Eglises d'Asie

L’église Saint-François-Xavier sur l’île de Sancian : une bonne nouvelle pour le patrimoine en Chine et pour l’Eglise

Publié le 16/12/2016




La Chine populaire s’apprête à présenter l’église catholique Saint-François-Xavier de Sancian (Shangchuan) à l’Unesco en vue de son inscription sur la prestigieuse liste du Patrimoine mondial de l’organisme onusien. Si les autorités chinoises semblent poursuivre une visée touristique et …

… patrimoniale en présentant cette église à l’Unesco, leur décision revêt également une portée historique, voire politique et spirituelle, tant cette église est liée à l’histoire de l’évangélisation de la Chine. Le P. Matthieu Masson, missionnaire MEP à Hongkong, nous éclaire ici sur la signification de ce lieu de culte catholique.

En 1533 était érigé le diocèse de Goa, en Inde. Il devient alors, de façon théorique, la tête de l’Eglise catholique sur un territoire immense et sans limites précises ; il s’étend sur tout le pourtour de l’océan Indien, à l’Est de l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, la Chine, la Corée et jusqu’au Japon. Dans les années suivantes, saint François Xavier a parcouru de bout en bout ces contrées, offrant au diocèse de Goa un début de réalité à l’évangélisation de ses territoires, et ouvrant la voie à des générations de missionnaires occidentaux.

Le périple de François Xavier s’est terminé le 3 décembre 1552 sur l’île de Sancian (1), au large des côtes de la province de Guangdong, à l’ouest de l’embouchure de la rivière des Perles. François Xavier n’est donc jamais véritablement entré en Chine, mais il le voulait, et il mort alors qu’il l’avait en vue. Ce fait rappelle immanquablement l’histoire de Moïse mourant avant de pouvoir entrer dans la terre promise, mais l’ayant aperçue et ayant guidé son peuple jusqu’à son seuil. Le lieu du décès de saint François Xavier est donc devenu le symbole d’un commencement et d’une promesse d’évangélisation de la Chine par les missionnaires occidentaux, comme son origine ou son point de départ.

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Décès de saint François-Xavier à Sancian, par Francisco Goya (musée de Zaragoza)

Deux mois après son décès, le corps de François Xavier a été exhumé par les Portugais pour être rapatrié à Goa, où il fait l’objet, aujourd’hui encore, d’une immense vénération.

A Sancian, les Portugais laissent une petite stèle pour marquer l’emplacement de sa première inhumation. Non loin de là, un peu plus avant dans l’embouchure de la rivière des Perles, ils s’installent à Macao, qui sera érigé en diocèse suffragant de Goa en 1576. Ce diocèse couvre alors toute la Chine, le Japon et les Philippines. En 1582, c’est par Macao que Matteo Ricci arrive en Chine, après être passé par Goa, comme François Xavier avant lui. Avec la vénération dont est l’objet François Xavier, Sancian prend une importance symbolique croissante pour les missionnaires. Une stèle de plus grande dimension est placée au lieu de son décès en 1639. Ce lieu est désormais signalé sur quasiment toutes les cartes de Chine dressées par des Occidentaux, notamment sur la carte de l’Annam établie par le P. Alexandre de Rhodes, SJ, en 1661, et présentée au pape Alexandre VII qu’il cherchait à convaincre d’envoyer des vicaires apostolique en Asie (En bas à droite sur la carte). Les premiers vicaires seront Pallu, Lambert de La Motte et Cotolendi, à l’origine des Missions Etrangères de Paris.

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Carte de l’Annam par A. de Rhodes, 1661 (Commons).

En 1848, la province de Canton est confiée aux missionnaires français. Le P. Zéphirin Guillemin y est affecté. Il est d’abord chargé de mettre en place et de diriger un séminaire dédié à Saint-François-Xavier, qu’il établit à Hongkong. Lorsqu’il devint le premier évêque de Canton, en 1857, il choisit de faire figurer sur ses armes la « tombe » de saint François Xavier, qui se trouve sur le territoire de la Mission qu’il dirige désormais.

