Eglises d'Asie

Nouvelle flambée de violences dans l’Etat de l’Arakan

Publié le 17/10/2016




Le 9 octobre dernier, plusieurs groupes d’assaillants ont attaqué trois postes frontières en Arakan, région de l’ouest de la Birmanie, frontalière avec le Bangladesh. Dix-sept policiers et agresseurs ont été tués alors que la plupart des auteurs des attaques ont pris la fuite. Depuis, l’armée birmane les recherche activement. …

… A Naypyidaw, le gouvernement accuse un groupe terroriste islamiste rohingya d’avoir planifié ces actions. Le cardinal Charles Bo, archevêque catholique de Rangoun, est plus prudent dans son analyse de la situation.

C’est la vague de violences la plus meurtrière depuis celles de 2012, lorsque cent cinquante mille Arakanais bouddhistes et Rohingyas musulmans avaient fui leurs villages incendiés. Depuis une semaine, l’armée quadrille de nombreux bourgs situés dans les townships de Maungdaw et Rathedaung, frontaliers du Bangladesh, où ont eu lieu les attaques du 9 octobre. La presse birmane publie sur les réseaux sociaux de nombreuses images de patrouilles militaires dans des bourgades désertées. Ces huit derniers jours, l’armée a tué plusieurs suspects et essuyé quelques pertes. Elle n’aurait appréhendé que six à seize personnes (selon les sources), présentées comme des assaillants, dont deux qui lui ont été remis par les forces de l’ordre du Bangladesh. Elle estime que plus de deux cent cinquante combattants ont participé aux assauts simultanés du 9 octobre dernier, au cours desquels de nombreuses armes et munitions ont été volées. Le quotidien Myanmar Times, qui cite deux journaux gouvernementaux, affirme que plus de quarante personnes ont perdu la vie ces huit derniers jours dans l’Etat de l’Arakan.

Le gouvernement incrimine une organisation rohingya

Quatre cents écoles de cette région adossée à la frontière bangladaise ont été fermées. Une centaine d’enseignants a été évacuée par hélicoptères. Les riverains, témoins des événements, parlent de villages incendiés et d’explosions. Des coups de feu ont été échangés dans un bourg que visitait le 12 octobre dernier le Premier ministre de l’Etat de l’Arakan, non loin du lieu des événements tragiques de la nuit du 9 octobre.

Dès le lendemain des attaques simultanées, les autorités birmanes ont accusé l’Organisation pour la solidarité rohingya (RSO) d’avoir planifié ces offensives. Dans un premier temps, elles n’ont apporté aucune preuve à l’appui de leurs déclarations. Ce groupe, considéré comme terroriste par le gouvernement, a été constitué au début des années 1980, mais il semblait dissous puisqu’aucune communication ni événement le mettant en jeu n’ont été enregistrés ces dernières années. Son spectre a souvent été brandi par le précédent gouvernement, celui des anciens militaires (2011-2016), afin de justifier une présence importante de l’armée dans l’Etat de l’Arakan.

Après avoir accusé RSO, d’autres responsables de l’armée et du gouvernement ont ensuite blâmé des organisations bangladaises ainsi que des groupes de trafiquants de drogues. D’ordinaire peu diserte sur les tensions dans l’Arakan, la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi a simplement mentionné qu’elle « n’accuserait personne » sans preuves. Elle n’a pas appelé au calme ni à la retenue.

Finalement, vendredi 14 octobre, le bureau du président a indiqué que quatre suspects appréhendés avaient avoué appartenir à un groupe terroriste, nommé Aqa Mul Mujahidin, et financé par des réseaux islamistes étrangers. Son chef aurait suivi un entraînement de six mois chez les talibans au Pakistan. Aqa Mul Mujahidin serait lié à RSO. Des drapeaux de RSO auraient été saisis par l’armée lors de ses opérations de ratissage dans des villages frontaliers.

Des boucs-émissaires tout désignés ?

Interrogé par Eglises d’Asie, le cardinal Charles Bo, archevêque de Rangoun, s’est méfié de cette version des faits avancée par les autorités de son pays. « Le problème prend de l’ampleur mais nous ne connaissons pas la réalité, a-t-il réagi. Nous ne savons pas s’il s’agit de véritables insurgés rohingyas ou si tout cela est orchestré par le gouvernement pour créer des boucs-émissaires et justifier des attaques contre eux [les Rohingyas]. » Il a jugé que le problème dans cette région était plus politique que religieux, notamment parce qu’il est étroitement « lié à la question de la nationalité ». La plupart des Rohingyas sont apatrides, considérés comme des immigrés bangladais en Birmanie. « Ils ne sont pas non plus acceptés au Bangladesh », a encore regretté le cardinal Charles Bo.

En 2012, beaucoup de musulmans de l’Arakan ont accusé l’institution militaire de ne pas avoir levé le petit doigt pour les protéger lors des violences de juin et d’octobre. Cent cinquante personnes avaient alors péri. Aujourd’hui, les Rohingyas craignent que les attaques du 9 octobre servent de prétexte à l’armée birmane pour mener des actions de représailles contre eux. L’Organisation pour la coopération islamique (OCI) dit ainsi avoir reçu des informations faisant état « d’exécutions extrajudiciaires de musulmans rohingyas (…) et d’arrestations arbitraires de la part des forces de l’ordre dans le township de Maungdaw ». L’institution, qui rassemble 57 nations musulmanes, rapporte en outre que « la situation a obligé beaucoup de Rohingyas à fuir leurs villages ». Elle évoque « une pénurie de nourriture, d’eau et de produits de première nécessité ». De nombreux barrages ont été installés sur les routes de l’Arakan. D’après le Parti national arakanais (ANP, extrémiste bouddhiste), environ trois cents bouddhistes, craignant pour leur sécurité, ont aussi fui le township de Maungdaw, où ils sont minoritaires, afin de trouver refuge dans des monastères d’une localité voisine.

Cette flambée de violences dans l’Arakan coïncide avec la publication d’un ouvrage qui liste les atteintes à la liberté de religion en Asie, et qui consacre un paragraphe au sort des Rohingyas en Birmanie. Intitulé On The Edge, ce livre est dirigé par le P. Michael Kelly, prêtre jésuite australien et directeur d’Ucanews, agence de presse catholique sur l’Asie. Il évoque notamment la question de la montée du fondamentalisme, au moment même où se pose la question de savoir si une partie de la communauté rohingya se serait radicalisée. Mais la publication s’intéresse uniquement à l’extrémisme des « moines bouddhistes radicaux » qui, ces dernières années, ont « [intensifié] leur rhétorique anti-Rohingya et anti-musulmane ». L’ouvrage décrit la montée des mouvements bouddhistes extrémistes 9-6-9 et Ma Ba Tha, dirigés par le bonze U Wirathu. On the Edge détaille enfin les persécutions dont ont été victimes les Rohingyas ces quatre dernières années : impossibilité d’obtenir des papiers d’identité et de voter aux élections de 2015, difficultés d’accès aux soins, ségrégation permanente et atteintes à l’intégrité physique.

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(eda/rf)