Eglises d'Asie

Une église chrétienne contrainte par des musulmans d’enlever la croix qui ornait sa façade

Publié le 24/04/2015




Dimanche 19 avril, à Petaling Jaya, une foule d’une cinquantaine de manifestants musulmans a contraint un temple protestant à enlever la croix qui ornait sa façade. L’affaire provoque de nombreuses réactions dans le pays et de vigoureuses protestations de la part de ceux qui y voient le signe …

… d’une « montée de l’extrémisme et de l’intolérance ».

L’incident s’est produit à Taman Medan, quartier populaire de Petaling Jaya, la capitale politique du pays située non loin de Kuala Lumpur. Dimanche, à l’heure du service religieux du matin, sur les coups de 10 h., une foule d’une cinquantaine de musulmans a bruyamment mais pacifiquement manifesté devant l’église de la Community of Praise Emmanuel, une dénomination protestante locale. Selon le portail d’informations en ligne, The Star Online, les manifestants dénonçaient la présence d’une croix sur la façade du lieu de culte, y voyant un « affront » fait à la communauté musulmane locale et un « défi » lancé à la religion musulmane, visant notamment à « influencer » la foi de la jeunesse musulmane. Par crainte de débordements violents, le pasteur de la communauté protestante a choisi, quelques heures plus tard, de retirer la croix ornant son église.

 

Le lieu de culte de Community of Praise Emmanuel à Petaling Jaya

telle qu’elle apparaît depuis le dimanche 19 avril 2015. (DR)
 

Peuplé à 80 % de Malais, considérés donc comme musulmans, et à 20 % de populations d’origine indienne, Taman Medan est un quartier populaire, loin des façades rutilantes de Petaling Jaya. Le lieu de culte visé par les manifestants ce dimanche est situé à un modeste carrefour et n’a rien d’ostentatoire : ouvert depuis le mois d’août dernier, il est situé au premier étage de boutiques commerçantes et est constitué de quelques pièces d’habitation réunies en une salle vouée au culte que rien ne distingue de la rue, sinon cette croix, de couleur rouge, devenue litigieuse (et installée le 17 avril). Le lieu de culte se trouve toutefois dans un quartier qui conserve la mémoire de graves émeutes « raciales », selon la formulation utilisée en Malaisie, qui avaient fait six morts en mars 2001. Les heurts avaient opposé Indiens et Malais et ils constituaient le plus violent incident intercommunautaire depuis les dramatiques émeutes du 13 mai 1969.

C’est peut-être cet héritage historique qui explique l’ampleur des réactions soulevées par cet incident. Le 21 avril, un groupe de hauts responsables malaisiens a publié un communiqué où l’action des musulmans de Taman Medan est qualifiée d’« acte insensé de haine et d’intolérance ». Les signataires du communiqué appellent les autorités à sévir contre les manifestants, toute faiblesse à leur endroit ne pouvant que « renforcer la détermination des extrémistes ». Formé à la fin de l’année dernière, ce groupe, connu sous le nom de « G25 » car initialement formé de vingt-cinq anciens hauts fonctionnaires – musulmans dans leur majorité –, s’était déjà fait connaître pour avoir signé une lettre ouverte dénonçant « le lent glissement [de la Malaisie] vers l’extrémisme religieux et la violence ».

Le Conseil des Eglises (protestantes) de Malaisie (CCM, Council of Churches of Malaysia) a, lui aussi, vivement condamné l’incident, y voyant une manœuvre politicienne. Le secrétaire général du CCM, le Rév. Hermen Shastri, a déclaré ne pas être surpris qu’une telle affaire éclate dans l’Etat de Selangor, dirigé par le Pakatan Rakyat, la coalition de l’opposition au plan fédéral. « Il est clair que certains, avec de tels actes, poursuivent un agenda politique ; ils cherchent à créer et à attiser les tensions interreligieuses dans l’Etat [de Selangor] », a dénoncé le pasteur dès le lundi 20 avril.

Jahir Singh, président du MCCBCHST (Malaysian Consultative Council of Buddhism, Christianity, Hinduism, Sikhism and Taoism), l’instance représentative des religions non musulmanes auprès des pouvoirs publics, a dénoncé le caractère illégal de la demande des manifestants musulmans. Il a rappelé que le Code pénal sanctionnait l’offense aux « sentiments religieux » des croyants, quelle que soit la religion en question. Il a souligné que rien, dans le droit malaisien, n’exigeait d’enregistrer auprès des autorités les lieux de culte. « Le culte peut être mené dans chaque demeure, dans chaque habitation, boutique ou local commercial. Vous n’avez pas besoin d’autorisation pour cela. Les commerçants ont bien des autels dans leurs boutiques. Cela signifie-t-il qu’ils doivent demander une autorisation pour cela ? », a-t-il développé.

Les autorités de l’Etat de Selangor ont, quant à elles, rappelé que les lieux de culte situés dans les locaux commerciaux avaient une obligation de déclaration mais qu’ils n’avaient pas à obtenir de permis pour fonctionner. Le Comité pour les Affaires non islamiques du Selangor a encouragé le pasteur à remettre en place la croix sur son lieu de culte – ce que ce dernier n’a pas fait à ce jour. La vice-présidente du Comité, Elizabeth Wong, a déclaré le 21 avril : « Le gouvernement [de l’Etat de Selangor] trouve odieux que des chrétiens aient dû enlever une croix et rappelle que la liberté de culte est un droit fondamental inscrit dans la Constitution fédérale. »

Face à l’ampleur de ces réactions, auxquelles il faut ajouter les déclarations de certaines personnalités du parti au pouvoir, l’UMNO, telles Saifuddin Abdullah, le gouvernement fédéral a décidé d’agir à son tour. Le 23 avril, le ministre fédéral de l’Intérieur, Ahmad Zahid Hamidi, a qualifié la manifestation du 19 avril de « séditieuse », tombant donc sous le coup de la version récemment durcie de la loi sur la sédition – laquelle criminalise toute offense faite dans le but de promouvoir « l’animosité, l’hostilité ou la haine contre une personne ou un groupe de personnes sur la base de son appartenance religieuse ». Il a aussi annoncé qu’au cas où des membres de l’UMNO se trouvaient parmi les manifestants, ceux-ci seraient sanctionnés par les instances du parti. Le Premier ministre Najib Razak enfin a déclaré avoir donné des instructions pour que la police enquête sur cette affaire.

(eda/ra)