Eglises d'Asie

« Une leçon pour les autres » : l’Etat islamique revendique l’assassinat d’un musulman converti au christianisme

Publié le 23/03/2016




Une « formation de sécurité » a tué « le prédicateur » pour servir de « leçon aux autres ». C’est en ces termes que l’organisation de l’Etat islamique a revendiqué l’assassinat, le 22 mars, dans le nord du Bangladesh, d’un musulman converti au christianisme. Après l’assassinat le 14 mars dernier, dans …

… l’ouest du pays, d’un sunnite devenu prédicateur chiite, lui aussi revendiqué par Daech, cette action est une nouvelle manifestation des vives tensions que vit ce pays de 168 millions d’habitants, dont 92 % sont musulmans.

L’assassinat de mardi s’est produit à Kurigram, ville du nord du pays. Selon la police locale, Hossain Ali faisait sa marche matinale lorsqu’il a été arrêté par trois hommes circulant à moto. Deux d’entre eux l’ont attaqué au couteau et lui ont tranché la gorge, avant que le groupe ne prenne la fuite en jetant un cocktail Molotov afin de semer la panique et dissuader tout éventuel poursuivant. Toujours selon la police, Hossain Ali, 68 ans, est mort sur le coup.

« Il n’était pas un pasteur ou un chrétien connu »

Retraité du Bureau du planning familial, Hossain Ali était un ancien combattant de la guerre d’indépendance, en 1971, lorsque le Bangladesh, alors Pakistan Oriental, a conquis, au cours d’un sanglant conflit, son indépendance du Pakistan. Musulman, il était surtout devenu chrétien en 1999 en se convertissant, lui et sa famille, pour rejoindre une communauté presbytérienne locale. Toutefois, selon le chef de la police de Kurigram, joint par l’AFP, « il n’était pas un pasteur ou un chrétien connu ».

A l’agence Ucanews, le pasteur presbytérien de l’église fréquentée par Hossain Ali a condamné l’assassinat. Réagissant avant de connaître la revendication formulée par l’Etat islamique, le pasteur a assuré qu’Hossain Ali « était un homme bon et simple ». « Nous nous demandons pourquoi il a bien pu être visé pour un crime si haineux. Nous demandons qu’une enquête approfondie soit menée afin que justice soit rendue. Nous voulons aussi des assurances afin que la communauté chrétienne locale soit protégée », a déclaré le Rév. Forkan Al-Masih.

Dans un pays où les chrétiens représentent moins de un pour cent de la population et où les minorités religieuses et tous ceux qui ne sont pas perçus comme orthodoxes par les tenants d’un islam sunnite ultra majoritaire au Bangladesh ont été la cible d’actions violentes et meurtrières ces derniers temps, les réactions ont été vives.

Pour Theophil Nokrek, secrétaire de la Commission ‘Justice et Paix’ de l’épiscopat catholique, « le gouvernement et les pouvoirs publics ne doivent pas considérer cet assassinat comme un acte isolé de violence contre les minorités ; ils doivent prendre des mesures énergiques et immédiates pour assurer la justice et empêcher ces crimes de se produire à nouveau ». Nous vivons dans un Etat laïque mais les minorités religieuses sont prises pour cible et le gouvernement a failli à son devoir de protection, a-t-il poursuivi.

Des attaques multiples et répétées contre les minorités religieuses

Ces derniers mois, des chrétiens ont été directement visés à plusieurs reprises. Le 5 octobre dernier, un pasteur protestant, Luke Sarkar, 50 ans, a été grièvement blessé à l’arme blanche, une action semble-t-il menée par des militants du Jamaat-ul-Mujahedin Bangladesh, un groupe islamiste déclaré hors-la-loi par Dacca. Le 18 novembre 2015, ce fut au tour d’un prêtre catholique, le P. Piero Parolari, missionnaire italien de 64 ans, d’être blessé par balles, à Dinajpur, dans le nord du pays. Parallèlement, de nombreux prêtres catholiques, des pasteurs protestants ainsi que des membres d’ONG ou d’institutions caritatives chrétiennes ont reçu des menaces de mort.

Les autres minorités religieuses sont également visées. Le 24 octobre 2015, une attaque à la grenade a fait un mort et des blessés lors d’un rassemblement de chiites à Huseni Dalan, un important sanctuaire chiite du Vieux Dacca. Le 5 décembre 2015, six personnes ont été blessées lors de l’explosion d’une bombe au temple hindou Kantajew Temple, situé dans le district de Dinajpur. Le 21 février dernier, une nouvelle attaque contre un temple hindou dans le nord du pays a fait un mort – le desservant du temple, mort égorgé – et deux blessés graves. Ce 14 mars enfin, Abdur Razzak, un sunnite devenu prédicateur chiite, a été tué à l’arme blanche à Kaliganj, dans le sud-ouest du pays.

A cette liste, il faudrait ajouter les assassinats de Cesare Tabella, ressortissant italien engagé dans l’aide au développement, tué le 28 septembre 2015 à Dacca, et d’un Japonais, tué par balles le 3 octobre dernier dans le district de Rangpur. En 2015 également, pas moins de six bloggeurs, éditeurs ou intellectuels se revendiquant libres penseurs ont été assassinés, à l’arme blanche le plus souvent.

A chaque fois que l’Etat islamique a revendiqué certaines de ces actions, la police a répondu qu’elle estimait que cette organisation n’était pas implantée au Bangladesh. Les autorités incriminent plutôt le Jamaat-ul-Mujahideen, dont six des principaux dirigeants ont été pendus en 2007 et dont cinq membres ont été tués lors d’échanges de tir avec la police depuis novembre dernier.

Tandis que le pays traverse une phase délicate, avec l’examen ces jours-ci par la Cour suprême du statut de l’islam dans la Constitution, la Premier ministre Sheikh Hasina, en appelle aux intellectuels musulmans pour dissuader ceux qui s’engagent dans des actions terroristes au nom de l’islam. A Dacca, le 22 mars, alors que plusieurs centaines de kilomètres au nord, Hossain Ali venait de mourir égorgé, la Premier ministre a déploré qu’« à cause d’une poignée de personnes, nous ayons à endurer ces immenses souffrances ». « J’en appelle à votre coopération pour que les gens soient assurés qu’il n’y a place ni pour le militantisme ni pour le terrorisme dans l’islam. C’est une religion de paix. S’il vous plaît, faites-le savoir », a-t-elle développé à Dacca devant des intellectuels musulmans réunis à la National Khatib Conference.

(eda/ra)