Eglises d'Asie

La recrudescence des tensions ethniques et religieuses ternit la politique gouvernementale de réconciliation nationale

Publié le 13/12/2016




Depuis quelques mois, le Sri Lanka fait face à des incidents croissants témoignant d’un regain des tensions religieuses. La tendance est observée avec inquiétude par les minorités et les organisations de défense des droits de l’homme, dans un pays qui a connu vingt-six années de guerre civile liées aux tensions ethniques …

… entre la majorité cingalaise et bouddhiste de Colombo et la minorité tamoule du Nord-Est. Ce conflit s’était achevé en mai 2009 dans un bain de sang, avec l’écrasement de la guérilla tamoule par les forces armées suspectées d’avoir commis des crimes de guerre ; 40 000 civils tamouls avaient été tués par les forces gouvernementales au cours des derniers mois du conflit.

Aujourd’hui, le gouvernement de Colombo réitère son engagement à renforcer l’harmonie religieuse et la réconciliation nationale. L’une des dernières initiatives, annoncée le 21 novembre, entend lutter directement contre les incidents communautaires. D’après The Island, « une unité spéciale de police a été établie pour interpeller ceux qui œuvrent par leurs discours haineux contre les efforts du gouvernement pour promouvoir l’harmonie religieuse et la réconciliation nationale ». Le commissariat central de la police à Colombo aurait informé avoir déjà « lancé des enquêtes visant les personnes ayant proféré des propos calomnieux contre les religions ».

Rassurer la communauté internationale

L’initiative défend ainsi l’image du gouvernement qui promet de lutter contre le racisme religieux et entend rassurer la communauté internationale. Cette police affectée à contrôler les débordements religieux intervient dans un pays de 22 millions d’habitants aux confessions diverses : la majorité de la population est constituée de Cinghalais bouddhistes (70 %), suivis par les minorités, dont les Tamouls hindous (13 %), et les musulmans (10 %) ; les chrétiens (7 % de la population) ont la particularité d’être présents à la fois au sein de la majorité cinghalaise et de la minorité tamoule.

Dans ce contexte, le président Maithripala Sirisena a renouvelé le 23 novembre dernier son intention de fermeté en demandant à la police et aux forces de l’ordre de « procéder à l’arrestation de tous ceux qui incitent au racisme », laissant présager des opérations importantes. D’après le quotidien Daily Mirror, le président examinerait la possibilité de mettre en pace de nouvelles lois pour renforcer cet objectif.

Le recours à une unité spéciale pose néanmoins certaines questions auprès des minorités. Cité par l’agence Ucanews, Mgr Noel Emmanuel, évêque catholique de Trincomalee, a exprimé son scepticisme. « Pourquoi la police est-elle en charge de cette initiative ? », s’est-il interrogé, lui qui a pu observer les tensions au cœur de sa région sensible du Nord-Est autrefois sous domination de la guérilla tamoule et aujourd’hui sous haute militarisation, patrouillée par des soldats qui n’ont pas été démobilisés depuis la fin de la guerre. L’évêque a notamment souligné les érections des statues du Bouddha, qui heurtent le sentiment de la population hindoue : « Les gens ont trop peur de contester ces questions mais ils m’expriment leur anxiété. » Selon lui, la police fait généralement peu de cas du radicalisme bouddhiste alors que les provocations sont régulières : « La police a tendance à agir modérément lorsqu’elle fait face à des accusations mettant en jeu les bouddhistes. Elle redoute que l’arrestation d’un moine bouddhiste ne suscite un contrecoup au sein de la population cinghalaise. »

Des bouddhistes extrémistes très actifs

Car la campagne des radicaux bouddhistes s’intensifie depuis plusieurs mois. A Batticaloa, autre ancien bastion tamoul, un moine proche des extrémistes de la « Brigade bouddhiste » (Bodu Bala Sena, BBS) a insulté en public un agent de l’administration locale. « Toi, chien tamoul, je vais te tuer », a-t-il affirmé, menaçant le fonctionnaire s’il poursuivait des procédures judiciaires régulières qui s’adressaient à des Cinghalaises. L’incident, qui date du mois de novembre, n’est pas isolé. La police avait notamment été obligée d’intervenir une semaine plus tôt contre un radical bouddhiste qui avait proféré des menaces similaires lors d’une manifestation à Colombo contre des musulmans. Cette communauté religieuse est particulièrement visée par le BSS, qui défend la suprématie d’une nation bouddhiste. Sans surprise, ce groupe a signalé le 22 novembre que la création d’une nouvelle unité de police n’était pas la bienvenue.

