Eglises d'Asie – Pakistan
Inquiétude des chrétiens face à un durcissement de la législation sur les médias
Publié le 25/11/2016
Pour le gouvernement pakistanais, la nouvelle loi venant encadrer la cybercriminalité était nécessaire pour lutter contre les menaces terroristes. Désormais, toute personne reconnue coupable de cyber-terrorisme sera passible de quatorze années d’emprisonnement. Toute incitation à la haine basée sur des critères « ethniques, religieux ou sectaires » sera passible de sept ans de camps de travaux forcés, et toute personne parodiant publiquement sur Internet un autre individu encourra trois ans d’emprisonnement.
Une loi sur la cybercriminalité controversée
Pour les défenseurs des droits de l’homme, cette nouvelle loi, très floue, est inquiétante car elle risque de réduire la liberté d’expression, et d’être utilisée à mauvaise escient pour faire condamner des personnes injustement. « Les termes très vagues contenus dans cette loi, ainsi que l’absence de définition précise, nous font craindre qu’en cas d’accusation, les citoyens pakistanais sans instruction ni connaissance de cette nouvelle loi, se retrouvent pris au piège de ces peines très lourdes », dénonce Nighat Daad, fondateur de Digital Rights Foundation, auprès de l’agence Reuters. Si cette nouvelle loi élargit notamment les pouvoirs de la police en matière de cyber-contrôle et « donne des pouvoirs illimités aux autorités pakistanaises de la télécommunication pour décider de ce qui est illégal, elle ne fait pas mention de la protection des données personnelles des Pakistanais. Et l’Etat ne peut pas contrôler la vie des citoyens de cette manière », s’indigne-t-il.
Cette crainte est partagée par les minorités chrétiennes, qui subissent déjà les conséquences du détournement de la loi anti-blasphème, utilisée contre eux pour des motifs qui n’ont rien à voir avec le blasphème. Le cas le plus connu est celui d’Asia Bibi, condamnée à mort en 2010.
« Internet est un moyen de communication important pour diffuser la parole de Dieu et former à la foi chrétienne dans une république islamique. Beaucoup de prêtres utilisent Facebook pour informer leurs communautés dans les régions sensibles. Restreindre Internet, c’est restreindre les possibilités d’évangélisation », confie le P. Qaiser Feroz, directeur du National Catholic Communication Center. Selon lui, la nouvelle loi sur la cybercriminalité est ambigüe et risque d’être mal interprétée. « Nous sommes d’accord pour interdire les sites immoraux ou antireligieux, mais il ne devrait pas y avoir de restrictions quant aux contenus relatifs à la démocratie ou au développement », a-t-il ajouté. Alors que les communautés musulmanes peuvent facilement poster leurs croyances sur Internet, les minorités religieuses, chrétiennes notamment, se heurtent à de très réelles limites par crainte d’être accusées de prosélytisme et de subir les représailles des fondamentalistes musulmans.
Interdiction de diffusion des chaînes de TV chrétiennes
Pour les chrétiens, Internet reste pourtant une des dernières alternatives encore possibles actuellement, depuis que onze chaînes de TV chrétiennes ont été fermées par la Pakistan Electronic Media Regulatory Authority (PEMRA), le conseil supérieur des médias électroniques, le 15 octobre dernier. Six personnes ont été arrêtées pour ne pas avoir respecté l’ordre de fermeture des chaînes TV, applicable depuis le 23 septembre. Ces chaînes n’avaient effectivement pas reçu d’agrément de la part du PEMRA, tout comme les chaînes de TV islamiques étrangères, qui continuent pourtant de diffuser leurs programmes sans autorisation.
Toutes ces chaînes de TV chrétiennes, excepté deux d’entre elles, diffusaient leurs programmes depuis l’étranger. Catholic TV, gérée par l’archidiocèse catholique de Lahore, a également été contrainte de fermer ses portes. « Depuis la fermeture, nous publions notre programme sur Facebook et nous postons nos vidéos sur YouTube », explique Jasber Ashiq, directeur de Catholic TV.
« Quel est l’avenir des médias d’Eglise au Pakistan ? Nous traversons une période très difficile actuellement. Nous cherchions juste à rejoindre notre propre communauté, ignorée par les autres chaînes de télévision », a déclaré le P. Morris Jalal, prêtre de l’archidiocèse de Lahore, fondateur et directeur général de Catholic TV. Au Pakistan, la diffusion de messages chrétiens sur les chaînes de TV pakistanaises n’est autorisée que pour Noël et Pâques, soit moins d’une heure de diffusion par an. « En tant que citoyens, les chrétiens ont le droit de pratiquer leur religion, mais si les autorités nous en empêchent, cela signifie que tous les citoyens ne sont pas égaux. Quand on interdit l’expression de la foi religieuse, qui est un droit fondamental, c’est de la persécution », a-t-il confié au Daily Express.
Les activités chrétiennes sur Internet font également l’objet d’une opposition grandissante. Selon un employé d’une chaîne de TV catholique, qui préfère garder l’anonymat, des utilisateurs de Facebook se sont plaints des vidéos postées par Catholic TV, une activité jugée non conforme aux valeurs de la république islamique pakistanaise. L’évêque catholique de Faisalabad tient, pour sa part, à rester prudent : « Nous devons faire attention à ne pas brusquer les autres communautés [musulmanes] », a-t-il déclaré à l’agence Ucanews.
La plus ancienne chaîne de TV protestante du Pakistan, Isaac TV, diffusait ses programmes depuis Hongkong. Saleem Iqbal, directeur d’Isaac TV, espère que les téléspectateurs continueront de regarder les émissions en se connectant sur Internet. « Nous invitons nos fidèles à continuer de nous regarder sur Internet. Beaucoup de personnes appréciaient notre chaîne. Ce n’est pas une interdiction de diffusion qui nous arrêtera », a-t-il indiqué avec détermination.
Selon l’ONG pakistanaise Bytes for All (B4A), sur les 190 millions de Pakistanais, plus de 30 millions sont utilisateurs d’Internet, la plupart sur leur téléphone. Près de 95 % des Pakistanais sont musulmans (80 % de sunnites, et 20 % de chiites). La minorité chrétienne, qui rassemble 2,8 millions de fidèles représente 1,5 % de la population, le reste se répartissant entre minorités hindoue, sikhe et ahmadie.
(eda/nfb)