Eglises d'Asie

Les responsables religieux appellent à la paix alors que les conflits ethniques se durcissent

Publié le 22/11/2016




Les représentants des principales religions de Birmanie ont demandé aux dirigeants d’élaborer une politique commune pour résoudre les conflits ethniques et religieux. La conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi avait fait de la paix sa première priorité. Un an après sa victoire aux élections législatives, son objectif …

… paraît encore très lointain. La branche civile du gouvernement ne semble pas en mesure de contrôler les forces armées qui ont lancé une vaste offensive dans l’Arakan, à l’ouest du pays.

L’Arakan compte 30 000 nouveaux déplacés. L’armée ratisse cette région frontalière du Bangladesh à la recherche de prétendus assaillants islamistes qui auraient attaqué trois postes frontières le 9 octobre dernier. Ces opérations militaires ont entraîné la mort de plus de cent personnes, suspects musulmans de l’ethnie rohingya, policiers et soldats, d’après un bilan établi par l’armée et communiqué par la presse gouvernementale. Plus de 230 personnes auraient été arrêtées. Il s’agit de la vague de violences la plus importante depuis les affrontements entre Arakanais bouddhistes et Rohingyas musulmans en 2012.

Risque vital pour des milliers d’enfants

Le nord de l’Arakan est bouclé. Les journalistes y sont interdits. « Les restrictions d’accès continuent d’empêcher les partenaires humanitaires de répondre aux nouveaux besoins dans le nord de l’Etat de l’Arakan », regrettent les Nations Unies. Depuis le 9 octobre, le Programme alimentaire mondial (PAM) n’a été autorisé à distribuer des rations alimentaires qu’une seule fois. Sept mille personnes en ont bénéficié dans quatre villages du township de Maungdaw. Depuis, plus rien. « Les services humanitaires qui existaient déjà sont suspendus depuis plus de cinq semaines, expliquait le 16 novembre dernier le Bureau pour la Coordination des Affaires humanitaires des Nations Unies. Environ 150 000 personnes ne peuvent plus recevoir l’aide qu’elles recevaient. Plus de trois mille enfants en zone d’opérations militaires ne peuvent plus recevoir leur traitement habituel pour lutter contre la malnutrition. Sans traitements appropriés ni soins, 30 à 50 % de ces enfants risquent de mourir. »

Cette situation très préoccupante a amené les représentants religieux de Birmanie à réagir, y compris le cardinal Charles Bo, archevêque catholique de Rangoun. « Nous adressons un appel aux responsables politiques et militaires et aux groupes armés afin qu’ils cherchent la voie de la réconciliation et de la paix en tant que bien commun de toute la population », ont-ils écrit le 16 novembre dernier. Publié par l’agence Fides, leur texte poursuit : « Le pays compte plus de 200 000 évacués. Aux anciens conflits, viennent s’en ajouter de nouveaux. Avec la présence de réfugiés, le trafic d’êtres humains prolifère, le phénomène de la drogue et la violence risquant d’exploser au sein des communautés. (…) Nous faisons appel à tous les responsables religieux afin qu’ils soient un instrument de paix. Le Myanmar [nom officiel de la Birmanie] a besoin d’une seule religion aujourd’hui, la paix. Telle est notre religion commune. »

Permanence du rôle central de l’armée sur la scène politique et nationale

Un an après la victoire de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) aux élections législatives, les relations entre l’armée, le gouvernement et les groupes ethniques rebelles de Birmanie n’ont pas beaucoup évolué. La conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi a relancé le processus de paix mais la même méfiance et les mêmes désaccords empêchent les pourparlers de progresser de manière concrète. « Le Myanmar a toujours besoin de l’aide des forces armées puisque le pays n’a pas beaucoup d’expérience en matière de démocratie parlementaire et multipartite », a déclaré le commandant en chef des forces armées Min Aung Hlaing en voyage officiel en Belgique le 11 novembre dernier. En d’autres termes, il souhaite que l’armée continue à jouer un rôle prépondérant sur la scène politique. De leur côté, les groupes ethniques rebelles réclament exactement le contraire.

« Toutes les régions et tous les Etats doivent être considérés comme la patrie de toutes les ethnies, pas seulement la patrie d’un groupe ethnique en particulier », a encore déclaré Min Aung Hlaing. Cette prise de position très favorable à un Etat unitaire va frontalement à l’encontre des revendications des groupes ethniques rebelles, qui tous réclament un Etat fédéral où les ethnies bénéficieraient d’une large autonomie sur leur propre territoire.

Conscients du fossé qui sépare l’armée des groupes ethniques, les représentants religieux de Birmanie appellent à une politique de la main tendue, prenant pour exemple l’audace du Général Aung San, qui, en 1947, réussit à fédérer les ethnies du pays autour d’un projet commun afin d’apporter l’indépendance au pays. Il « eut l’habileté d’impliquer tout un chacun dans le dialogue, explorant d’abord les facteurs d’entente et laissant les questions controversées pour la suite. Aung San favorisa une solution fédérale », ont ainsi rappelé les responsables religieux birmans dans leur appel.

Soutien d’Aung San Suu Kyi à l’armée

Mais l’Arakan est encore très loin d’une telle pacification. L’armée est suspectée de pillages, d’arrestations arbitraires et d’exécutions extrajudiciaires. Huit femmes rohingyas affirment avoir été violées par des soldats. Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi nie ces accusations. Il réfute également les articles de presse faisant état de populations rohingyas fuyant les opérations militaires et se réfugiant au Bangladesh voisin. « Des individus et des organisations qui promeuvent le terrorisme mélangent des informations correctes avec un grand nombre d’informations fictives et ils les transmettent ensuite à des organisations de défense des droits de l’homme et à des médias », s’est plaint, fin octobre, le porte-parole du gouvernement birman U Zaw Htay. La conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi a soutenu l’armée, estimant que l’Etat de droit était respecté dans l’Arakan. « Pourtant, je n’ai pas connaissance de quelque effort que ce soit de la part du gouvernement pour enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme, a rétorqué Yanghee Lee, l’envoyée spéciale des Nations Unies pour les droits de l’homme en Birmanie. Les forces de l’ordre ne doivent pas avoir carte blanche pour intensifier leurs opérations. » Depuis la dissolution de la junte militaire en 2011, l’armée birmane s’est souvent affranchie du contrôle du pouvoir civil.

Ailleurs dans le pays, les conflits ethniques ne faiblissent pas. Publié le 15 novembre dernier, un rapport d’une organisation non gouvernementale kachin estime que les offensives de l’armée birmane dans l’Etat kachin, au nord du pays, se sont intensifiées depuis l’arrivée au pouvoir de la Ligue nationale pour la démocratie. « La guerre fait désormais rage sur le territoire de trois diocèses kachin, occasionnant davantage de déplacements de population, s’est lamenté le cardinal Charles Bo dans son homélie de clôture de l’Année sainte de la miséricorde, ce dimanche 20 novembre. Cette nation a besoin de miséricorde. Dites-moi quel village n’a pas souffert ces soixante dernières années ? Mis à part quelques militaires et groupes armés, la nation dans son ensemble a souffert. Nous avons sacrifié deux générations qui n’ont joui d’aucun droit ni connu la prospérité. »

Dans le nord de l’Etat shan, à l’est de la Birmanie, quatre groupes rebelles ont lancé une offensive coordonnée contre les positions de l’armée birmane dimanche 20 novembre. Ils ont lancé un appel aux habitants de la région, leur déconseillant de sortir de chez eux. Des centaines de civils ont fui. Certains ont traversé la frontière pour trouver refuge en Chine.

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(eda/rf)