Un ministre du gouvernement, Wijeyadasa Rajapakshe, s’est joint à la fin de mois dernier à cette campagne virulente, accusant les élites musulmanes d’appartenir à l’organisation Etat islamique (Daech). Le Muslim Council of Sri Lanka (MCSL), qui regroupe de nombreuses organisations musulmanes du Sri Lanka, a dénoncé une volonté de « ternir l’image des musulmans sri-lankais ». Et d’ajouter : « La communauté musulmane est sérieusement alarmée par la réémergence d’une campagne raciste entreprise par les moines bouddhistes depuis la fin de la guerre en 2009. »

Cette perception est partagée par l’organisme indépendant du National Peace Council. « Des altercations à caractère religieux nous sont rapportées, principalement dans le Nord et le Nord-Est », souligne un communiqué du 25 novembre. « De nombreux incidents mettent en cause des membres religieux (bouddhistes) qui prennent part à des projets expansionnistes, comme des conversions religieuses, des destructions d’anciens sites ou des constructions de lieux de culte. » Pour le Centre for Policy Alternatives (CPA) basé à Colombo, « la recrudescence des incidents récents est de très mauvais augure pour l’harmonie religieuse et ethnique et pour la réconciliation du Sri Lanka ». Le CPA alerte sur « les discours de haine contre les minorités par des membres du clergé bouddhiste ». Et conclut que « les réformes sensées améliorer notre démocratie et notre gouvernance sont minées par des forces radicales et intolérantes ».

Vers un retour de l’ancien président Mahinda Rajapaksa ?

Mais la lutte du gouvernement contre le racisme religieux, avec la création d’une police spéciale, se joue également sur le terrain politique : les bouddhistes radicaux continuent de soutenir Mahinda Rajapaksa, l’ancien président du Sri Lanka, au pouvoir durant la guerre, qui reste un adversaire déterminé du président actuel. Viser les groupes bouddhistes radicaux implique également de viser les soutiens de Mahinda Rajapksa.

L’Eglise catholique, de son côté, réitère son appui à Colombo. « Elle soutient totalement le processus de réconciliation mis en place par le gouvernement », a déclaré à l’agence Fides Mgr Harold Anthony Perera, évêque de Kurunegala et président de la Commission Justice, Paix et Développement humain, de la Conférence des évêques du Sri Lanka (CBCSL). Ce dernier a rappelé que le gouvernement du président Maithripala Sirisena, arrivé au pouvoir en 2015, « a fait des efforts concertés en vue de la réconciliation nationale ». En retour, le président a salué « la contribution et le travail » de l’Eglise catholique du Sri Lanka, à l’occasion de la 11ème assemblée plénière de la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (FABC), qui s’est tenue du 28 novembre au 4 décembre au Sri Lanka.

Cette position de l’Eglise du Sri Lanka, qui a l’originalité de compter des fidèles appartenant à la fois à l’ethnie cinghalaise et à l’ethnie tamoule, n’est certes pas nouvelle depuis la fin de la guerre. Le P. S. J. Emmanuel, président du Global Tamil Forum, qui représente des organisations de la diaspora tamoule, estime ainsi que l’Eglise du Sri Lanka, en privilégiant une stratégie de médiation des deux côtés, « n’œuvre pas suffisamment pour la réconciliation nationale ».

Et les questions sur la lenteur du processus de réconciliation demeurent. Un communiqué publié le 9 décembre par le CPA sur la situation des droits de l’homme estime que « le cours de l’avenir du Sri Lanka reste imprévisible ». Si le dernier rapport de l’envoyé des Nations Unies au Sri Lanka pointe « certains aspects positifs » parmi les initiatives du gouvernement, il dénonce néanmoins le fait que la pratique de la torture continue à être « une pratique courante », principalement au sein du Bureau des enquêtes criminelles de la police. Il rappelle aussi l’absence d’enquêtes crédibles portant sur les crimes de guerre, malgré les engagements de Colombo auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève. Et récemment, le président Maithripala Sirisena a demandé au président élu Donald Trump de faire pression sur le Conseil onusien pour « innocenter » l’armée de son pays d’accusations de crimes de guerres.

(eda/vd)