendent les Tibétains, les destructions cachent un autre but. « Les démolitions à Larung Gar n’ont clairement rien à voir avec la surpopulation, c’est simplement une tactique de la Chine pour réduire l’influence du bouddhisme au Tibet », estime Eleanor Byrne-Rosengren, directrice de l’ONG Free Tibet.

Conscientes de la sensibilité des opérations, les autorités chinoises ont tenté de limiter la communication des locaux avec le monde extérieur. Les habitants ont interdiction de s’approcher des lieux détruits pour prendre des photos, d’après RFA. Le site d’information américain ne précise pas si l’accès à Internet est disponible ou pas. Eglises d’Asie a pu constater que le réseau Internet, filaire et 4G, est régulièrement coupé de manière préventive dans les zones tibétaines quand les autorités craignent d’éventuels soulèvements, comme à l’été 2015 à l’approche du quatre-vingtième anniversaire du dalaï-lama.

D’après RFA, qui cite une source anonyme, les ordres concernant Larung Gar ne viendraient pas des autorités du district, mais « des autorités supérieures ». Le site affirme que le président Xi Jinping suivrait lui-même l’affaire avec attention, suggérant une méfiance continue de Pékin vis-à-vis des Tibétains, et en particulier des religieux. Le gouvernement chinois considère le 14e dalaï-lama « et sa clique » comme des terroristes séparatistes, même si Tenzin Gyatso (nom de l’actuel dalaï-lama) a renoncé à demander l’indépendance du Tibet depuis les années 1980, pour se concentrer sur une plus grande « autonomie » au sein de la République de Chine populaire.

De passage en France la semaine du 12 au 19 septembre, le leader religieux tibétain n’a été reçu ni par le président de la République ni par aucun membre du gouvernement. C’est désormais la norme pour la plupart des pays qui s’abstiennent au nom de la « diplomatie économique », de peur de froisser Pékin. En 2008, la réception du dalaï-lama par Nicolas Sarkozy à l’Elysée avait été suivie d’une période de froid diplomatique. Idem pour le Royaume-Unis quatre ans plus tard. Seuls les Etats-Unis et le Parlement européen continuent de recevoir le leader tibétain, prix Nobel de la paix en 1989.

(eda/sl)