Eglises d'Asie – Pakistan
L’intense lobbying des avocats défenseurs des lois anti-blasphème
Publié le 15/03/2016
… qu’actifs qui s’est donné pour mission de veiller à ce que les fameuses lois anti-blasphème soient appliquées dans toute leur rigueur au Pakistan.
Selon une enquête publiée par l’agence Reuters le 6 mars dernier, le Khtam-e-Nubuwwat Lawyers’ Forum, appellation qui pourrait se traduire par « Mouvement pour la défense du Prophète », est à la manœuvre pour parvenir à son but : utiliser son expertise du droit et son influence pour s’assurer que quiconque insulte l’islam ou Mahomet est mis en examen, jugé et exécuté. Pour rappel, les lois anti-blasphème, qui remonte à la période coloniale, ont été « durcies » en 1986, sous le dictateur Zia ul-Haq (au pouvoir de 1978 à 1988), et punissent de la prison à vie toute profanation du Coran et de la peine capitale toute insulte faite à Mahomet.
Un assassin dans son droit
Dans l’affaire de l’assassinat du gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, tué en janvier 2011 par son garde du corps pour avoir remis en cause les lois anti-blasphème et pris la défense de la chrétienne Asia Bibi, Ghulam Mustafa Chaudhry a assuré la défense dudit garde du corps. Une défense qui n’a pas porté ses fruits puisque Mumtaz Qadri a été condamné à mort. La sentence a été exécutée le 29 février dernier et l’enterrement du meurtrier, ce 1er mars à Islamabad, a été l’occasion pour des centaines de milliers d’islamistes de manifester leur soutien à la cause de celui qu’ils considèrent comme un héros. Selon Maître Chaudhry, Mumtaz Qadri était dans son droit lorsqu’il a tué Salman Taseer, ce dernier ayant commis un blasphème en remettant publiquement en cause les lois anti-blasphème.
A l’évidence, les tentatives du gouvernement en place pour encadrer l’application des lois anti-blasphème rencontrent de très forts obstacles. En novembre dernier, la Cour suprême du pays a bien statué pour dire que le simple fait de discuter des lois anti-blasphème ne pouvait pas être tenu pour un blasphème en soi, mais, en pratique, il est impossible pour quiconque de demander un débat serein et pacifié sur cette question. En janvier dernier, le Conseil pour l’idéologie islamique, une instance officielle au Pakistan, a proposé d’amender ces lois, mais un tel amendement pourrait également aller dans le sens d’un durcissement de cette législation.
Encourager les plaignants à aller en justice
Selon les chiffres de la police, les plaintes pour blasphème enregistrées dans les commissariats sont en hausse. Depuis la fondation de Khatm-e-Nubuwwat il y a quinze ans, le nombre d’affaires pour blasphème enregistré dans la seule province du Pendjab a triplé. Un sommet a été atteint en 2014, avec 336 affaires. Ce nombre est redescendu à 210 en 2015 depuis que des dispositions prises au niveau de la province restreignent la procédure encadrant le dépôt de plainte. Toutefois, les avocats du mouvement veillent. « S’ils entendent parler d’une plainte, ils viennent voir directement la personne et lui offrent de l’accompagner en justice gratuitement. Parfois, ils arrivent nombreux et encouragent les personnes à porter plainte », témoigne un policier à l’agence Reuters sous le sceau de l’anonymat par crainte d’éventuelles représailles.
Selon Ghulam Mustafa Chaudhry, les avocats de son mouvement ont assisté presque tous les plaignants dans des affaires de blasphème au Pendjab. Sans donner d’information sur les sources de financement qui soutiennent son mouvement, il affirme que sa motivation n’est pas pécuniaire. « Chacun sait que nous sommes un forum qui agit de manière bénévole et désintéressée. C’est pourquoi les gens nous contactent pour nous indiquer où il y a une affaire », précise l’avocat, qui ajoute que les avocats du mouvement évaluent la plainte pour savoir si elle est justifiée ou non, mais qu’à ce jour, ils n’ont jamais eu de cas où les plaintes ne l’étaient pas.
Un climat pesant
Aucun condamné à mort pour blasphème n’a été exécuté au Pakistan, mais les couloirs de la mort des prisons pakistanaises se remplissent peu à peu et, sur les quelque 8 000 condamnés à mort qui s’y trouvent, plus d’un millier le serait pour des affaires de blasphème (1). Parmi eux se trouve la chrétienne Asia Bibi, dont l’accusateur, lors de son procès en première instance et en appel, était assisté par un avocat membre Khatm-e-Nubuwwat.
Toutefois, si les autorités gouvernementales, qui ont fait procéder à plus de 330 exécutions capitales depuis décembre 2014, se gardent pour l’heure d’exécuter des condamnés pour blasphème, elles n’ont pas réussi à empêcher les exécutions extrajudiciaires. Selon le Centre pour la recherche et les études de sécurité, une instance indépendante pakistanaise, au moins 65 personnes ont été lynchées à mort ou assassinées depuis 1990, y compris des juges et des avocats, pour avoir été soupçonnées de blasphème ou pour avoir pris la défense de personnes accusées de blasphème.
Outre ces cas extrêmes, le climat est devenu plus pesant, et des menaces ont été proférées contre des médias ou des journalistes en vue, si ceux-ci s’avisaient de rendre compte des initiatives visant à remettre en cause les lois anti-blasphème ou à encadrer leur application.
Lors d’une audience pour blasphème, les avocats de Khatm-e-Nubuwwat et des militants débarquent souvent à plusieurs dizaines, de manière à intimider les personnes présentes. Selon Saif ul-Malook, avocat qui a défendu des personnes accusées de blasphème dans des salles d’audience pleines à craquer, en présence d’avocats de la partie adverse qui ne le laissaient pas s’exprimer, « leurs actions se fondent sur l’intimidation ». Ils cherchent à intimider tout le monde, l’accusé, les juges, les avocats de la défense ainsi que les membres de la famille de l’accusé, poursuit l’avocat.
Faire justice par soi-même
Ghulam Mustafa Chaudhry dément que son mouvement agisse de la sorte. Il précise toutefois que si les mesures prises par la province du Pendjab pour encadrer les lois anti-blasphème (notamment le fait que les plaintes soient dans un premier temps instruites par des policiers expérimentés avant d’être transmises à la justice) aboutissaient un jour à remettre en cause ces lois, Khatm-e-Nubuwwat pourrait appeler à la violence. Selon Tahir Sultan Khokhar, secrétaire général du mouvement, « si ces lois sont abolies – que Dieu l’empêche ! –, alors évidemment les gens auraient le droit de décider de se faire justice par eux-mêmes, de tuer ».
Selon les observateurs, alors que le pouvoir central – et notamment l’armée – semble décidé à lutter contre le terrorisme islamiste depuis l’attaque meurtrière menée contre une école publique de l’armée le 16 décembre 2014 à Peshawar, la partie est loin d’être gagnée pour restaurer la crédibilité de l’Etat de droit au Pakistan. Dans les années 2000, des avocats s’étaient dressé contre les mesures répressives prises par le président Pervez Musharraf (au pouvoir de 2001 à 2008) ; on avait alors parlé de mouvement des avocats (Lawyers’ Movement), de mouvement pour la restauration de l’ordre judiciaire (Movement for the Restoration of Judiciary) ou bien encore de mouvement des robes noires (Black Coat Protests). Désormais, ces avocats favorables à la démocratie semblent être nettement moins visibles et les avocats qui visent à une plus grande islamisation de la société paraissent, eux, plus virulents.
(eda/ra)