… exécution dans « les couloirs de la mort » des prisons pakistanaises (6 000 selon le gouvernement pakistanais), un des chiffres les plus élevés de la planète.
Le système judiciaire semble devenu inflexible, et les reports d’exécution sont désormais extrêmement difficiles à obtenir pour les avocats des condamnés. Selon Amnesty International, un paraplégique accusé de meurtre, Abdul Basit, aurait dû devenir le 300ème exécuté de l’année, si le 25 novembre dernier, treize heures avant son exécution capitale, le président du Pakistan n’était pas intervenu personnellement. Depuis le 29 juillet 2015, c’était le 3ème ordre d’exécution prononcé à son encontre. « La pendaison d’un prisonnier en fauteuil roulant ne peut être réalisée dans la dignité, comme l’exige le droit pakistanais et le droit international. Procéder à l’exécution d’une personne handicapée dans de telles circonstances, c’est bafouer toutes les règles d’une justice civilisée », a déclaré Zohra Yusuf, présidente de Human Rights Commission of Pakistan, instance indépendante des pouvoirs publics.
La reprise des exécutions capitales en 2015, alors que le pays appliquait un moratoire sur la peine de mort depuis 2008, a eu lieu après le massacre perpétré par des talibans pakistanais dans une école publique de l’armée à Peshawar, le 16 décembre 2014. Ce carnage, qui avait fait plus de 150 victimes, dont une majorité d’enfants, avait suscité une vive émotion dans le pays et à travers le monde. Le gouvernement pakistanais avait alors levé le moratoire sur la peine de mort et donné son accord à la création de tribunaux militaires antiterroristes, permettant à l’armée de juger rapidement des civils. Le 2 décembre dernier, quatre individus soupçonnés d’avoir joué un rôle dans ce massacre ont été pendus.
En levant le moratoire sur la peine de mort, le gouvernement avait initialement prévu de n’exécuter que les terroristes condamnés à mort, mais, du fait de la pression des islamistes, le Premier ministre Nawaz Sharif a élargi l’application de la peine capitale à tous les condamnés à mort, suscitant de vives réactions de la part de la communauté internationale et des organisations de défense des droits de l’homme. Parmi ces condamnés à mort pour terrorisme, crimes d’homicide, viol, haute trahison ou blasphème contre le Coran (comme la chrétienne Asia Bibi), un millier d’entre eux ont épuisé tous leurs recours, y compris une éventuelle grâce présidentielle.
Pour certains observateurs pakistanais, le gouvernement n’a pas tenu ses promesses de réformes du système judiciaire, qui, du fait de ses défaillances et de ses condamnations arbitraires, continue à faire de nouvelles victimes. De plus, soulignent ces mêmes observateurs, il n’est pas prouvé qu’il existe un lien de cause à effet entre l’application de la peine de mort et la réduction du taux de criminalité.
Dans son dernier rapport, l’International Commission of Jurists, une ONG composée d’une soixantaine de juristes du monde entier, a appelé le Pakistan à abroger immédiatement la peine de mort pour les délits de blasphème. Elle demande notamment que le caractère intentionnel du délit soit reconnu avant toute condamnation, qualifiant de « cruelles » les exécutions de personnes accusées de blasphème, alors que celles-ci sont souvent innocentes et victimes de règlements de compte interpersonnels.
« Il est à la fois incontestable et regrettable que dans de nombreux procès pour blasphème, on retrouve, à l’origine de la plainte, de fausses accusations motivées par des raisons étrangères à l’accusation », a expliqué le juge Asif Saeed khosa. L’ONG rappelle qu’au Pakistan, l’abus de cette loi est très fréquent et qu’elle est régulièrement utilisée pour des différents relevant normalement de droit privé.
Selon l’agence Fides, en examinant 25 cas d’appels présentés devant la Haute Cour pour blasphème, l’International Commission of Jurists a découvert que dans 60 % des cas, les inculpés étaient acquittés, les juges ayant établi que les accusations de blasphème avaient été « fabriquées ou montées de toute pièce pour des motifs personnels ou politiques ».
Selon les données fournies par la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, 200 chrétiens, 633 musulmans, 494 ahmadis et 21 hindous ont été accusés de délits de blasphème depuis 1987. Si l’on tient compte de la proportion des minorités religieuses dans la société pakistanaise, « la proportion de chrétiens et de membres issus de minorités religieuses accusés de blasphème est massivement disproportionnée par rapport au nombre des musulmans poursuivis pour blasphème ». Sur 1 537 cas de blasphème enregistrés, 41,18 % concernent des musulmans (alors que ces derniers représentent 96,4 % de la population), 32,14 % des ahmadis, 13 % des chrétiens (2 % de la population) et 1,36 % des hindous (1,5 % de la population).
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