Eglises d'Asie

Le bouddhisme doit-il conserver une place « prééminente » dans la Constitution ?

Publié le 09/02/2016




Annoncée le 9 janvier dernier, la réforme de la Constitution crée des remous. Les minorités religieuses s’inquiètent notamment de la réaction des mouvements extrémistes bouddhistes cinghalais aux changements proposés par le président Maithripala Sirisena.

Pour le président Sirisena, la réforme constitutionnelle est « indispensable » afin de faire face « aux nécessités du XXIe siècle » et pour « garantir que toutes les communautés du Sri Lanka vivent en harmonie ». En s’exprimant devant le Parlement le 9 janvier, un an jour pour jour après avoir prêté serment à la suite des élections qui lui avaient donné la victoire sur le président sortant Mahinda Rajapaksa, le président a déclaré vouloir garantir que le pays ne replonge pas dans le conflit ethnique qui a fait plus de 100 000 morts entre 1972 et 2009. « Les extrémistes du sud [majorité cinghalaise] et du nord [minorité tamoule] ont causé la perte de milliers de jeunes vies », a rappelé le président, affirmant vouloir « assurer la réconciliation et l’harmonie afin de ne jamais voir revenir la guerre ». Le Premier ministre Ranil Wickremesinghe a annoncé à cette occasion la mise en place d’une « Assemblée constituante », formée de députés, et chargée de faire des recommandations pour une nouvelle Constitution, lesquelles recommandations seront rédigées dans un délai de six mois.

L’Etat protecteur du bouddhisme ?

Pour le président Sirisena, l’objectif est de sortir du régime présidentiel (inspiré de la Constitution de la Ve République française) mis en place par la Constitution de 1978 et à qui est imputé la dérive autoritaire de l’exercice du pouvoir que le pays a connu sous la présidence de Mahinda Rajapaksa (2005-2015). La nouvelle loi fondamentale devra donc renforcer les pouvoirs du Parlement et fixer le degré de dévolution du pouvoir qui sera consentie aux régions, afin de faire droit aux aspirations politiques des minorités tamoule et musulmane.

Mais, ce faisant, le président touche à une question particulièrement sensible, à savoir la place faite au bouddhisme dans les institutions de la nation. Alors que la Constitution octroyée par les Britanniques à l’indépendance, en 1948, posait comme principe que la loi ne saurait accorder de traitement préférentiel à quiconque en fonction de sa religion, la Constitution de 1972 puis celle de 1978 faisaient du bouddhisme une quasi-religion d’Etat en lui accordant une place « prééminente ». L’article 9 de la Constitution de 1978 est rédigé ainsi : « Le Sri Lanka accordera au bouddhisme la première place et, par conséquent, il sera du devoir de l’Etat de protéger et de défendre le message du Bouddha [Buddha Sasana]. »

Vives réactions des formations bouddhistes extrémistes

Dans le nouveau texte constitutionnel, on ne sait pas encore si cette place « prééminente » du bouddhisme sera conservée mais des dispositions législatives sont annoncées afin de « réguler » le pouvoir du clergé bouddhiste. Déjà, la police religieuse, qui avait été mise en place en avril 2014 par le président Rajapaksa et qui avait été très fortement critiquée comme contribuant à exacerber les tensions interreligieuses attisées par les moines extrémistes, a été dissoute l’an dernier par le président Sirisena.

Mais, avant même que l’on connaisse ce que sera la future Constitution, les partis bouddhistes extrémistes donnent de la voix. Le 16 janvier dernier, le Vénérable Gnanasara Thera, porte-parole du Bodu Bala Sena (BBS, ‘Puissante force bouddhiste’), l’une des plus véhémentes parmi les organisations bouddhistes radicales, a fustigé l’idée que les moines puissent devenir justiciables devant les tribunaux civils. « Nous demandons aux moines bouddhistes de boycotter les tribunaux de ce pays. Le gouvernement devra faire de chaque cocotier de cette nation une potence et transformer chacune de ses écoles en prison s’il veut supprimer le peuple bouddhiste cinghalais », a rugi le moine, bien connu pour ses sorties médiatiques.

Protéger les identités respectives de la majorité et des minorités

Du côté des minorités religieuses, les réactions sont prudentes. Dans un pays qui compte 7 % de chrétiens et 10 % de musulmans, le retour au respect des pratiques démocratiques par le binôme Sirisena – Wicremesinghe est très bien accueilli, mais on attend de voir comment sera effectivement rédigée la future Constitution. Les récentes déclarations du Premier ministre inquiètent. A la mi-janvier, ce dernier a en effet déclaré à la presse : « Certains disent que la première place donnée au bouddhisme et le caractère unitaire du pays seront dilués du fait de la nouvelle Constitution. Mais personne ne veut diviser le pays. La plupart d’entre nous, à commencer par moi, sommes bouddhistes. Je suis cinghalais et mon devoir est d’unir mon pays tout entier. A l’attention de ceux qui pensent que le bouddhisme perdra sa prééminence dans la Constitution, je ferai un discours spécial au Parlement. Je demande aux petits partis de ne pas politiser cette question. La nouvelle Constitution sera fondée sur les aspirations du peuple. »

Dans l’immédiat, si les agissements des groupes bouddhistes radicaux se sont fait nettement moins visibles, ils n’ont pas complètement disparu. A Colombo, des musulmans ont vu les portes de leurs demeures taguées avec le slogan « Sinha le » (le sang du lion, qui renvoie aux origines mythologiques du peuple cinghalais), une campagne qui rappelle les mouvements opposés à toute présence étrangère sous la colonisation britannique mais qui viserait désormais chrétiens et musulmans, considérés comme des étrangers au pays.

Pour l’archevêque catholique de Colombo, le cardinal Malcolm Ranjith, le Sri Lanka est à un tournant de son histoire et il appartient aux Sri-Lankais de cesser de se définir avant tout par leur appartenance ethnique ou religieuse. Le 11 janvier, il fêtait le 150e anniversaire du Gnanartha Pradeepaya, le plus ancien journal catholique de l’île. « Nous devons quitter cette époque où nous nous pensions comme cinghalais, tamouls ou musulmans, ou bien encore comme bouddhistes, hindous, musulmans ou catholiques. Ce qui est attendu de nous aujourd’hui, c’est de ne pas donner dans les idéologies raciales et religieuses faites de haine et qui ne font que nous emprisonner dans les attitudes malheureuses du passé. Les temps présents nous appellent à être suffisamment courageux pour bannir les partis politiques et les extrémistes qui fondent leurs manifestes sur des idéologies à base raciale et religieuse. Il est de notre responsabilité de protéger l’identité de la majorité en même temps que nous devons protéger les identités des différentes minorités [de ce pays] », a-t-il affirmé à cette occasion.

(eda/ra)