Eglises d'Asie

Aung San Suu Kyi veut résoudre le conflit arakanais avec l’aide de la communauté internationale

Publié le 09/09/2016




Auparavant silencieuse sur le conflit qui oppose depuis 2012 deux ethnies minoritaires, les Arakanais bouddhistes et les Rohingyas musulmans, Aung San Suu Kyi a repris le dossier en main depuis fin août. Conseillère d’Etat et de facto principale dirigeante du pays, elle a invité l’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan à … 

… présider une commission chargée de proposer des solutions pour sortir de la crise. Ce faisant, elle affronte l’opposition des nationalistes bouddhistes.

C’est un revirement total. Cinq mois après son accession au pouvoir, la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi est sortie de la réserve qui la caractérisait sur le dossier rohingya. Elle a créé une commission composée de neuf membres (six Birmans, le Ghanéen Kofi Annan, un Libanais et une Néerlandaise), chargée de proposer des solutions à ce conflit ethnique et religieux qui secoue depuis quatre ans l’Arakan (Rakhine), une région côtière frontalière du Bangladesh. Baptisé Advisory Commission on Rakhine State, le groupe devra se concentrer sur « la prévention des conflits, l’assistance humanitaire, les droits et la réconciliation, l’établissement d’institutions et la promotion du développement dans l’Etat de l’Arakan ». Il doit remettre ses recommandations au gouvernement birman d’ici un an.

Un dossier épineux

Lors de la cérémonie d’installation de la commission, le 5 septembre dernier à Rangoun, Aung San Suu Kyi s’est exprimée sur la question arakanaise, spontanément, pendant une dizaine de minutes, rompant avec le mutisme qu’elle observait habituellement sur cet épineux dossier. « C’est un problème que nous n’avons traité ni honnêtement ni équitablement, et pour lequel nous n’avons pas été capables de trouver une solution idéale », a-t-elle reconnu.

L’an dernier, celle qui était encore opposante n’avait pas dévoilé ses intentions sur le dossier rohingya. Prudente, elle voulait ne froisser personne pendant la campagne des législatives. La presse internationale attendait que la lauréate du prix Nobel de la Paix défende les droits fondamentaux des populations en souffrance, mais elle-même ne souhaitait pas se mettre à dos la majorité bouddhiste de l’électorat birman, qui n’a jamais manifesté de soutien aux déplacés du conflit, pour la plupart musulmans.

En 2012, deux vagues de violence ont obligé plus de cent mille personnes à fuir leurs villages dans l’Arakan. Depuis, les Arakanais bouddhistes et les Rohingyas musulmans vivent de manière séparée. Considérés par le pouvoir comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh, les Rohingyas sont apatrides. Ils n’ont pas pu voter lors des législatives de novembre 2015. Quelques mois plus tôt, le gouvernement avait confisqué les cartes d’identité provisoires que certains d’entre eux détenaient. Ils ne peuvent pas se déplacer librement. Ils doivent demander des autorisations spéciales, souvent très onéreuses, pour quitter les camps où ils se sont réfugiés, même en cas d’urgence médicale. En juin dernier, la Commission des droits de l’homme des Nations Unies évoquaient la possibilité de crimes contre l’humanité dans cette région de l’ouest du pays.

Vives réactions nationalistes

L’annonce de la formation de la commission Annan a très vite déclenché un torrent de réactions hostiles en Birmanie. Le Parti national arakanais (ANP, bouddhiste et nationaliste), les bonzes du mouvement extrémiste Ma Ba Tha, les représentants militaires au Parlement ainsi que la formation politique des anciens généraux se sont vivement opposés à la présence de trois étrangers parmi les commissaires. Ils estiment que le conflit ne peut être réglé que par des personnes originaires de la région, et qui y vivent. Selon eux, il s’agit d’un dossier qui relève uniquement de la politique intérieure. L’ANP a proposé au Parlement que les trois experts internationaux soient remplacés par des Birmans. La motion a été rejetée.

« Notre Etat de l’Arakan fait face à une islamisation terrible, qui inquiète tout le monde dans notre pays. Personne mieux que nous ne peut comprendre la vie de notre peuple arakanais », a ainsi lancé au Parlement U Oo Hla Saw, un député ANP de la Chambre basse. Sa collègue Khin Saw Wai a expliqué à la représentation nationale qu’elle craignait que les trois étrangers ne fassent primer les droits de l’homme sur la souveraineté nationale et qu’ils se mêlent du problème des « indésirables qui entrent dans l’Arakan illégalement ».

L’ANP et les extrémistes bouddhistes ont toujours considéré que la communauté internationale était partiale et pro-musulmane. Ils agitent continuellement le spectre du danger de l’immigration illégale en provenance du Bangladesh bien que les chiffres du recensement de 2014, publiés cet été, ne corroborent pas leur crainte. Le décompte fait état d’une très légère augmentation de la population musulmane à l’échelle nationale (4,3 % en 2014 contre 3,9 % en 1973), un peu plus marquée dans l’Etat de l’Arakan (35 % en 2014 contre 29 % en 1973). Les chrétiens ont également vu leur population augmenter ces dernières décennies. Ils forment aujourd’hui 6,2 % de la population birmane quand ils en représentaient moins de 5 % il y a trente ans.

Défendre la souveraineté du peuple

Aung San Suu Kyi a répondu elle-même aux inquiétudes des nationalistes arakanais. Elle a réfuté l’argument selon lequel la question relevait uniquement de la politique intérieure. « Notre problème est exposé sur la scène internationale depuis de nombreuses années », a-t-elle insisté le 5 septembre dernier.

De fait, les Rohingyas fuient vers d’autres pays. L’an dernier, l’association Arakan Project estimait que 10 % des Rohingyas de Birmanie, soit environ 100 000 personnes, avaient pris la mer, depuis 2012, pour tenter de gagner la Thaïlande, la Malaisie ou l’Indonésie. La crise s’est donc internationalisée, ce qui a d’ailleurs obligé le gouvernement birman à s’expliquer auprès de ses partenaires régionaux lors d’un sommet à Bangkok en mai 2015. La conseillère d’Etat a ensuite balayé l’argument du danger de l’ingérence étrangère. « Personne ne peut interférer avec notre souveraineté. La souveraineté appartient au peuple, pas seulement au gouvernement », a-t-elle repris.

Ce 5 septembre, Aung San Suu Kyi a prononcé un discours aux multiples références aux droits de l’homme et aux valeurs démocratiques. Elle a insisté sur le besoin de « liberté pour tous les citoyens », allusion aux 100 000 Rohingyas massés dans des camps dont ils ne peuvent pas sortir. Contrairement à Kofi Annan toutefois, elle n’a pas prononcé le mot ‘rohingya’.

Les neuf commissionnaires ont effectué leur première mission de terrain dans l’Arakan les 6 et 7 septembre. Ils ont été accueillis à Sittwe, la capitale régionale, par quelques centaines de nationalistes arakanais qui avaient organisé des manifestations de protestation. « Cela fait partie de la liberté d’expression. Je n’ai pas été surpris et c’est un signe sain », a réagi le prix Nobel de la Paix Kofi Annan. Les commissionnaires ont visité le ghetto musulman d’Aung Mingalar, le dernier quartier musulman de Sittwe. Ils ont rencontré les autorités locales, des personnes déplacées ainsi que plusieurs représentants d’organisations non gouvernementales arakanaises. Ces derniers se sont plaints de ne pas avoir pu parler directement à Kofi Annan.

(eda/rf)