Eglises d'Asie

Echanges à fleurets mouchetés entre Rome et Pékin à propos d’une future entrevue du pape avec le dalaï lama

Publié le 23/01/2015




Le 21 janvier, la Chine a appelé le Vatican à créer les conditions nécessaires à une amélioration des relations bilatérales, après que le pape a déclaré aux journalistes, le 19 janvier, dans l’avion qui le ramenait de Manille à Rome, qu’une date avait été « fixée » au sujet d’une rencontre à venir entre lui-même et le dalaï lama.

L’appel de la Chine, exprimé lors du point presse quotidien organisé par le ministère des Affaires étrangères à Pékin, ne comporte pas de critique directe adressée au Saint-Siège, pas plus qu’il ne mentionne le chef spirituel des bouddhistes tibétains. Il se contente d’adresser une mise en garde implicite à Rome, au cas où le dalaï lama soit effectivement reçu par le pape. « Nous souhaitons mener un dialogue constructif avec le Vatican, sur la base des principes en vigueur », a indiqué la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, ajoutant : « La Chine a toujours été sincère dans sa volonté d’améliorer les relations avec le Vatican et déploie des efforts en ce sens. (…) Nous espérons que la partie vaticane pourra entreprendre les actions concrètes nécessaires pour créer les conditions d’une amélioration des relations bilatérales. »

Après sa visite aux Philippines, dans l’avion qui le ramenait à Rome, le pape François avait évoqué, en réponse à une question des journalistes, les rapports du Saint-Siège avec la Chine : « Le gouvernement chinois est bien élevé, nous aussi. Nous faisons les choses pas à pas, comme se font les choses dans l’Histoire. (…) ils (le gouvernement chinois) savent que je suis disposé à les recevoir ou à aller [en Chine]. »

Quant à la raison pour laquelle il n’avait pas accordé d’audience au dalaï lama à l’occasion du passage de ce dernier à Rome lors du Sommet des lauréats du prix Nobel de la paix (12-14 décembre 2014), le pape avait répondu que, selon les usages protocolaires en vigueur au Vatican, le Saint-Père n’a pas pour habitude de recevoir les chefs d’Etat ou les personnalités de haut rang lorsqu’ils sont de passage dans la capitale italienne à l’occasion d’une réunion internationale. Le pape avait clairement réfuté avoir pris la décision de ne pas recevoir le responsable tibétain « par peur de la Chine » : « C’est inexact ! La véritable raison est celle que je vous donne : le dalaï lama a demandé une audience et on lui a fixé une date. Il l’avait demandée avant [le Sommet], mais pas pour cette fois-ci, et nous sommes en contact. »

La dernière – et brève – visite du dalaï lama auprès du pape à Rome remonte à 2006. Le chef de l’Eglise catholique était alors Benoît XVI, qui a signé en 2007 une « Lettre aux catholiques chinois », texte important fixant le cadre dans lequel le Saint-Siège envisage ses relations avec l’Eglise qui est en Chine. En 2007 puis en 2009, le dalaï lama avait à nouveau demandé à être reçu par Benoît XVI, mais celui-ci n’avait pas donné suite.

Sur le plan international, à chaque fois qu’un responsable gouvernemental reçoit le dalaï lama, âgé de 80 ans, la Chine émet de vives protestations, accusant le leader spirituel des bouddhistes tibétains de se livrer à des activités « visant à la partition de la mère patrie ». « Nous sommes fermement opposés à ce qu’un gouvernement étranger ou une personnalité politique soutienne et encourage ces activités », déclare habituellement le gouvernement chinois, qui n’hésite pas à user de son influence pour empêcher certains Etats de délivrer des visas au dalaï lama – comme ce fut le cas l’an dernier avec la Norvège et l’Afrique du Sud.