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Les armes de Mgr Guillemin sur lesquelles figure la tombe de saint François Xavier. (DR)

Alors qu’à Canton le nouvel évêque s’est lancé dans la construction d’une grande cathédrale tout en granit, il souhaite aussi faire quelque chose sur l’emplacement du décès de saint François Xavier. En 1864, à l’initiative de deux pères jésuites portugais, un premier pèlerinage est organisé à Sancian. Suite à cela, Mgr Guillemin demande à Achille Hermitte, l’architecte de la cathédrale de Canton, de dessiner une église pour cette île, et confie au P. Braud l’évangélisation de ses habitants. Dans le même temps, une souscription est lancée auprès des catholiques de France, qui financeront entièrement sa construction. Un second pèlerinage a lieu en 1866 alors que l’église est en construction. Le petit édifice néo-gothique, de brique et de granit, sera inauguré solennellement en 1869 en présence des évêques de Canton et de Hongkong, ainsi que de jésuites de Macao.

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Plans de la chapelle de Sancian par Charles-Achille Hermitte, 1865. (Archives MEP).

Le projet de sanctuaire de Sancian comprenait aussi une pyramide de 10 mètres de hauteur au sommet de la colline qui surplombe la chapelle. Construite par les habitants du village, celle-ci a été commencée en 1870, et achevée plus tard. L’idée était que ce sanctuaire soit comme une sorte de phare ou d’amer (un point de repère) pour les bateaux passant au large en remontant vers Macao ou Canton.

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Chapelle de Sancian (image tirée de : Eudore de Colomban, Zéphirin Guillemin, Macao 1919, p. 464)

En 1870, Mgr Guillemin retourne en Europe pour participer au premier Concile du Vatican, il reste ensuite en France jusque 1874. A cette occasion il veut faire élever dans un lieu proche de son village natal une statue de saint François Xavier. Cette statue est placée dans un monument surmonté d’une cloche chinoise, apportée de Sancian. La statue est l’œuvre du sculpteur Jean-Marie Bonnassieux. Elle est coulée à cinq exemplaires, dont un est envoyé à Sancian et un autre au séminaire de Canton. A Sancian, la statue est installée au sommet de la pyramide, face à la mer. S’il ne reste qu’une mauvaise photo du monument de Sancian et que la statue de Canton a elle aussi disparue, celle surmontée de la cloche provenant de Sancian existe toujours sur le territoire de la commune d’Echevannes, dans le Doubs.

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Monument à Saint François-Xavier à Échevannes dans le Doubs, (Photo Jean-Guy Simonet)

L’église inaugurée en 1869 ainsi que la pyramide ont été détruites pendant la Révolution culturelle (1966-1976). La chapelle qui a été reconstruite au même emplacement ressemble un peu à l’édifice originel.

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Séminaristes et prêtres devant la statue de Saint-François Xavier à Canton vers en 1901 ou 1902 (Archives MEP).

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Statue de saint François-Xavier sur la pyramide de Sancian (Eudore de Colomban, p. 362)

A l’intérieur, se trouve la grande stèle de 1639, placée comme une pierre tombale, pour marquer le lieu de la première sépulture de François Xavier. La stèle placée verticalement devant cette « tombe » est sans doute plus ancienne.

La Chine souhaite désormais que ce lieu soit classé au patrimoine de l’Unesco et a entrepris la valorisation du site. Les chances d’obtenir ce classement ne reposent peut-être pas tant sur les qualités architecturales de l’édifice reconstruit, que sur la dimension symbolique et historique du site. Sancian est un lieu qui relie la Chine et le Portugal, Goa et Macao, l’Europe et l’Asie, la mer et la terre, la terre et le ciel. Et en attendant que l’Unesco se prononce, on peut penser que les efforts de valorisation entrepris sont une bonne nouvelle tant pour le patrimoine culturel de la Chine que pour l’Eglise.

P. Matthieu Masson, MEP
Hongkong, le 16 décembre 2016

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(eda/ra)