Que conclure de ces échanges par médias interposés ? A l’évidence, le Vatican et la Chine mènent des négociations en vue d’une normalisation de leurs relations. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères évoque « les efforts » déployés par la Chine afin de mener « un dialogue constructif ». Le 21 novembre dernier, le Huanqiu Shibao (环球时报, quotidien à la ligne résolument nationaliste, plus connu à l’étranger sous le nom de Global Times), citait une source chinoise proche du dossier selon laquelle la Chine et le Saint-Siège avaient trouvé un accord concernant le mode de nomination des évêques de l’Eglise en Chine – l’un des principaux points d’achoppement de ce dossier.

Dans le numéro de janvier 2015 de la Rivista San Francesco (Revue Saint François), le secrétaire d’Etat, le cardinal Pietro Parolin, qui suit les affaires chinoises de longue date, se félicite de l’avancée des négociations avec la Chine. « Nous sommes dans une phase positive », déclare-t-il, ajoutant : « J’irais jusqu’à dire que les perspectives sont prometteuses », sans cacher que « le chemin est encore long et n’est pas encore arrivé à son terme ». « Nous avons besoin d’adopter une approche théologique en ce qui concerne nos relations avec la Chine », confie-t-il encore, sans plus préciser sa pensée.

A en croire les uns et les autres, les négociations ont donc bien lieu et elles avancent dans un climat positif. A chaque fois que l’occasion s’en présente, le pape François n’hésite pas à dire sa volonté de se rendre en Chine, que ce soit lors du vol qui le ramenait de Séoul à Rome en août dernier ou lors de ce vol Manille-Rome. De plus, à Rome, le Saint-Siège use de la diplomatie culturelle : après la tournée du Chœur de la Chapelle Sixtine à Hongkong, Macao et Taipei, c’est au tour des « Archives secrètes » du Vatican. En décembre dernier, Mgr Jean-Louis Bruguès, bibliothécaire et archiviste du Vatican, a signé un accord de coopération avec la Bibliothèque nationale de Chine. Au micro de Radio Vatican le 21 décembre 2014, il s’exprimait en ces termes : « Avec la Chine ou mieux avec toute l’Asie, on doit procéder à une politique ‘des petits pas’ : le gouvernement chinois actuel a su que la Bibliothèque du Vatican avait 1 200 manuscrits chinois anciens de la dernière dynastie [celle des Qing]. Alors, ils nous ont demandé de numériser ces manuscrits. J’ai mis deux conditions : premièrement, qu’ils paient le coût de la numérisation ; et ensuite, l’organisation d’une exposition à Pékin à la fois du Saint-Siège et de la Chine communiste, malgré l’absence de relations diplomatiques. Ils viennent de me dire qu’on peut non seulement organiser une exposition à Pékin, mais aussi dans les grandes villes universitaires du pays. Ce sera en 2017. A mon avis, ces expositions – ce sont maintenant plusieurs expositions – pourraient être un premier petit pas vers une reconnaissance diplomatique mutuelle. » (1)

Pour autant, dans le cadre de ces négociations, chaque partie prend soin de délimiter publiquement son espace de liberté. Dans l’avion qui le ramène à Rome, avion qui venait de survoler le territoire chinois, le pape a affirmé sa liberté à recevoir à la date fixée par lui le dalaï lama. Depuis Pékin, dans un article publié le 22 janvier par le Huanqiu Shibao (Global Times), l’universitaire Xu Yihua, professeur à Fudan (Shanghai) et spécialiste de l’histoire du christianisme et des relations internationales, est cité pour dire qu’une rencontre du dalaï lama et du pape au Vatican « serait nécessairement interprétée comme un pas en arrière dans les relations bilatérales » entre la Chine et le Saint-Siège. Dans le même article toutefois, un autre universitaire, Yan Kejia, directeur de l’Institut des études religieuses de l’Académie des Sciences sociales de Shanghai, estimait que « la réaction modérée » manifestée par la Chine à l’annonce d’une future éventuelle entrevue entre le pape et le dalaï lama « laissait au Vatican une marge de manœuvre pour négocier » avec Pékin.

(eda/ra)